Le Droit à l’Insurrection selon la Doctrine Catholique

De la doctrine précédente (cf. De la nature des régimes illégitimes) se déduit clairement le droit de résister au pouvoir illégitime que nous impose l’humiliation d’obéir à qui ne doit pas commander. Et cette résistance, fit-elle appel aux armes, doit être considérée simplement comme la juste défense de notre droit.

Car, entre l’agresseur armé de canons et celui qui nous attaque avec le poignard ou l’escopette, il n’y a que la différence des armes employées.

La justice a prononcé en faveur du gouvernement légitime contre le régime usurpateur ; c’est à la prudence seulement de peser les chances favorables ou défavorables du succès. À ce sujet, le docteur angélique s’exprime ainsi :

Celui qui s’empare du commandement par la violence ne devient point ainsi véritablement souverain ; partant, si l’on a des forces suffisantes, on peut le renverser, à moins que son pouvoir n’ait été légitimé après, soit par le consentement des sujets, soit par l’autorité d’un pouvoir supérieur. – S. Thom. 2, dist. 44, q. 2.

Mais le simple fait du triomphe de l’usurpateur, n’enlève à personne le droit d’en appeler contre lui au jugement des armes, s’il ne reste plus que ce moyen.

Et pour empêcher qu’on n’affaiblisse la vérité par de vains subterfuges, nous allons la dire toute entière ; car il semble que sur ce sujet épineux, on ait eu peur de la dire jusqu’ici. Et pourtant, sa manifestation et sa diffusion ne sauraient nuire.

Nous avons le droit d’affirmer que, sans s’inquiéter de savoir si le pouvoir tyrannique est devenu légitime, ou s’il a été légitime dans son origine, lorsqu’il existe une cause juste de guerre, il y a droit complet à l’insurrection. Ici, plus qu’ailleurs, nous chercherons à nous appuyer sur des arguments solides.

Quoique quelques-uns aient reçu de Dieu le pouvoir, néanmoins, s’ils en ont abusé, il est juste qu’ils en soient privés, car les deux choses viennent de Dieu : et le commandement, et sa juste privation. De même, tous les hommes reçoivent de Dieu la vie, et cependant, quelques-uns en sont privés prématurément et à juste titre.S. Thom. 2, dist. 44, q. 1, art. 2

Si le pouvoir fait un scandaleux abus de ses moyens, s’il dépasse les justes limites, s’il foule aux pieds les lois fondamentales, s’il persécute la religion, s’il corrompt la morale, s’il outrage la dignité publique, s’il attente à l’honneur des citoyens, s’il exige des contributions illégales et disproportionnées, viole le droit de propriété, s’il aliène le patrimoine de la nation, démembre les pays, rependant sur le peuple l’ignominie et la mort ; le catholicisme, dans ces cas, prescrit-il aussi l’obéissance ? Défend-il de résister ? Oblige-t-il les sujets à rester tranquilles, dociles comme l’agneau entre les griffes de la bête sauvage ?

Dans des circonstances si désastreuses, l’Eglise catholique laisse-t-elle les peuples sans espérance et les tyrans sans frein ? Dans des circonstances si pressantes, ne point résister, n’est pas une prescription dogmatique. Jamais l’Eglise n’a enseigné une pareille doctrine.

Saint Thomas, Saint Robert Bellarmin, Suarez et d’autres théologiens éminents connaissaient à fond les dogmes de l’Eglise, et cependant, consultez leurs ouvrages, et vous y trouverez l’enseignement contraire.

Non : parce qu’il est chrétien, l’être humain ne cesse pas d’être citoyen, d’être homme, et d’agir d’une manière juste et louable lorsque, dans les limites de la raison et de la justice, il court à la défense de ses droits avec audace et intrépidité. – Balmès, Le Protest., ch. 55 et 56

Attribuant faussement au christianisme la doctrine contraire, Jean-Jacques Rousseau a pu faire briller son talent fantasque et satisfaire ses caprices en représentant faussement, dans le dernier chapitre de son Contrat Sociale, les catholiques comme des esclaves.

La morale chrétienne condamne en général, comme contraire à la paix, à l’unité et à la prospérité de l’État, la sédition, ou, si l’on veut, l’insurrection d’un parti, la guerre civile. Mais si elle devient nécessaire pour le bien commun, ce n’est plus une sédition.

Le renversement d’un gouvernement tyrannique n’a pas un caractère séditieux, à moins que le désordre devienne tel que le peuple en éprouve de plus grands maux que du gouvernement tyrannique lui-même. C’est plutôt alors le tyran qu’on doit appeler séditieux, puisqu’il fomente par son despotisme, les désordres et la sédition. Lorsque par la violence, cet envahisseur s’est emparé du pouvoir et qu’on ne peut faire appel à un pouvoir supérieur qui puisse le juger, celui qui pour sauver sa patrie tue le tyran, est loué et en reçoit la récompense. – S. Thom. 2, 2. Q. 42, art. 2 et 2, dist. 44, q. 2, art. 2

On a coutume d’opposer à cette doctrine, avec plus d’insistance que de raison, la patience héroïque des premiers chrétiens qui, pendant trois cents ans, se résignèrent à servir de pâture aux bêtes, à être immolés sans jamais se révolter contre les tyrans, semblables à des agneaux qui se laissent conduire à la boucherie sans pousser un gémissement.

Tout cela est vrai, mais étaient-ils obligés à tous souffrir ? Il est certain que jamais ils ne se soulevèrent, les armes à la main, même pour se défendre ; mais peut-on conclure de là qu’ils n’eurent pas le droit de le faire ?

Qu’on lise la brillante exposition que fait Balmès des nombreuses et puissantes raison qui conseillèrent à nos pères dans la foi, comme le parti le plus convenable à prendre, de se tenir à l’écart, de ne s’occuper que de leur salut éternel, en étonnant le monde et en honorant la religion par cette douceur surhumaine, incroyable et chrétienne.

L’éminent théologien Bellarmin résout la difficulté en affirmant avec une noble franchise que :

Si les chrétiens ne déposèrent ni Néron, ni Dioclétien, ni Julien l’Apostat, ni Valens l’arien, ni d’autres de pareils, ce fut parce que la force leur manqua pour le faire. Car ils en avaient certes le droit, suivant l’Apôtre, qui ordonne aux chrétiens d’établir des juges pour les causes temporelles, afin qu’ils ne soient pas forcés de plaider devant des tribunaux persécuteurs du Christ. Or, s’ils ont nommé des juges, ils auraient également nommé des princes et des rois s’ils eussent eu la force. – Bell. De Rom. Pont., lib. V, cap. VII

Ajoutons encore : Non seulement le droit à l’insurrection existe, mais dans certaines circonstances, l’usage de ce droit devient même obligatoire, par le devoir qui incombe à tous les citoyens de contribuer au bien commun, qui peut aller jusqu’à l’obligation de prendre les armes quand l’exige le salut de la patrie menacée d’une ruine imminente.

La nécessité de l’insurrection contre une autorité illégitime ne peut exister dans l’ordre moral sans se traduire par un devoir dans l’ordre matériel. Ce devoir incombe naturellement à la société publique toute entière. L’insurrection étant un fait que ne peuvent réaliser les forces d’un seul individu…Mais tous n’ont pas l’obligation d’y concourir au même degré ; le militaire avant le citoyen, le célibataire ou l’homme dégagé des liens de familles avant l’homme forcé de pourvoir à l’éducation et à la subsistance des siens.

Ce devoir n’est jamais plus strict et plus pressant que lorsqu’il s’agit de défendre les autels menacés, les croyances attaquées et battues en brèche, les temples mis au pillage. Ceux qui se disent libéraux professent le droit d’insurrection pour défendre la seule divinité qu’ils adorent, la liberté ; cette liberté liberticide, qui n’est autre chose que la domination tyrannique des méchants sur les bons, et de l’athée sur le croyant, la liberté de conscience de ceux qui n’en ont pas, la liberté des cultes pour ceux qui n’en pratiquent aucun.

Eh bien ! Nous, à notre tour, nous proclamons comme un droit et comme un devoir l’insurrection pour la défense de notre liberté religieuse, de notre liberté de conscience, de notre liberté d’adorer Dieu  comme Dieu veut être adoré, de celle de vivre chrétiennement, et de faire le bien.

Il n’est pas licite aux chrétiens de tolérer un roi infidèle ou hérétique, s’il s’efforce d’attirer ses sujets à l’hérésie ou à l’infidélité…Dans ces cas, il peut et doit être privé de sa souveraineté. Les chrétiens ne sont pas obligés de tolérer un roi infidèle, qui mettrait la religion en péril. Lorsque le droit humain est contraire au droit divin, on ne doit pas hésiter à suivre ce dernier. Or, conserver la vraie foi et la religion est de droit divin, tandis que posséder tel ou tel roi et de droit humain.Bell, De Rom. Pont., lib. V, cap. VIII

Qu’ils méditent ces paroles, ceux qui, se laissant dominer par un sentimentalisme aussi déraisonnable qu’inutile, ou plutôt, cachant sous ces apparences de douceur une indifférence coupable et une lâche parasse, sont capables de refuser aux chrétiens le droit de se défendre même contre la tyrannie affreuse de l’antéchrist.

Chanoine Joaquin Torres Asensio, Le Droit des Catholiques à se défendre, XB Éditeur

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  1. Catéchisme de l’Eglise Catholique
    §2242
    Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Evangile. Le refus d’obéissance aux autorités civiles, lorsque leurs exigences sont contraires à celles de la conscience droite, trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté politique. «Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu» (Mt 22, 21). «Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes» (Ac 5, 29):

    Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique (GS 74, § 5).

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