Fratelli Tutti : Penser et gérer un monde ouvert (4)

Nous voilà au troisième chapitre de cette encyclique et c’est ad nauseam que nous tentons de suivre la pensée de François.

Tout d’abord sa vision de l’être humain :

« Un être humain est fait de telle façon qu’il ne se réalise, ne se développe ni ne peut atteindre sa plénitude « que par le don désintéressé de lui-même ».Il ne peut même pas parvenir à reconnaître à fond sa propre vérité si ce n’est dans la rencontre avec les autres : « Je ne communique effectivement avec moi-même que dans la mesure où je communique avec l’autre ». Cela explique pourquoi personne ne peut expérimenter ce que vaut la vie sans des visages concrets à aimer. Il y a là un secret de l’existence humaine authentique, car « la vie subsiste où il y a un lien, la communion, la fraternité ; et c’est une vie plus forte que la mort quand elle est construite sur de vraies relations et des liens de fidélité. En revanche, il n’y a pas de vie là où on a la prétention de n’appartenir qu’à soi-même et de vivre comme des îles : dans ces attitudes, la mort prévaut ».

Après cette déclaration quasi existentialiste (Gabriel Marcel en référence), il y a un long passage sur l’amitié humaine avec des citations de St thomas d’Aquin mais sans approfondir vraiment l’action de la charité envers Dieu. Bergoglio prévient l’objection de la vie érémitique en lui donnant une conséquence systématique consistant dans l’accueil des pauvres et des pèlerins avec l’exemple des Bénédictins. Mais il oublie les ordres cloîtrés comme les camaldules et tant d’autres qui ne sont tournés que vers une vie de prière des plus isolée. Quid de l’amitié sensible en ce cas ?

L’accueil de l’autre est-il limité par la mise en péril du bien commun de la patrie ?

Non, silence sur ce point au contraire on sombre dans la critique des gens repliés sur eux-mêmes.

Lorsqu’il parle de la charité il l’a confond avec la solidarité

« Ce dynamisme, c’est la charité que Dieu répand. Autrement, nous ne cultiverions peut-être que l’apparence de vertus, incapables de construire la vie en commun. »

« L’amour nous met enfin en tension vers la communion universelle. Personne ne mûrit ni n’atteint sa plénitude en s’isolant. De par sa propre dynamique, l’amour exige une ouverture croissante, une plus grande capacité à accueillir les autres, dans une aventure sans fin qui oriente toutes les périphéries vers un sens réel d’appartenance mutuelle. Jésus nous disait : « Tous vous êtes des frères » (Mt 23, 8). »

Puis il s’attaque à un certain mondialisme mercantile et politique pour mieux sombrer dans le gauchisme par la suite. D’un altermondialisme l’autre… :

« Je ne propose pas non plus un universalisme autoritaire et abstrait, conçu ou planifié par certains et présenté comme une aspiration pré­tendue pour homogénéiser, dominer et piller. Il existe un modèle de globalisation qui « soigneusement vise une uniformité unidimensionnelle et tente d’éliminer toutes les différences et toutes les traditions dans une recherche superficielle d’unité. […] Si une globalisation prétend [tout] aplanir […], comme s’il s’agissait d’une sphère, cette globalisation détruit la richesse ainsi que la particularité de chaque personne et de chaque peuple ». «Ce faux rêve universaliste finit par priver le monde de sa variété colorée, de sa beauté et en définitive de son humanité. En effet, « l’avenir n’est pas monochromatique, mais […] est possible si nous avons le courage de le regarder dans la variété et dans la diversité de ce que chacun peut apporter. Comme notre famille humaine a besoin d’apprendre à vivre ensemble dans l’harmonie et dans la paix sans que nous ayons besoin d’être tous pareils ! »

Liberté, égalité et fraternité quand tu me tiens…

« La fraternité n’est pas que le résultat des conditions de respect des libertés individuelles, ni même d’une certaine équité observée. Bien qu’il s’agisse de présupposés qui la rendent possible, ceux-ci ne suffisent pas pour qu’elle émerge comme un résultat immanquable. La fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à l’égalité. »

Où sont les dix commandements, les béatitudes, les vertus ? Rien de clair et de bien défini. Puis il utilise de manière littérale une sentence mystique de St Jean Chrysostome :

« Saint Jean Chrysostome le résume en disant que « ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs ». Ou en d’autres termes, comme l’a affirmé saint Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons pas tant ce qui est à nous, que nous leur rendons ce qui est à eux ».

C’est confondre la critique de l’égoïsme des riches avec le droit de propriété légitime qui ne peut leur être enlevé. C’est la responsabilité des propriétaires vis-à-vis des pauvres qui est évoquée et non leurs titres de propriété légitimes qui leurs sont contestés. Puis il repart sur l’écolo-gauchisme :

« Lorsque nous parlons de protection de la maison commune qu’est la planète, nous nous référons à ce minimum de conscience universelle et de sens de sollicitude mutuelle qui peuvent encore subsister chez les personnes. En effet, si quelqu’un a de l’eau en quantité surabondante et malgré cela la préserve en pensant à l’humanité, c’est qu’il a atteint un haut niveau moral qui lui permet de se transcender lui-même ainsi que son groupe d’appartenance. Cela est merveilleusement humain ! Cette même attitude est nécessaire pour reconnaître les droits de tout être humain, même né ailleurs. »

La sainteté de la station d’épuration !!! Et enfin l’ouverture d’un monde sans frontière ni bornes où le nomadisme est de rigueur pour une quête vers un bien être absolu. Ce qui est contraire à l’enseignement de l’Eglise ou seules de graves raisons légitiment le fait de quitter sa terre natale et oblige l’autre à un droit d’asile. Du reste droit d’asile ne signifie pas droit de s’installer ailleurs de manière permanente dans tous les cas.

«Personne ne peut donc être exclu, peu importe où il est né, et encore moins en raison des privilèges dont jouissent les autres parce qu’ils sont nés quelque part où existent plus de possibilités. Les limites et les frontières des États ne peuvent pas s’opposer à ce que cela s’accomplisse. Tout comme il est inacceptable qu’une personne ait moins de droits parce qu’elle est une femme, il est de même inacceptable que le lieu de naissance ou de résidence implique à lui seul qu’on ait moins de possibilités d’une vie digne et de développement. »

Dans cette logique le droit de propriété est altérable et aliénable selon le bon vouloir des autres :

« À côté du droit de propriété privée, il y a toujours le principe, plus important et prioritaire, de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre et, par conséquent, le droit de tous à leur utilisation »

« En considérant tout cela non seulement du point de vue de la légitimité de la propriété privée et des droits des citoyens d’une nation déterminée, mais aussi à partir du principe premier de la destination commune des biens, nous pouvons alors affirmer que chaque pays est également celui de l’étranger, étant donné que les ressources d’un territoire ne doivent pas être niées à une personne dans le besoin provenant d’ailleurs »

Etre dans le besoin est-ce toujours une raison grave, à voir ! Selon quels critères ? Folie communiste !

Revenons à la saine doctrine Catholique et voyons ce qu’en pense Pie XII :

Dans son allocution au Consistoire du 20 Février 1946 il nous enseigne :

« En attirant ainsi les esprits de l’intérieur, Vénérables frères, l’Eglise n’a-t-elle pas contribué et ne contribuera-t-elle pas encore efficacement à établir le fondement solide de la société humaine ? L’homme, tel que Dieu le veut et l’Eglise l’embrasse, ne se sentira jamais fermement fixé dans l’espace et  le temps sans un territoire stable et sans traditions. C’est là que les Forts trouvent la source de leur vitalité ardente et féconde, et que les faibles, qui sont la majorité, demeurent en sécurité protégés ainsi contre la pusillanimité et l’apathie, contre la déchéance de leur dignité humaine. La longue expérience de l’Eglise comme éducatrice des peuples le confirme ; aussi a-t-elle le souci d’unir par tous les moyens la vie religieuse avec les coutumes de la patrie et s’occupe-t-elle avec une sollicitude particulière de ceux que l’émigration ou le service militaire retiennent loin de leur pays natal. Le naufrage de tant d’âmes donne tristement raison à cette appréhension maternelle de l’Eglise et oblige à conclure que la stabilité du territoire et l’attachement aux traditions ancestrales, indispensables à la saine intégrité de l’homme, sont aussi des éléments fondamentaux pour la communauté humaine. Pourtant, on  renverserait et on contredirait manifestement l’effet bienfaisant de ce postulat, si l’on voulait s’en servir pour justifier le rapatriement forcé et la négation du droit d’asile à ceux qui désirent pour de graves raisons fixer ailleurs leur résidence.

L’Eglise vivant dans le cœur de l’homme, et l’homme vivant dans le sein de l’Eglise, voilà, Vénérables frères, l’union la plus profonde et la plus efficace qui se puisse concevoir. Par cette union, l’Eglise élève l’homme à la perfection de son être et de sa vitalité, pour donner à la société humaine des hommes ainsi formés : des hommes établis intégralement dans la condition inviolable d’images de Dieu ; des hommes fiers de leur dignité personnelle et de leur saine liberté ; des hommes justement jaloux de leur parité avec leurs semblables en tout ce qui touche le fond le plus intime de leur dignité humaine ; des hommes attachés d’une manière stable à leur terre et à leurs traditions ; des hommes en un mot caractérisés par ces quatre éléments ; voilà ce qui donne à la société humaine son fondement solide et lui procure sécurité, équilibre, égalité, développement normal dans l’espace et dans le temps. Tel est donc aussi le vrai sens et l’influence pratique de la supranationalité de l’Eglise, qui – bien loin de ressembler à un empire – s’élève au-dessus de toutes les différences, de tous les espaces et de tous les temps et bâtit sans discontinuer sur le fondement inébranlable de toute société humaine. Ayons confiance en elle ; si tout chancelle autour d’elle, elle demeure ferme. A elle s’appliquent encore de nos jours les paroles du Seigneur : « Même si la terre est ébranlée avec tous ceux qui l’habitent, moi, j’affermis ses colonnes.

Sur ce fondement reposent surtout « les deux colonnes principales », l’armature de la société humaine, telle qu’elle est conçue et voulue par Dieu : « la famille et l’Etat ». Appuyés sur ce fondement, ils peuvent remplir sûrement et parfaitement leurs rôles respectifs : la famille, en tant que source et école de vie ; l’Etat en tant que gardien du droit, qui a, comme la société dans son ensemble, son origine prochaine et sa fin dans l’homme complet, dans la personne humaine, image de Dieu. »

Sur ces paroles équilibrées nous vous laissons comme à l’accoutumé sur l’image à méditer.

Jésus, fils de David, Ayez pitié de moi !

LOUIS DAVID

Articles recommandés

1 commentaire

  1. Peut-être n’est-il pas totalement inutile de rappeler ce qui suit.

    Nous avons droit aux encycliques sociales dont nous sommes destinataires, depuis Mater et Magistra, de Jean XXIII, en 1961, jusqu’à Fratelli tutti, de François, en 2020, parce que les papes néo-catholiques ne veulent pas élaborer puis utiliser une critique chrétienne, radicalement et substantiellement catholique, surnaturelle et théologale, des principes et des pratiques caractéristiques du monde « contemporain » (en tant que « contemporain » dans le domaine des valeurs), alors que ces principes et ces pratiques sont à l’origine du fait que le monde occidental fonctionne souvent à l’apostasie et à l’idolâtrie.

    Ainsi, pour ces papes, à cause ou du fait d’une conception erronée
    – de l’articulation entre la caritas veritatis et la veritas caritatis,
    – du discernement, de la miséricorde, de l’ouverture, des périphéries,
    et
    – de l’unification du genre humain, en direction de « l’-u-n-i-té »,
    a) il n’est pas question ou il n’est plus question de prescrire ce qui doit être prescrit et de condamner ce qui doit être condamné, dans le cadre de la mise en avant d’une alternative christianisatrice,
    mais
    b) il est question de proposer et de suggérer, dans celui de la mise en avant d’un accompagnement humanisateur, dont on peut constater qu’il n’est pas toujours explicitement et spécifiquement catholique.

    De ce refus ou, en tout cas, de cette réticence des papes néo-catholiques à faire preuve de courage et de franchise, sauf par intermittences (face à un monde contemporain qui se sait malade, mais qui ne veut pas se soigner, car la « thérapie » l’obligerait à se soigner sous la conduite et en direction de Celui qui est le seul médiateur et le seul « remède »), découle toute une littérature magistérielle pontificale, porteuse de toute une phraséologie, au coeur de laquelle on s’interdit fréquemment de prendre le monde contemporain « à rebrousse-poil », et au sein de laquelle on s’interdit très souvent de s’exprimer « à contre-courant », face à certains concepts et face à certaines valeurs à la mode au moment où l’on parle.

    Pour le dire autrement :
    – le diplomatisme roncallien (notamment dans Pacem in terris) a débouché sur du consensualisme montinien (cf. Gaudium et spes),
    – le consensualisme montinien a débouché sur du confusionnisme, comme dans le cas des papes qui ont été, officiellement, à la fois pour la démocratie et pour l’Union européenne, jusqu’aux confins de l’oxymore.

    Et le confusionnisme risque souvent de déboucher sur de la démagogie, dans l’esprit de tous ceux qui s’imaginent qu’il y a seulement une différence d’époque, et non avant tout une différence de nature, entre la promotion bergoglienne de l’écologie intégrale et de la fraternité, et la promotion pacellienne du bien commun, de la loi naturelle, de la personne humaine et des vertus cardinales, en tant qu’antidote à telle conception contemporaine et dominatrice de l’intérêt général, des droits de l’homme, de l’individu contemporain et des valeurs (post-)modernes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *