Dom Guéranger : Dévotion pour la Nativité de Jésus-Christ (2)

LA MESSE DE L’AURORE : L’Office des Laudes est achevé, les cantiques de réjouissance par lesquels l’Église remercie le Père des siècles de ce qu’il a fait lever son Soleil de justice sont épuisés : il est temps d’offrir le second Sacrifice, le Sacrifice de l’aurore. La sainte Église a glorifié, par la première Messe, la naissance temporelle du Verbe, selon la chair ; à cette heure, elle va honorer une seconde naissance du même Fils de Dieu, naissance de grâce et de miséricorde, celle qui s’accomplit dans le cœur du chrétien fidèle.

Voici que, dans ce moment même, des bergers invités par les saints Anges arrivent en hâte à Bethléhem ; ils se pressent dans l’étable, trop étroite pour contenir leur foule. Dociles à l’avertissement du ciel, ils sont venus reconnaître le Sauveur qu’on leur a dit être né pour eux. Ils trouvent toutes choses telles que les Anges les leur ont annoncées. Qui pourrait dire la joie de leur cœur, la simplicité de leur foi ? Ils ne s’étonnent point de rencontrer, sous les livrées d’une pauvreté pareille à la leur, Celui dont la naissance émeut les Anges mêmes. Leurs cœurs ont tout compris ; ils adorent, ils aiment cet Enfant. Déjà ils sont chrétiens : l’Église chrétienne commence en eux ; le mystère d’un Dieu abaissé est reçu dans les cœurs humbles. Hérode cherchera à faire périr l’Enfant ; la Synagogue frémira ; ses docteurs s’élèveront contre Dieu et contre son Christ ; ils mettront à mort le libérateur d’Israël ; mais la foi demeurera ferme et inébranlable dans l’âme des bergers, en attendant que les sages et les puissants s’abaissent à leur tour devant la crèche et la croix.

Que s’est-il donc passé au cœur de ces hommes simples ? Le Christ y est né, il y habite désormais par la foi et l’amour. Ils sont nos pères dans l’Église ; et c’est à nous de leur devenir semblables. Appelons donc, à notre tour, le divin Enfant dans nos âmes ; faisons-lui place, et que rien ne lui ferme plus l’entrée de nos cœurs.

C’est pour nous aussi que parlent les Anges, c’est à nous qu’ils annoncent l’heureuse nouvelle ; le bienfait ne doit pas s’arrêter aux seuls habitants des campagnes de Bethléhem. Or, afin d’honorer le mystère de la venue silencieuse du Sauveur dans les âmes, le Prêtre va tout à l’heure remonter au saint autel, et présenter, pour la seconde fois, l’Agneau sans tache aux regards du Père céleste qui l’envoie.

Que nos yeux soient donc fixés sur l’autel, comme ceux des bergers sur la crèche ; cherchons-y, comme eux, l’Enfant nouveau-né, enveloppé de langes. En entrant dans l’étable, ils ignoraient encore Celui qu’ils allaient voir ; mais leurs cœurs étaient préparés. Tout à coup ils l’aperçoivent, et leurs yeux s’arrêtent sur ce divin Soleil. Jésus, du fond de la crèche, leur envoie un regard de son amour ; ils sont illuminés, et le jour se fait dans leurs cœurs. Méritons qu’elle s’accomplisse en nous, cette parole du prince des Apôtres : « La lumière luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour vienne à briller, et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. »

Nous y sommes arrivés, à cette aurore bénie ; il a paru, le divin Orient que nous attendions, et il ne se couchera plus sur notre vie : car nous voulons craindre par-dessus tout la nuit du péché dont il nous délivre. Nous sommes les enfants de la lumière et les fils du jour ; nous ne connaîtrons plus le sommeil de la mort ; mais nous veillerons toujours, nous souvenant que les bergers veillaient quand l’Ange leur parla, et que le ciel s’ouvrit sur leurs têtes. Tous les chants de cette Messe de l’Aurore vont nous redire la splendeur du Soleil de justice ; goûtons-les comme des captifs longtemps enfermés dans une prison ténébreuse, aux yeux desquels une douce lumière vient rendre la vue. Il resplendit, au fond de la crèche, ce Dieu de lumière ; ses divins rayons embellissent encore les augustes traits de la Vierge-Mère qui le contemple avec tant d’amour ; le visage vénérable de Joseph en reçoit aussi un éclat nouveau ; mais ces rayons ne s’arrêtent pas dans l’étroite enceinte de la grotte. S’ils laissent dans ses ténèbres méritées l’ingrate Bethléhem, ils s’élancent par le monde entier, et allument dans des millions de cœurs un amour ineffable pour cette Lumière d’en haut qui arrache l’homme à ses erreurs et à ses passions, et l’élève vers la sublime fin pour laquelle il a été créé.

Mais, à ce moment, la sainte Église, au milieu de tous ces mystères du Dieu incarné, nous présente, au sein même de l’humanité, un autre objet d’admiration et d’allégresse. Au souvenir si cher et si glorieux de la Naissance de l’Emmanuel, elle unit, dans ce Sacrifice de l’Aurore, la mémoire solennelle d’une de ces âmes courageuses qui ont su conserver la Lumière du Christ, en dépit de tous les assauts des ténèbres. Elle honore, à cette heure même, une pieuse veuve romaine qui, en ce jour de la naissance du Rédempteur, naquit à la vie céleste, par la croix et la souffrance, sous la persécution de Dioclétien.

Anastasie, épouse d’un Romain nommé Publius, eut beaucoup à souffrir de la brutalité de ce païen, qui s’irritait de sa générosité envers les serviteurs de Dieu. Après de cruels traitements endurés avec patience, elle fut enfin affranchie du joug qui l’accablait ; mais s’étant vouée à la visite et au soulagement des confesseurs de la foi qui remplissaient les prisons de Rome durant cette affreuse persécution, elle fut arrêtée elle-même comme chrétienne, liée à un poteau et brûlée vive. Son Église, à Rome, bâtie sur l’emplacement de sa maison, est le lieu de la Station pour la Messe de l’Aurore ; et autrefois le Souverain Pontife y venait célébrer cette seconde Messe. Léon XII l’a encore pratiqué en ce siècle.

Admirons ici la délicatesse maternelle de la sainte Église, qui, voulant associer le nom d’une sainte à la gloire de cette solennité dans laquelle triomphe si merveilleusement la virginité de Marie, a choisi de préférence une sainte veuve, afin de montrer que l’état du mariage, quoique inférieur en sainteté et en dignité à celui de la continence, n’est cependant pas déshérité des bénédictions que le divin enfantement a méritées à la terre. En ce même jour, une vierge, sainte Eugénie, a souffert à Rome un cruel et courageux martyre, sous la persécution de Gallien ; cependant, l’épouse de Publius, Anastasie, a été préférée. Cette attention, si pleine d’intelligence maternelle de la part de l’Église, rappelle tout naturellement ces belles paroles de saint Augustin dans son IXème Sermon pour la fête de Noël :

« Triomphez, vierges du Christ : la Mère du Christ est votre compagne. Vous n’avez pas enfanté le Christ ; mais, pour le Christ, vous avez renoncé aux douceurs delà maternité ; Celui qui n’est pas né de vous, est né pour vous. Cependant, si vous vous souvenez de sa parole, n’êtes-vous pas vous-mêmes ses propres mères, puisque vous faites la volonté de son Père ? car il a dit : Celui qui fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère.

« Triomphez, veuves du Christ ; car vous avez voué une sainte continence à Celui qui a rendu féconde la virginité. Triomphez aussi, chasteté nuptiale, vous toutes qui vivez dans la fidélité à vos époux ; ce que vous perdez selon la chair, vous le gardez dans votre cœur. Que votre conscience demeure vierge, par cette foi qui fait que l’Église est vierge tout entière. Le Christ est Vérité, Paix et Justice : concevez-le par la foi, enfantez-le par les œuvres ; ce que le sein de Marie a fait pour la chair du Christ, que votre cœur le fasse pour la loi du Christ. Comment n’auriez-vous pas votre part dans l’enfantement de la Vierge, puisque vous êtes les membres du Christ ? Marie a enfanté Celui qui est le Chef ; l’Église vous a enfantées, vous qui êtes les membres. Car elle aussi est mère et vierge : mère par ses entrailles de charité, vierge par l’intégrité de la foi et de la piété. »

Mais il est temps de lever les yeux vers le saint autel, où le Sacrifice commence. L’Introït célèbre le lever du divin Soleil. L’éclat de son aurore annonce déjà les splendeurs de son midi. Il a en partage la force et la beauté ; ils s’est armé pour sa victoire, et son nom est le Prince de la Paix.

La prière de l’Église, en cette Messe de l’Aurore, est pour implorer l’effusion des rayons du Soleil de justice sur lésâmes, afin qu’elles deviennent fécondes en œuvres de lumière, et que les anciennes ténèbres ne reparaissent plus.

ÉPÎTRE.

Le Soleil qui s’est levé sur nous, c’est un Dieu Sauveur, dans toute sa miséricorde. Nous étions loin de Dieu, dans les ombres de la mort ; il a fallu que les divins rayons descendissent jusqu’au fond de l’abîme où le péché nous avait précipités ; et voilà que nous en sortons régénérés, justifiés, héritiers de la vie éternelle. Qui nous séparera maintenant de l’amour de cet Enfant ? Voudrions-nous rendre inutiles les merveilles d’un amour si généreux, et redevenir encore les esclaves des ténèbres de la mort ? Gardons bien plutôt l’espérance de la vie éternelle, à laquelle de si hauts mystères nous ont initiés.

ÉVANGILE.

Imitons l’empressement des bergers à aller trouver le nouveau-né. A peine ont-ils entendu la parole de l’Ange, qu’ils partent sans aucun retard, et se rendent à l’étable. Arrivés en présence de l’Enfant, leurs cœurs déjà préparés le reconnaissent ; et Jésus, par sa grâce, prend naissance en eux. Ils se réjouissent d’être petits et pauvres comme lui ; ils sentent qu’ils lui sont unis désormais, et toute leur conduite va rendre témoignage du changement qui s’est opéré dans leur vie. En effet, ils ne se taisent pas, ils parlent de l’Enfant, ils s’en font les apôtres ; et leur parole ravit d’admiration ceux qui les entendent. Glorifions avec eux le grand Dieu qui, non content de nous appeler à son admirable lumière, en a placé le foyer dans notre cœur, en s’unissant à lui. Conservons chèrement en nous le souvenir des mystères de cette grande nuit, à l’exemple de Marie, qui repasse sans cesse dans son très saint Cœur les simples et sublimes événements qui s’accomplissent par elle et en elle. Pendant l’offrande des dons sacrés, l’Église relève la puissance de l’Emmanuel, qui, pour raffermir ce monde déchu, s’est abaissé jusqu’à n’avoir, pour former sa cour, que d’humbles bergers, mais qui n’en est pas moins assis sur son trône de gloire et de divinité, à jamais, et avant tous les siècles.

Après la communion du Prêtre et du peuple, la sainte Église, tout illuminée de la douce lumière de son Époux auquel elle vient de s’unir, s’applique à elle-même ces paroles du Prophète Zacharie annonçant la venue du Roi Sauveur.

Le second Sacrifice achevé, et la Naissance de grâce ayant été célébrée par cette nouvelle immolation de l’immortelle victime, les fidèles se retirent de l’église, et vont réparer leurs forces par le sommeil, en attendant la célébration du troisième Sacrifice.

Dans l’étable de Bethléhem, Marie et Joseph veillent auprès de la crèche. La Vierge-Mère prend respectueusement dans ses bras le nouveau-né et lui présente le sein. Le Fils de l’Eternel, comme un simple mortel, s’abreuve à cette source de la vie. Saint Éphrem essaye de nous initier aux sentiments qui se pressent alors dans l’âme de Marie, et il nous traduit ainsi son langage :

« Par quelle faveur ai-je enfanté Celui qui étant simple se multiplie partout, Celui que je tiens petit dans mes bras et qui est si grand, Celui qui est à moi ici tout entier, et qui tout entier est aussi en tous lieux ? Le jour où Gabriel descendit vers ma faiblesse, de servante que j’étais, je devins princesse. Toi, le Fils du Roi, tu fis de moi tout à coup la fille de ce Roi éternel. Humble esclave de ta divinité, je devins la mère de ton humanité, ô mon seigneur et mon fils ! De toute la descendance de David, tu es venu choisir cette pauvre jeune fille et tu l’as entraînée jusque dans les hauteurs du ciel où tu règnes. Oh ! quelle vue ! un enfant plus ancien que le monde ! son regard cherche le ciel ; ses lèvres ne s’ouvrent pas ; mais dans ce silence, c’est avec Dieu qu’il converse. Cet œil si ferme n’indique-t-il pas Celui dont la Providence gouverne le monde ? Et comment osé-je lui donner mon lait, à lui qui est la source de tous les êtres ? comment lui servirai-je la nourriture, à lui qui alimente le monde entier ? comment pourrai-je manier ces langes qui enveloppent Celui qui est revêtu de la lumière ? »

Le même saint Docteur du IVème siècle nous montre saint Joseph remplissant auprès de l’Enfant divin les touchants devoirs du père. Il embrasse, dit-il, le nouveau-né,

il lui prodigue ses caresses, et il sait que cet enfant est un Dieu. Hors de lui, il s’écrie : « D’où me vient cet honneur que le Fils du Très-Haut me soit ainsi donné pour fils ? O enfant, je fus alarmé, je le confesse, au sujet de ta mère : je songeais même à m’éloigner d’elle. L’ignorance où j’étais du mystère m’avait été un piège. En ta mère cependant résidait le trésor caché qui devait faire de moi le plus opulent des hommes. David mon aïeul ceignit le diadème royal, moi j’étais descendu jusqu’au sort de l’artisan ; mais la couronne que j’avais perdue est revenue à moi, lorsque, Seigneur des rois, tu daignes te reposer sur mon sein. » Au milieu de ces colloques sublimes, la lumière du nouveau-né, devant laquelle pâlit celle du soleil qui se lave, remplit toujours la grotte et ses alentours ; mais, les bergers étant partis, les chants des Anges étant suspendus, le silence s’est fait dans ce mystérieux asile. En prenant notre repos sur notre couche, songeons au divin Enfant, et à cette première nuit qu’il passe dans son humble berceau. Pour se conformer aux nécessités de notre nature qu’il a adoptée, il clôt ses tendres paupières, et un sommeil volontaire vient parfois endormir ses sens ; mais, au milieu de ce sommeil, son cœur veille et s’offre sans cesse pour nous. Parfois aussi, il sourit à Marie qui tient ses yeux attachés sur lui avec un ineffable amour ; il prie son Père, il implore le pardon des hommes ; il expie leur orgueil par ses abaissements ; il se montre à nous comme un modèle de l’enfance que nous devons imiter. Prions-le de nous donner part aux grâces de son divin sommeil, afin que, après avoir dormi dans la paix, nous puissions nous réveiller dans sa grâce, et poursuivre avec fermeté notre marche dans la voie qui nous reste à parcourir.

LA JOURNÉE DE NOËL.

Le son des cloches, qui annonce l’approche de la troisième Messe, de la Messe du Jour, est venu interrompre joyeusement notre sommeil. Elles semblent répéter, avec l’Église, ces belles paroles qui ont ouvert les chants de la longue veille de cette nuit : Le Christ nous est né ; venez, adorons-le !

Le soleil luit au ciel, non point avec les feux qu’il versera au solstice d’été ; mais sa lumière pâle n’annonce pas moins la victoire. Aujourd’hui, il a vaincu les ombres, et il monte dans le ciel comme un conquérant assuré du triomphe. Adorons, sous son emblème, le Soleil de Justice, Jésus notre doux Sauveur, qui débute aussi dans sa glorieuse carrière.

En attendant le moment de partir pour l’église, puisons l’aliment de notre prière matutinale dans les chants divers des Liturgies antiques. Tous sont pleins de joie et de tendresse ; tous célèbrent le triomphe de la lumière, l’amour du nouveau-né, la gloire de sa Mère.

Lisons d’abord ces gracieuses strophes de Prudence, le prince des poètes chrétiens, dans son Hymne qui a pour titre : VIII. Kal. Januarias.

HYMNE.

Pourquoi, abandonnant son cours si restreint naguère, le soleil remonte-t-il à l’horizon ? N’est-ce point que sur la terre est né le Christ, qui ouvre une voie plus large à la lumière ?
Oh ! quel pâle et fugitif éclat dans ces jours si prompts à s’enfuir ! Comme le lambeau du jour, presque éclipsé, éteignait peu à peu ses vacillantes lueurs !
Aujourd’hui, que le ciel s’épanouisse dans sa joie ; que la terre, en son allégresse, tressaille : voici que, pas à pas, le jour remonte à ses plus brillantes phases.
C’est toi, c’est ta naissance, Enfant divin , que saluent les éléments inertes et aveugles ! C’est pour toi que le roc dompté fléchit, et couvre ses âpres flancs de verdure.
Déjà le miel coule à flots de la pierre ; déjà l’yeuse, de son tronc aride, distille les larmes odorantes de l’amôme ; déjà le baume naît sur les bruyères.
Qu’elle est sainte, ô Roi de l’éternité, cette crèche qui te sert de berceau, que les peuples et les siècles vénèrent, que même les animaux muets entourent avec sollicitude !

Entendons maintenant les diverses Églises, de l’Orient, plus voisines à commencer par celles des lieux où le grand événement s’accomplit. Voici d’abord l’Église de Syrie, ayant pour chantre saint Éphrem, qui entonne son Cantique :
Le Fils étant né, la lumière a brillé ; les ténèbres du monde se sont évanouies, et l’univers a été illuminé ; qu’il rende gloire à l’Enfant qui l’illumine.
Il est né du sein de la Vierge, et à sa vue les ombres se sont enfuies : les ténèbres de l’erreur étant dissipées par sa présence, tout l’univers a été dans la lumière : que l’univers le glorifie.

L’Église Arménienne fait à son tour entendre sa voix ; elle chante, dans l’action même du saint Sacrifice :
Une nouvelle fleur sort aujourd’hui de la tige de Jessé, et la fille de David enfante le Fils de Dieu.
La multitude des Anges et de la milice céleste descendant des cieux, avec le Roi Fils unique, chantaient et disaient : C’est ici le Fils de Dieu. Disons tous : Cieux, tressaillez ; fondements delà terre, réjouissez-vous : car le Dieu éternel a apparu sur la terre, et a conversé avec les hommes, pour sauver nos âmes.

L’Église Grecque, dans la pompe de son langage, s’écrie :
Venez , réjouissons-nous dans le Seigneur, célébrant le mystère de ce jour. Le mur de division a été renversé, le glaive de feu est détourné ; le Chérubin ne défend plus l’approche de l’arbre de vie. Et moi je deviens participant des délices du Paradis, d’où, par désobéissance, j’avais été chassé. L’image immuable du Père, le type de son éternité, prend la forme d’un esclave, naissant d’une Vierge-Mère, sans souffrir nul changement ; car il est demeuré ce qu’il était : Dieu véritable ; il a pris ce qu’il n’était pas, devenu homme par amour pour les hommes. Crions vers lui : O toi qui es né de la Vierge ! aie pitié de nous.

La sainte Église Romaine, par la bouche de saint Léon, dans son Sacramentaire, célèbre ainsi le mystère de la Lumière divine :
C’est une chose digne et juste, équitable et salutaire, de vous rendre grâces, ô Dieu éternel ! Car aujourd’hui, la lumière véritable, la lumière de notre Sauveur s’est levée et a manifesté toutes choses à notre intelligence et à notre vue ; et non seulement elle dirigera par sa splendeur nos pas dans la vie présente ; mais elle doit nous amener jusqu’à contempler la gloire même de votre immense Majesté.

La même sainte Église Romaine, dans le Sacramentaire de saint Gélase, fait cette demande au Père céleste qui nous a envoyé son Fils :
Dieu tout-puissant et éternel, qui avez consacré ce jour par l’incarnation de votre Verbe, et par l’enfantement de la bienheureuse Vierge, accordez à vos peuples, dans cette joyeuse solennité, de devenir vos enfants par l’adoption, comme ils sont rachetés par votre grâce.

Par l’organe de saint Grégoire le Grand, dans son Sacramentaire, la même sainte Église Romaine implore la Lumière du Christ pour ses enfants :
Faites, Dieu tout-puissant, que le Sauveur que vous nous envoyez en ce jour où les cieux renouvellent leur lumière, et qui descend en cette solennité pour le salut du monde, se lève à jamais en nos cœurs pour les régénérer.

L’Église de Milan, dans sa Liturgie Ambrosienne chante aussi la Lumière nouvelle et les joies de la Vierge-Mère :
Le Seigneur, par sa venue. a dissipé toutes les ombres de la nuit ; là où la lumière n’était pas, la splendeur s’est répandue, et le jour a paru.
Réjouissez-vous et tressaillez, ô vous, la joie des Anges ! réjouissez-vous, Vierge du Seigneur, allégresse des Prophètes. Réjouissez-vous, ô vous qui, à la parole de l’Ange, avez reçu en vous Celui qui est la joie du monde ! Réjouissez-vous, ô vous qui avez enfanté votre Créateur et votre Maître ! Réjouissez-vous d’avoir été trouvée digne d’être la Mère du Christ.

L’ancienne Église des Gaules épanche son allégresse dans ces joyeuses Antiennes, que l’Église Romaine lui emprunta pendant plusieurs siècles :
Aujourd’hui la Vierge immaculée nous a donné un Dieu, sous les membres délicats d’un enfant ; elle a eu l’honneur de l’allaiter. Adorons tous le Christ qui vient nous sauver.

Réjouissons-nous tous, ô fidèles ! Notre Sauveur est né en ce monde. Aujourd’hui a paru le rejeton de la Majesté sublime, et la pudeur de la mère est demeurée intacte.

O Dame du monde, fille de race royale, le Christ est sorti de votre sein, comme l’époux de la chambre nuptiale ; il est étendu dans la crèche, Celui qui régit les astres.

L’Église Gothique d’Espagne, dans son Bréviaire Mozarabe, salue, avec toutes les autres Églises, le lever du divin Soleil :
Aujourd’hui, la lumière du monde s’est levée ; aujourd’hui, le salut de la terre a brillé ; aujourd’hui, le Sauveur d’Israël est descendu des hauteurs du ciel pour délivrer tous les captifs que l’antique ennemi, le ravisseur, avait enchaînés par le péché du premier homme, et pour rendre, par sa grâce, la lumière aux intelligences aveugles et l’ouïe aux sourds. En réjouissance du bienfait opéré par ce grand mystère, les montagnes et les collines bondissent, et les éléments du monde, avec une joie ineffable, exécutent en ce jour une mélodie sublime. Nous aussi, d’une humble prière, nous implorons la clémence du miséricordieux Rédempteur ; enveloppés des ténèbres de nos péchés, nous le prions de nous purifier par cette acclamation de nos cœurs, afin que, sa présence se manifestant dans nos âmes, l’éclat de sa gloire s’accroisse de plus en plus en nous, avec la félicité qu’elle apporte, et que les joies du salut deviennent pour nous pleines de douceur, à jamais.

Terminons notre excursion pieuse dans les antiques Liturgies, par cette Antienne de l’Église d’Irlande , au septième siècle, que nous empruntons à l’Antiphonaire de Benchor, publié par Muratori. Elle célèbre aussi le triomphe de la lumière du Soleil, image du Christ naissant.

C’est aujourd’hui que la nuit commence à perdre son empire ; le jour croit, les ténèbres sont diminuées, la splendeur augmente, et les pertes que fait la nuit profitent au développement de la lumière.

Il en est temps, chrétiens ; montons à la maison de Dieu, et préparons-nous à célébrer le troisième Sacrifice. L’Église y prélude par le chant de l’Office de Tierce.

LA MESSE DU JOUR.

Le mystère que l’Église honore, en cette troisième Messe, est la Naissance éternelle du Fils de Dieu au sein de son Père. Elle a célébré, à minuit, le Dieu-Homme naissant du sein de la Vierge dans l’étable ; à l’aurore, le divin Enfant prenant naissance dans le cœur des bergers ; en ce moment, il lui reste à contempler une naissance bien plus merveilleuse que les deux autres, une naissance dont la lumière éblouit les regards des Anges, et qui est elle-même l’éternel témoignage de la sublime fécondité de notre Dieu. Le Fils de Marie est aussi le Fils de Dieu ; notre devoir est de proclamer aujourd’hui la gloire de cette ineffable génération qui le produit consubstantiel à son Père, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière. Elevons donc nos regards jusqu’à ce Verbe éternel qui était au commencement avec Dieu, et sans lequel Dieu n’a jamais été ; car il est la forme de sa substance et la splendeur de son éternelle vérité.

La sainte Église ouvre les chants du troisième Sacrifice par l’acclamation au Roi nouveau-né.

Elle célèbre la puissante principauté qu’il possède, en tant que Dieu, avant tous les temps, et qu’il recevra, comme homme, par le moyen de la Croix qui un jour doit charger ses épaules. Il est l’Ange du grand Conseil, c’est-à-dire l’envoyé du ciel pour accomplir le sublime dessein conçu par la glorieuse Trinité, de sauver l’homme par l’Incarnation et la Rédemption. Dans cet auguste Conseil, le Verbe a eu sa divine part ; et son dévouement à la gloire de son Père, joint à son amour pour les hommes, lui en fait prendre sur lui l’accomplissement.

L’Église demande, dans la Collecte, que la nouvelle Naissance que le Fils éternel de Dieu a daigné prendre dans le temps, ne soit pas privée de son effet, mais qu’elle obtienne notre délivrance.

ÉPÎTRE.

Le grand Apôtre, dans ce magnifique début de son Épître à ses anciens frères de la Synagogue, relève l’éternelle Naissance de l’Emmanuel. Pendant que nos yeux sont tendrement fixés sur le doux Enfant de la Crèche, il nous invite à les élever jusqu’à la suprême Lumière, au sein de laquelle le même Verbe qui daigne habiter retable de Bethléhem, entend le Père éternel lui dire : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui ; et cet aujourd’hui est le jour de l’éternité, jour sans soir ni matin, sans lever ni couchant. Si la nature humaine qu’il daigne prendre dans le temps le place au-dessous des Anges, son élévation au-dessus d’eux est infinie par le titre et la qualité de Fils de Dieu qui lui appartiennent par essence. Il est Dieu, il est le Seigneur, et les changements ne l’atteignent pas. Enveloppé de langes, attaché à la croix, mourant dans les angoisses, selon son humanité, il reste impassible et immortel dans sa divinité ; car il a une Naissance éternelle.

ÉVANGILE.

Fils éternel de Dieu ! en présence de la crèche où vous daignez vous manifester aujourd’hui pour notre amour, nous confessons, dans les plus humbles adorations, votre éternité, votre toute-puissance, votre divinité. Dans le principe, vous étiez ; et vous étiez en Dieu, et vous étiez Dieu. Tout a été fait par vous, et nous sommes l’ouvrage de vos mains. O Lumière infinie ! ô Soleil de justice ! nous ne sommes que ténèbres ; éclairez-nous. Trop longtemps nous avons aimé ces ténèbres, et nous ne vous avons point compris ; pardonnez-nous notre erreur. Trop longtemps vous avez frappé à la porte de notre cœur, et nous ne vous avons pas ouvert. Aujourd’hui du moins, grâce aux admirables inventions de votre amour, nous vous avons reçu ; car, qui ne vous recevrait, Enfant divin, si doux, si plein de tendresse ? Mais, demeurez avec nous ; consommez cette nouvelle naissance que vous avez prise en nous. Nous ne voulons plus être ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu, par vous et en vous. Vous vous êtes fait chair, ô Verbe éternel ! afin que nous fussions nous-mêmes divinisés. Soutenez notre faible nature qui défaille en présence d’une si haute destinée. Vous naissez du Père, vous naissez de Marie, vous naissez dans nos cœurs : trois fois gloire à vous pour cette triple naissance, ô Fils de Dieu si miséricordieux dans votre divinité, si divin dans vos abaissements !

A l’Offrande, la sainte Église rappelle à l’Emmanuel que l’univers est son ouvrage ; car il a créé toutes choses. Les dons sont offerts, au milieu des nuages de l’encens. La pensée de l’Enfant d la Crèche domine toujours les sentiments de l’Église ; mais ses cantiques insistent sur la puissance et la grandeur du Dieu incarné.

Pendant la Communion, le chœur chante le bonheur de la terre qui a vu aujourd’hui son Sauveur, par la miséricorde du Verbe, devenu visible dans la chair, sans perdre rien de l’éclat de sa gloire. L’Église ensuite, par la bouche du Prêtre, implore pour ses enfants, nourris de la chair de l’Agneau virginal, la participation à l’immortalité du Christ, qui a daigné leur donner aujourd’hui les prémices d’une vie toute divine, en prenant lui-même une naissance humaine dans Bethléhem.

L’année liturgique, Dom Guéranger

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *