Saint Bernard de Clairvaux : les sept sceaux brisés par l’Agneau

  1. « Le lion de la tribu de Juda a vaincu (Apoc. V, 5). » Oui, la sagesse a vaincu la malice, en atteignant d’une extrémité à l’autre avec force, et en disposant toutes choses avec douceur ; mais s’il a montré sa force, c’est pour moi qu’il l’a montrée, et s’il a montré sa douceur, c’est à moi. Il a vaincu les blasphèmes des Juifs sur la croix, il a chargé de chaînes le fort armé dans sa demeure, et il a triomphé de l’empire même de la mort. O Juif, où sont tes opprobres ? O Zabulon, où sont les vases de ta captivité ? O mort où est ta victoire ? L’accusateur a été confondu, le ravisseur s’est trouvé pris lui-même. C’est un nouveau genre de puissance ! C’est à ce point que la mort même en est stupéfaite jusque dans sa propre victoire. Et toi, ô Juif, toi qui branlais la tête d’une manière sacrilège au pied de la croix, il y a deux jours à peine, que fais-tu aujourd’hui ? Pourquoi jetais-tu l’opprobre à celui qui est véritablement la tête de l’homme, au Christ? « Que le Christ, disais-tu, que le roi d’Israël descende de la croix (Marc. XV, 32). » O langue venimeuse, quelle parole mauvaise, quels discours pervers ! Ce n’est pas ce que tu disais peu de temps auparavant à Caïphe, quand tu t’écriais : il est de notre intérêt qu’un seul homme meure pour tout le peuple, plutôt que la nation périsse tout entière (Joan. XI, 50). » Mais comme ce que tu disais-là n’était point un mensonge, ce n’est pas de toi-même que tu parlais ainsi. Ce que tu disais en parlant sous ta propre inspiration, c’est ceci : « S’il est le roi d’Israël, qu’il descende de la croix (Matth. XXVII, 42). » Ou plutôt ces paroles t’étaient suggérées par celui qui est menteur dès le commencement du monde. En effet, s’il est roi, ne doit-il pas plutôt monter que descendre, pour faire quelque chose qui soit en harmonie avec ce qu’il est? Tu as donc déjà oublié, antique serpent, avec quelle confusion tu fus obligé naguère de t’éloigner de lui. Lorsque tu eus poussé la présomption jusqu’à lui dire : « Jetez-vous en bas, et encore, je vous donnerai toutes ces choses, si, vous prosternant devant moi, vous m’adorez (Matth. IV, 9)? » Et toi, ô Juif, as-tu donc tellement perdu le souvenir de ce que tu as entendu dire, « que c’est du haut de l’arbre que le Seigneur a établi son règne (Psal. XCV, 40) », que tu le renies pour roi, parce qu’il demeure attaché à l’arbre de la croix ; Mais, après tout, peut-être as-tu oublié également que ce n’est pas pour les seuls Juifs, mais pour toutes les nations qu’il a été dit : Dites aux nations que c’est du haut de l’arbre que le Seigneur (a) établi son règne. »
  2. C’est donc avec infiniment de raison que ce Gentil qui gouvernait la Judée plaça son titre de roi des Juifs au haut de sa croix. Les Juifs voulurent en vain changer cette inscription, ils ne purent pas plus y réussir qu’ils ne réussirent à empêcher la passion de notre Seigneur, et notre rédemption: «Qu’il descende de la croix, disaient-ils, s’il est le roi d’Israël. » Loin de là, au contraire, comme il est effectivement le roi d’Israël, il faut qu’il en garde le titre, qu’il ne se dessaisisse point de son sceptre, lui qui porte sur son épaule la marque de son empire (Is. IX, 6), selon le langage même d’Isaïe. « Ne mettez pas, disaient les Juifs à Pilate, ne mettez pas, roi des Juifs; mettez qu’il s’est dit roi[1] des Juifs : » Et Pilate leur répondait: « ce que j’ai écrit, est écrit. (Joan XIX, 22). » Mais si ce que Pilate a écrit doit demeurer écrit, le Christ ne mènera-t-il pas à bonne fin ce qu’il a commencé ? Or il a commencé l’œuvre de notre salut, il l’achèvera. Les Juifs disaient : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même (Matth. XXVII, 41). » Mais quo i! S’il descendait de la croix, il ne sauverait plus personne. Si celui qui ne persévère point jusqu’à la fin ne peut être sauvé, combien moins peut-il être Sauveur ? Il sauve donc les autres, car, étant lui-même le salut, il n’a pas besoin d’être sauvé. Il opère notre salut et il ne veut pas que rien manque à la victime du salut, qu’il offre dans son sacrifice du soir. Il connaît tes pensées, ô Juif mauvais, et il ne te donnera point l’occasion de nous frustrer du fruit de la persévérance qui obtiendra la couronne. Il ne fera point taire ceux qui prêchent aux autres, qui consolent les faibles, et qui disent à chacun : n’abandonnez point le poste que vous occupez, ce que tous feraient certainement s’ils pouvaient répondre : Le Christ a bien abandonné le sien. Car le coeur de l’homme et ses pensées inclinent vers le mal. C’est donc en vain, esprit malin, que tu as préparé tes flèches dans ton carquois, et que tu ajoutes les soupirs de tes partisans aux outrages des Juifs. Les uns sont remplis de désespoir, et les autres de paroles injurieuses; mais le Christ est inaccessible à ce double trait. Pour lui, il y a temps pour fortifier ses disciples, et temps pour confondre ses ennemis.
  3. Mais, en attendant, il aime mieux nous donner un exemple de -patience et d’humilité, faire acte d’obéissance et de charité, car telles sont les quatre pierres précieuses qu’il attache aux quatre bras de sa croix. En haut il place le joyau de la charité, à droite, celui de l’obéissance, à gauche celui de la patience, et, en bas, celui de l’humilité. Voilà les brillants dont il enrichit le trophée de la croix, en consommant d’œuvre de sa passion, en se montrant humble sous les blasphèmes des juifs, patient dans les blessures que la langue de ses ennemis lui faisait à l’âme, et dans celles que leurs clous faisaient à ses membres. Quant à la charité, sa perfection éclate surtout en ce qu’il donne sa vie pour ses amis, et son obéissance consommée brille au moment où, baissant la tête, il rendit l’âme, dans: un acte d’obéissance qui alla jusqu’à la mort. Voilà les riches présents, voilà la gloire dont voulaient dépouiller l’Eglise du Christ ceux qui disaient : « S’il est le roi d’Israël, qu’il descende donc de la croix. » Ils voulaient la priver de la forme de d’obéissance, lui ravir ce puissant levain de charité et la frustrer de cet exemple de patience et d’humilité. Mais ils auraient dû effacer de l’Evangile ces paroles plus agréables et plus douces que le miel en ses rayons. «Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13); » et celles-ci encore que Jésus adressait à son père : « J’ai achevé l’œuvre que vous m’aviez donnée à faire (Joan. XVII, 4)» et ces autres aussi à ses disciples «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Matth. XI, 29); » ou bien enfin celles-ci : « Pour moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tout à moi (Joan. XII, 32). » Ce qui peine surtout le rusé et venimeux serpent, c’est le serpent d’airain qu’il voit élevé dans le désert, et dont la vue seule guérit les blessures qu’il a faites (Num. XXI, 8). Aussi n’est-ce pas un autre que lui, du moins je le pense, qui suggéra à la femme de Pilate la pensée de lui envoyer dire : « Ne vous embarrassez point dans l’affaire de ce Juste, car j’ai été aujourd’hui étrangement tourmentée, dans un songe, à cause de lui (Matth. XXVII, 19). » Il était donc déjà vivement tourmenté alors, mais c’est surtout en ce moment que, se sentant singulièrement affecté par la vertu de la croix, cet ennemi du salut se repent, mais trop tard, de ce qui s’est fait. Aussi, après avoir poussé les Juifs à crucifier le Seigneur, leur inspira-t-il la pensée de lui dire de descendre de la croix. En effet, « s’il est le roi d’Israël, disent-ils, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. » C’est bien là la ruse du serpent, c’est bien une invention de cet esprit pervers. L’impie avait entendu le Sauveur dire un jour : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël (Matt. XV, 14) » et il savait quel zèle il semblait avoir pour le salut de ce peuple; voilà pourquoi, animant de son excessive malice la langue des blasphémateurs, il leur suggère de dire : « Qu’il descende et nous croyons en lui. » Comme s’il n’y avait plus rien qui s’opposât à ce qu’il descendit, puisqu’il avait tant à cœur de les voir croire en lui.
  4. Mais que machine ce rusé serpent, et à qui entreprend-il de tendre des embûches ? Car Celui contre lequel l’ennemi ne saurait rien gagner dans ses attaques, et à qui l’enfant de l’iniquité ne peut faire aucun mal (Psal. LXXXVIII, 23), Celui qui lit au fond des cœurs ne se laisse pas prendre à de vaines promesses, de même que, dans son excessive patience il ne s’émeut point de leurs outrageants blasphèmes. Le but secret de leurs conseils pervers n’était pas d’être amenés à croire eux-mêmes, avais de faire périr la foi, en nous, par tous les moyens possibles, si nous l’avions un peu. En effet, en lisant que « toutes les œuvres de Dieu sont parfaites (Deut. XXXII, 4) » comment pourrions-nous reconnaître un Dieu dans celui qui aurait laissé l’œuvre de notre salut imparfaite? Mais écoutons la réponse que Jésus fit à ces conseils. Tu demandes des miracles, ô Juif? « Eh bien, attends-moi au jour de ma résurrection (Soph. III, 8). » Si tu veux croire en moi, je te réserve des preuves plus concluantes encore que celles que tu me demandes. Quant aux miracles, j’en ai multiplié le nombre, ces derniers jours; hier encore, j’ai guéri des malades, aujourd’hui il me reste à mettre le comble à toutes ces merveilles. N’était-ce pas quelque chose de plus grand de voir les esprits malins sortir du corps des possédés, les paralytiques se lever de dessus leur lit; que de voir les clous dont tu as percé mes pieds et mes mains se détacher d’eux-mêmes ? Mais le temps destiné à souffrir ne l’est point à agir, et, de même que tu n’as pu avancer l’heure de ma passion, ainsi tu ne peux empêcher qu’elle ne sonne.
  5. Mais si cette génération adultère et perverse demande encore des prodiges, il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas ( Matth. XII, 39) ; non pas un miracle de descente, mais un miracle de résurrection. Que si le Juif ne demande pas ce miracle-là, le Chrétien du moins l’accueillera et l’embrassera avec bonheur. Car le lion de la tribu de Juda a vaincu, et le petit du lion s’est éveillé à la voix de son père, il s’est élancé du fond de son sépulcre fermé, quand il n’était point descendu du haut de sa croix. Ce miracle-là est-il plus grand que l’autre ? C’est ce que je laisse à décider à nos juges qui avaient pris un soin si diligent de veiller sur ce sépulcre, en le scellant de leur sceau et en y plaçant des gardes. Cette grande pierre dont la pensée préoccupait l’esprit des saintes femmes, « se vit ôtée par un ange qui s’assit dessus (Matth. XXVIII, 2, et Marc. XVI, 3), » dès que le Seigneur fut ressuscité, selon ce qui est écrit. Ainsi celui qui était venu au monde en sortant du sein fermé d’une vierge, sortit plein d’une vie nouvelle, de son tombeau également fermé, et entra ensuite dans le cénacle où ses disciples se tenaient les portes closes. Mais il est un endroit d’où il ne voulut point sortir les portes fermées, ce sont les enfers; il en brisa les gonds de fer et mit toutes les barrières en morceaux, afin d’en emmener en pleine liberté les siens, ceux-là qu’il avait rachetés de la main de son ennemi, et d’en faire sortir, toutes portes ouvertes, la troupe de ses élus vêtus de blanc, parce qu’ils avaient lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l’Agneau; oui blanchis clans le sang, attendu qu’en même temps que son sang coulait, il s’échappait avec lui une eau qui purifie; c’est celui « même qui a vu cette merveille qui nous l’apprend » mais dans le sang tout à la fois blanc et rose d’un agneau de lait, selon l’expression même de l’Épouse du Cantique des cantiques, qui nous dit : « Mon bien-aimé est blanc et rose, et se distingue entre dix mille (Cant. V, 10). » Voilà pourquoi aussi le témoin de la résurrection le montre vêtu d’une robe blanche avec un visage comme la foudre.
  6. Mais s’il paraît suffisant, pour confondre les calomnies des Juifs, que le Christ, à qui ils disaient avec moquerie « s’il est le roi d’Israël, qu’il descende de la croix, » soit sorti de son tombeau, tout fermé qu’il fut, car ils avaient encore apporté plus de soin et de précaution à fermer et à sceller le tombeau du Sauveur qu’à enfoncer des clous dans ses mains; si, dis-je, le lion de la tribu de Juda a vaincu, en s’élançant ainsi de sa prison, et leur a montré une merveille bien plus grande encore que celles qu’ils lui demandaient, à quel miracle pourrons-nous après cela comparer celui de la résurrection ? Nous voyons bien qu’il y eut avant lui plusieurs morts qui ressuscitèrent, ou du moins qui se relevèrent de leur couche sépulcrale; mais tous ces ressuscités ne sont que comme les précurseurs du Christ, dont la résurrection dépasse de beaucoup les leurs. En effet, tous les autres ne ressuscitèrent que pour mourir une seconde fois, or « Jésus-Christ ressuscite d’entre les morts pour ne plus mourir, la mort ne doit plus avoir d’empire sur lui (Rom. VI, 9). » Les autres morts ont encore besoin de ressusciter une seconde fois : quant au Christ, s’il est mort à cause du péché, il n’est mort qu’une fois, et s’il vit maintenant, il vit pour Dieu, il vit pour l’éternité (ibid. 10). C’est donc avec raison que nous disons de lui qu’il est le premier de ceux qui ressuscitent, car il est si bien ressuscité qu’il ne peut plus déchoir de la vie immortelle où il est remonté.
  7. Il y a encore un point où éclate la gloire incomparable de cette résurrection. Quel est celui de tous les autres ressuscités qui s’est ressuscité lui-même? Il est inouï qu’un homme, dormant un sommeil de mort, se soit éveillé de lui-même, c’est un fait unique, il n’a jamais été donné à qui que ce soit, non, absolument à personne, de l’accomplir. Le prophète Elisée ressuscita un mort ( I Reg. IV, 35), mais un autre mort que lui-même, et, depuis tant d’années qu’il repose au fond de son sépulcre, il attend qu’un autre l’en fasse sortir; car il ne saurait sortir de lui-même; et celui dont il attend cela, c’est Celui qui a triomphé de l’empire de la- mort dans sa propre personne. Voilà pourquoi aussi, quand nous parlons des autres, nous disons qu’ils ont été ressuscités; et, en parlant de Jésus-Christ, qui seul est sorti de son sépulcre par sa propre vertu, nous disons qu’il est ressuscité, attendu que c’est en cela même que le Lion de Juda a vaincu. Que pourra-t-il, ou plutôt que ne pourra-t-il point, maintenant qu’il est plein de vie et qu’il dit à son Père : « Je suis ressuscité et me retrouve avec vous (Psal. CXXXVIII, 18)? » Que ne pourra-t-il point ce Dieu puissant qui fut compté parmi les morts, mais qui, dans leurs rangs, se trouva libre des chaînes de la mort?
  8. Mais, de plus, il ne retarda point sa résurrection au-delà du troisième jour, afin d’accomplir la parole du Prophète qui avait dit : « Il nous vivifiera trois jours après, il nous ressuscitera le troisième jour (Osée VI, 3). » Il convient évidemment que les membres marchent sur les traces de leur chef. Ce fut le sixième jour de la semaine qu’il racheta l’homme sur la croix, le même jour que, dans le principe, il l’avait créé, et le lendemain il entra dans le sabbat du tombeau, pour s’y reposer de l’œuvre qu’il venait d’achever. Trois jours après, c’est-à-dire le premier jour de la semaine, celui que nous appelons les prémices de ceux qui dorment du sommeil de la mort même, il apparut vainqueur de la mort. C’était l’homme nouveau. Voilà comment nous tous qui marchons sur les pas de notre chef, nous ne devons point nom plus tout lu jour de la vie, pendant lequel nous avons été créés et rachetés, cesser de faire pénitence, de porter notre croix et d’y demeurer attachés comme il y demeura lui-même, jusqu’à ce que l’Esprit-Saint nous dise de nous reposer de nos fatigues. Qui que ce soit qui nous conseille de descendre de la croix, ne l’écoutons point; non, mes Frères, n’écoutons ni la chair, ni le sang, ni même l’esprit qui nous le conseillerait. Demeurons attachés à la croix, mourons sur la croix, n’en descendons que portés par des mains étrangères, que ce ne soit jamais par le fait de notre légèreté. Ce furent des hommes justes qui détachèrent notre chef de la croix, puisse-t-il nous faire la grâce de charger ses anges de nous descendre de la nôtre, afin que, après avoir vécu en hommes le jour de la croix, nous goûtions le second jour, qui est celui qui commence à notre mort, un doux repos, dans l’heureux sommeil du sépulcre, en attendant l’accomplissement de nos espérances et la gloire de notre grand Dieu qui doit ressusciter nos corps le troisième jour, et les rendre semblables à son corps glorieux. Ceux qui restent quatre jours dans le tombeau répandent une odeur de corruption, ainsi qu’il est écrit de Lazare : « Seigneur, il sent déjà mauvais; car il a quatre jours qu’il est là (Joann. XI, 39). »
  9. Ce sont les enfants d’Adam qui ont fait le quatrième jour, car ce jour n’est point une création du Seigneur. Voilà pourquoi ils se sont corrompus, et sont devenus abominables, tels que ces bêtes de somme qui pourrissent sur leur fumier. Ce qui est de la création de Dieu, ce sont les trois jours dont nous avons parlé, le jour du travail, celui du repos et enfin celui de la résurrection : ces trois jours ne plaisent point aux enfants des hommes, et ils préfèrent un jour de leur façon ; ils diffèrent donc de faire pénitence et suivent leur penchant pour la volupté ; mais ce jour n’est point un jour que le Seigneur ait fait; c’est un quatrième jour, et ceux qui l’ont fait commencent déjà à exhaler une odeur de corruption. Le fruit saint des entrailles de Marie ne connaît point ce jour-là, il ressuscite le troisième jour, afin de ne point connaître la corruption. « Le Lion de la tribu de Juda a vaincu (Amos. III. 8), » dit le Prophète. L’agneau a été immolé, mais le lion a vaincu, et il va rugir; qui est-ce qui pourra l’entendre sans trembler; et ce lion, dis-je, le plus fort de tous les animaux, le seul qui ne tremble point à l’approche d’un autre, c’est le Lion de Juda. Que ceux-là qui l’ont renié, et qui ont dit : « Nous n’avons d’autre roi que César (Joann. XIX, 15), » tremblent maintenant. Que ceux qui se sont écriés : « Nous ne voulons point qu’il règne sur nous (Luc, XIX, 14) », soient saisis de crainte; car voici qu’il revient après avoir gagné un royaume, et il va perdre les méchants. Voulez-vous être convaincus qu’il ne revient qu’après avoir acquis un royaume, écoutez ce qu’il dit : « Toute puissance m’a été donnée sur la terre et dans les cieux (Math. XXVIII, 18). » Entendez également le Père vous dire dans le Psalmiste : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j’étendrai votre domaine jusqu’aux confins de le terre. Vous les gouvernerez avec un sceptre de fer, et vous les briserez comme un vase d’argile (Psal. II, 8 et 9). » Si le lion est fort, il n’est pas cruel ; néanmoins son courroux est terrible, intolérable est aussi la colère de la colombe (Jérem. XXV, 38). Mais, s’il rugit, c’est pour les lions, non point contre eux ; que ceux qui ne sont pas à lui tremblent donc, mais que la tribu de Juda soit au contraire dans la jubilation.
  10. Que tous ceux qui ont été couverts de confusion se réjouissent maintenant, qu’ils se livrent à l’allégresse ceux dont les ossements peuvent dire : Seigneur, qui est semblable à vous? « Le lion de la tribu de Juda, la souche de David a vaincu (Apoc. V, 5). » Or, on dit que David était en même temps doué de beauté et de force, et il s’écrie : « Seigneur, tout ce que je désire est devant vos yeux (Psal. XXXVII, 10), » et « c’est en vous que je conserverai ma force (Psal. LVIII, 10). » Il est appelé «souche de David » par le Prophète; ce n’est pas David qui est la souche de Jésus-Christ, mais c’est Jésus-Christ qui est la souche de David, attendu que c’est en effet le Christ qui porte David, non point David qui porte le Christ. O David, ô saint roi, vous avez bien raison d’appeler votre fils, votre Seigneur; car ce n’est pas vous qui portez votre souche, mais c’est votre souche qui vous porte; la souche, dis-je, de votre force et de votre ardent désir, la souche désirable et forte. « Le Lion de la tribu de Juda, la souche de David a vaincu, et, par sa victoire, il a mérité d’ouvrir le livre et d’en rompre les sept sceaux (Ibid. 5). » Ces paroles sont tirées de l’Apocalypse, que ceux qui ne les ont jamais lues les apprennent aujourd’hui, et que ceux qui les connaissent se les rappellent. Saint Jean dit donc : « Je vis ensuite dans la main droite de celui qui était assis sur le trône un livre… scellé de sept sceaux, mais il n’y avait personne qui pût ni le lire ni l’ouvrir. Et moi je fondais en larmes parce qu’il ne se trouvait personne qui fût digne d’ouvrir ce livre. Alors un des vieillards me dit : ne pleurez point, car voici le Lion de la tribu de Juda, la souche de David qui a obtenu la victoire… En même temps je vis l’agneau sur le trône comme égorgé…, il vint, prit le livre des mains de celui qui était assis sur le trône, et l’ouvrit… Il y eut alors une grande joie, et il se fit entendre de grandes actions de grâces (Ibid. de 1 à 9). » Saint Jean avait entendu parler d’un lion et il vit un agneau; cet agneau est égorgé, il prend le livre, il l’ouvre, et il apparaît lion; alors les vieillards de s’écrier : « L’Agneau, qui a été immolé, est digne de recevoir la force (Ibid. 29), » non point de perdre sa douceur, mais de recevoir la force, afin qu’il ne cesse point d’être agneau, tout en devenant un lion. Je vais même plus loin, le livre qu’on ne pouvait ouvrir me semble n’être pas autre chose que Lui. En effet, qui pourrait se trouver digne de l’ouvrir ce livre ? Jean Baptiste lui-même s’en juge indigne, et cependant de tous ceux qui sont nés de la femme, Jean est le plus grand. Or c’est lui-même qui dit : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordes de ses souliers (Marc. I, 7). » Car la majesté divine était venue à nous chaussée, c’est-à-dire incarnée, et la sagesse de Dieu était enfoncée dans un livre fermé, et scellé même. Ce que liaient les cordons de ses souliers était la même chose que ce que scellaient les sceaux de ce livre.
  11. Mais pourquoi étaient-ils au nombre de sept ? Ne serait-ce point pour désigner les trois facultés de l’âme, la raison, la mémoire et la volonté, et les quatre éléments dont nos corps sont composés, et nous apprendre ainsi qu’il n’a rien manqué au Sauveur de ce qui fait notre humanité ? Ou plutôt, ne peut-on pas dire que le livre de l’Apocalypse représente l’humanité de Jésus-Christ, mais alors quels en seraient les sept sceaux ? Je pense qu’on peut les trouver dans les sept merveilles de la présence de la majesté divine dans une chair mortelle, qui empêcheraient qu’on ouvrit le livre et qu’on vît la sagesse qui y était enfermée. Mais, en attendant, voici ce qui me vient à la pensée : ce sont d’abord les fiançailles de sa mère qui furent comme le voile qui déroba à tous les regards l’enfantement d’une vierge et la pureté de sa conception, et qui fit croire que Jésus, l’artisan dont les mains ont fait l’homme, était lui-même le fils d’un artisan; puis la faiblesse de son corps qui pleure et qui vagit, qu’on allaite, qui dort et qui est sujet à toutes les nécessités de la nature, mais qui cache, sous ces faibles dehors la vertu même d’un Dieu. Vient ensuite la marque de la circoncision, de ce remède du péché et des maladies de l’âme qu’il reçut, lui qui était venu pour faire disparaître toutes ces maladies et pour détruire le péché. Après cela, c’est sa fuite en Egypte, où l’on ne pouvait soupçonner dans celui qui fuyait la présence d’un aussi petit roi qu’Hérode, du Fils de Dieu, et du vrai roi du ciel. Qu’est-ce encore que cette triple tentation à laquelle l’ennemi du salut le soumit dans le désert, au sommet du temple et sur le haut de la montagne, en lui disant : « Si vous êtes le Fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains; » et encore, «jetez-vous en bas (Matth. IV, 6) » ? Jésus-Christ ne fit ni l’un ni l’autre, pour que le livre demeurât scellé et que le rusé tentateur fût trompé. Il le fut en effet, au point de le tenir fermement pour un simple mortel, et son orgueil en vint, dans son incroyable délire, jusqu’à oser lui dire non plus, « si vous êtes le Fils de Dieu,» mais, « je vous donnerai tout ce que vous voyez-là, si, vous prosternant, devant moi, vous m’adorez. » Le sixième sceau du livre est la croix elle-même où il fut attaché entre deux larrons, et mis au rang des scélérats, tout Seigneur de gloire qu’il fût. Enfin le tombeau est le septième sceau qui ferma ce livre, et nul sceau ne le scella plus vigoureusement et ne le cacha mieux à tous les regards que ce grand mystère de charité. En effet, lorsque le Seigneur fut enfermé dans le sépulcre, il semble qu’il ne restait plus de place que pour le désespoir; c’est au point qu’en effet, ses disciples s’exprimaient ainsi : « Nous espérions (Luc. XXIV, 21). » Qui donc n’aurait fondu en larmes alors sur ce livre si bien fermé et scellé, en voyant qu’il ne se trouvait personne pour l’ouvrir ?
  12. Mais séchez vos larmes, ô saint Jean, et vous, Marie, ne pleurez point davantage. Loin de vous ce deuil, que les nuages de la tristesse se dissipent. Réjouissez-vous dans le Seigneur et soyez transportés de joie, vous qui êtes justes, publiez sa gloire, vous qui avez le cœur droit (Psal. XXXI, 14). L’Agneau qui a été immolé, le lion qui est ressuscité, enfin le livre lui-même est digne de s’ouvrir de ses propres mains. En ressuscitant d’entre les morts, mais en ressuscitant par sa propre vertu, trois jours après sa mort, ainsi qu’il l’avait annoncé à ses apôtres, et comme ses ennemis eux-mêmes nous témoignent qu’il le fit en effet, en ressuscitant, dis-je, avec une telle majesté et une telle gloire, il montre assez évidemment que tous ces sceaux, tous ces déguisements dont nous avons parlé, étaient volontaires en sa personne, non point un effet de la nécessité, et qu’ils étaient la suite, non de sa nature, mais de son vouloir. Dans quelle pensée, ô Juif, scellais-tu donc la pierre de son sépulcre? « C’est, me réponds-tu, parce que cet imposteur a dit, lorsqu’il vivait encore : je ressusciterai trois jours après (Matth. XXVII, 63). » Oui, c’était bien un séducteur que ce Jésus, mais un séducteur plein de bonté, non de malice. « Enfin, dit notre Prophète, en parlant en votre propre nom, vous m’avez séduit, Seigneur, et j’ai été séduit; vous avez été plus fort que moi, et vous l’avez emporté sur moi (Jer. XX, 7). » S’il vous a séduit, ô Juif, ç’a été dans sa passion, car dans sa résurrection il a montré sa puissance et le Lion de Juda, l’a emporté sur vous. « En effet, s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire (I Cor. II, 8). » Que feras-tu donc, ô Juif ? Il a prédit, qu’il ressusciterait, et voilà qu’il a tenu parole. Examine le sceau que tu avais placé sur son sépulcre, il est rompu. Il t’a donné le miracle de Jonas comme il te l’avait prédit (Matth. XII, 39 et Luc. XI, 29). Jonas sort du ventre de la baleine, et le Christ sort de même des entrailles de la terre, après y être resté trois jours. Mais il y a eu manifestement beaucoup plus que Jonas dans celui qui s’est virilement arraché lui-même du sein du trépas. Aussi les habitants de Ninive s’élèveront-ils contre toi le jour du jugement dernier et seront tes juges, attendu qu’ils se sont soumis à la voix du Prophète et que tu n’écoutes pas la voix du Seigneur ni même des prophètes.

 

  1. Qu’est devenu aussi ce que vous disiez, ô Juifs : « Qu’il descende de sa croix et nous croyons en lui (Matth. XXVII, 42) ? » Vous avez voulu rompre le sceau de la croix, en promettant que ce serait pour vous un motif d’embrasser la Foi. Eh bien, il est ouvert sans être rompu, embrassez-la donc maintenant, ou si vous ne croyez pas quand il ressuscite, c’est que vous n’auriez pas cru davantage en lui quand il serait descendu de sa croix. Si la crois du Sauveur vous scandalise de la sorte, « car, selon l’Apôtre, le seul mot de crois est un scandale pour les Juifs (I Cor. I, 23), » que du moins ce qu’il y a de nouveau dans le fait de sa résurrection vous excite. Quant à nous, nous trouvons, notre gloire dans la croix, et, pour nous qui sommes sauvés, la croix c’est la force même de Dieu ; c’est, comme nous l’avons montré, la plénitude de toutes les vertus. Puissiez-vous du moins avoir votre tour dans la résurrection ; mais hélas ! Peut-être elle aussi, elles surtout, vous scandalisent-elle, peut-être ce qui, pour nous, exhale une odeur de vie, pour vous n’exhale-t-il qu’une mortelle odeur de mort. Pourquoi donc insisterai-je ? Mon frère aîné ne peut entendre les accords de la musique et le chant des chœurs, il s’indigne de voir qu’on a tué pour moi le veau gras. Il reste à la porte de la maison, et refuse opiniâtrement d’y entrer. Mais nous, mes frères, entrons-y, et faisons une fête en mangeant l’agneau divin avec les pains, sans levain, de la sincérité et de la vérité, car Jésus-Christ, notre pâque, a été immolé pour nous (1 Cor. V, 7 ). Embrassons les vertus qui nous sont recommandées dans la crois, l’humilité, la patience, l’obéissance et la charité.
  2. Considérons aussi avec une sérieuse attention ce que cette solennité nous enseigne en particulier. En effet, qui dit résurrection dit passage, transmigration. En effet, mes frères, le Christ ne s’est point reposé aujourd’hui, il est allé d’un pays à l’autre, non pas revenu à son point de départ. Enfin la Pâque même que nous célébrons ne signifie point retour mais passage, et la Galilée où on nous promet que nous verrons le ressuscité, n’a pas le sens de retour, mais de transmigration. Je m’imagine que l’esprit de plusieurs d’entre vous me devance et soupçonne où j’en veux venir ; je le dirai pourtant, mais en deux mots, afin de ne point fatiguer votre attention par un trop long discours dans ce jour de fête. Si, après la consommation de la croix, le Christ n’était revenu à la vie que pour recommencer notre existence pleine de misères, je ne vous dirais point, mes frères qu’il a passé mais qu’il est revenu, ni qu’il s’est élevé à un état plus sublime, mais qu’il est rentré dans celui où il était auparavant. Mais comme il est entré dans une vie toute nouvelle, il nous invite, par son exemple, à faire aussi notre pâque et à le suivre dans la Galilée, d’autant plus, qu’en montrant par le péché, il n’est mort qu’une fois, et que, maintenant qu’il vit, il vit non pour la chair, mais pour Dieu.
  3. Or, que disons-nous, nous qui dépouillons la sainte résurrection du Seigneur du nom qui lui est propre, et qui en faisons plutôt un retour qu’un passage pour nos âmes? Nous avons versé des larmes pendant ces derniers jours, nous avons vaqué à la componction et à la prière, au recueillement et à l’abstinence, afin de racheter et d’effacer, pendant cette sainte quarantaine nos négligences, du reste de l’année. Nous avons communié aux souffrances du Christ„ et nous avons été entés de nouveau sur lui, par un second baptême, par le baptême de larmes, de pénitence et de confession, s’il m’est permis de parler ainsi. Si donc nous sommes véritablement morts au péché, comment pourrons-nous revivre au péché? Si nous avons pleuré sur, nos négligences, comment se peut-il que nous y retombions encarte désormais ? On nous retrouvera donc encore curieux et bavards comme auparavant, lâches et négligents comme jadis, vains, soupçonneux, détracteurs, colères, et le reste, après avoir gémi dans ces derniers: temps de trouver, tous ces défauts en nous. J’ai lavé mes pieds, comment pourrai-je me décider à les souiller de nouveau (Cant. V, 3)? Je me suis dépouillé de ma vieille tunique ; comment consentirai-je à m’en revêtir encore? Le faire ce n’est peint émigrer, mes frères, ce n’est pas prendre le chemin qui nous fera voir le Christ, ce n’est pas en suivant cette route que nous arriverons au lieu où Dieu nous montrera les Sauveur qu’il nous envoie : après tout, quiconque regarde en arrière, est indigne du royaume de Dieu (Luc. IX, 62).
  4. C’est dans ces dispositions que se trouvent les amis du siècle qui sont les ennemis de la croix de Jésus-Christ dont ils ont reçu en vain le nom de chrétiens; pendant tout le temps de cette sainte quarantaine, ils n’aspirent qu’après le jour de la résurrection, hélas, afin de se livrer plus librement au plaisir. Ah ! Mes frères, en pensant à cela, un voile de tristesse s’abaisse pour moi sur la joie de cette solennité, aussi gémissons-nous et versons-nous des larmes sur la profanation de cette fête que nous ne pouvons point ne pas voir aujourd’hui, que dis-je, que nous ne pouvons point ne pas voir surtout aujourd’hui. O douleur! Le jour de la résurrection du Sauveur devient un jour de péché, une époque de retour au mal! En effet, à partir d’aujourd’hui les repas et les excès de table recommencent, les débauches et les impudicités reprennent leur cours, la concupiscence à la bride sur le cou, comme si le Christ n’était ressuscité que pour cela, non point plutôt pour notre justification? Vous lui avez préparé une salle pour le recevoir à son arrivée prochaine, vous avez confessé vos péchés avec larmes et gémissements, vous avez châtié votre corps et répandu des aumônes, et voilà que à peine entré chez vous, vous le livrez à ses ennemis, que dis-je, vous le forcez à fuir, en rappelant vos anciennes iniquités. La lumière, vous le savez bien, ne peut habiter en même temps avec les ténèbres, ni le Christ avec l’orgueil, avec l’aversion avec l’ambition, avec la haine de nos frères, avec la luxure et la fornication. Devons-nous donc faire moins pour lui présent, que pour lui devant venir? En quoi donc le jour de la résurrection du Sauveur réclame-t-il moins de respect, que celui de sa passion? Mais vous, ô mondains, ce n’est que trop évident, vous n’honorez ni l’un ni l’autre. Car si vous aviez véritablement partagé ses souffrances, vous régneriez maintenant avec lui, vous ressusciteriez avec lui.
  5. Pour moi, toute humiliation qui n’est pas suivie de l’allégresse spirituelle n’est que le fruit d’une habitude qui se fait sentir à ses jours, c’est un semblant d’humiliation. Aussi l’Apôtre nous dit-il « Voilà pourquoi il y en a tant qui sont infirmes ou sans forces, tant qui s’endorment du sommeil de la mort (I Cor. XI, 30). » Oui, de là viennent ces mortalités fréquentes qui désolent certaines contrées, surtout de nos jours. En effet, qu’est-il arrivé? C’est que vous avez été saisis au milieu d’angoisses extrêmes, vous tous qui avez prévariqué, que dis-je, prévariqué, qui avez persévéré dans vos prévarications et en avez ajouté de nouvelles aux anciennes ; qui n’avez point fait pénitence, ou qui n’avez fait qu’une pénitence pleine de tiédeur, qui ne fuyez point les occasions dangereuses, même après en avoir fait une triste expérience, et n’évitez point les attraits du péché. Aussi, l’ennemi du salut vous a-t-il serrés dans ses liens, comme dit l’Écriture, avec tant de force que les nerfs de la cuisse en étaient tout contractés par la violence (Job. XL, 12). Si, ayant conscience de votre état, vous vous éloignez des sacrements de Jésus-Christ, vous n’avez plus rien de commun avec lui, vous n’avez plus la vie en vous. Entendez-le vous dire, en effet: « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous (Joan. VI, 54). » Mais si d’un autre côté vous les recevez indignement, vous mangez votre propre condamnation, parce que vous ne distinguez point le corps saint du Seigneur, d’une nourriture ordinaire ( I Cor. II 29). Rentrez donc en vous-mêmes, pécheurs, cherchez le Seigneur de toute votre âme, et haïssez le mal de toutes vos forces : faites pénitence, non du bout des lèvres, mais en esprit et en vérité. Or, ce n’est pas, du moins il me le semble ainsi, ce n’est pas se repentir de sa faute comme il faut, que de demeurer encore sur la voie glissante du péché; ni de ses égarements, que de ne point chercher un guide. Les marques d’une vraie pénitence se trouvent dans la fuite, dans le retranchement des occasions du mal. Autrement, il est bien à craindre que ce jour, dont on peut dire aussi d’ailleurs qu’il est un jour de ruine et de résurrection pour plusieurs, ne soit pour vous un jour de réprobation, soit parce que vous êtes manifestement loin du Christ, puisque vous ne le recevez point dans la communion, soit parce que vous vous en approchez dans la société de Judas, en qui Satan entra aussitôt après qu’il eût pris la bouchée de pain que Jésus lui présenta.

 

  1. Mais après tout, mes frères, qu’ai-je à m’occuper des gens du dehors ? À moins que ce ne soit pour gémir de nous être trouvés autrefois pris dans les mêmes filets qui les retiennent encore, et pour nous féliciter d’être sortis, par un effet de la grâce seule de Dieu, de ces liens où nous ne pouvons-nous empêcher de déplorer avec des larmes de frères de les voir encore retenus. D’ailleurs, plaise à Dieu que nous nous trouvions nous-mêmes tout à fait exempts de cette malheureuse et sacrilège servitude, et que, au lieu de décroître en ferveur et de diminuer nos pratiques spirituelles depuis que le jour de la sainte résurrection du Sauveur a lui, nous nous efforcions au contraire d’avancer sans cesse et de croître toujours davantage. Quiconque, après les lamentations de la pénitence, ne retourne plus aux consolations charnelles, et met au contraire toutes ses espérances dans la divine miséricorde, s’engage dans une voie nouvelle de piété, si je puis le dire, et marche vers la joie qui vient de l’Esprit-Saint : aussi est-il encore moins accablé par le souvenir du passé que charmé, embrasé même par la pensée des récompenses éternelle s; celui-là, dis-je, est véritablement ressuscité avec Jésus-Christ, célèbre une vraie Pâque et se rend, en effet en toute hâte dans la Galilée. Pour vous donc, ô mes bien-aimés, si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez maintenant ce qui est dans le ciel où le Christ est assis à la droite de Dieu. N’ayez de goût que pour les choses du ciel, non plus pour celles de la terre (Coloss. III, 1 et 1); afin que, de même que le Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire de son Père, vous marchiez aussi dans une voie nouvelle (Rom. VI, 4), et passiez avec bonheur des joies et des consolations du siècle par la componction des cœurs et la tristesse de l’âme, qui est selon Dieu, à une sainte dévotion, à une joie toute spirituelle, avec la grâce de celui qui est passé de ce monde à son père, et qui daigne nous appeler à sa suite dans la Galilée, pour s’y montrer à nous, lui qui est Dieu et béni par-dessus tout dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Saint Bernard de Clarivaux, sermon de Pâques sur les sept sceaux brisés de l’Agneau

[1] Telle est la leçon de ce Psaume telle qu’elle se lit encore maintenant dans la version Romaine ou italique du Psaume XCV, ainsi que dans notre Psautier de saint Germain. Voir le Dialogue de saint Justin avec Tryphon.

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