R.P. Joseph Burnichon : Comment la France a trahi sa mission en Afrique

Ce fut une noble, chevaleresque et toute française inspiration, dans laquelle il n’y eut pas place pour les calculs commerciaux, que celle qui décida la magnifique expédition de 1830 [la prise d’Alger]. Il y eut alors un moment superbe où l’on sentit passer sur le pays comme un souffle de croisade.

Toute l’Europe, l’Angleterre exceptée, applaudit au succès des armes françaises. Quelque chose de grand venait en effet de s’accomplir. C’était plus qu’un fait de guerre, plus que la destruction d’un nid de forbans, plus que la honte séculaire des nations européennes lavée en un jour de victoire. C’était le vieil ennemi, l’islamisme, frappé au cœur.

L’Afrique, où il s’était retranché et d’où il tenait encore en échec les nations chrétiennes, était ouverte ; la France en tenait la clef ; désormais elle pouvait pénétrer à travers le continent mystérieux et porter, dans les plis de son drapeau, à d’innombrables populations la liberté et la civilisation chrétienne. […]

La France a manqué à sa mission providentielle en Afrique. Elle a tâché de tirer parti de sa conquête, de l’exploiter, selon le mot du jour, sans se préoccuper d’y introduire le christianisme qui l’a faite elle-même ce qu’elle est. Bien plus, elle a empêché les peuples tombés sous sa domination de se relever de leur déchéance en s’attachant à la croix.

On ne voit pas jusqu’ici que cette prévarication lui ait été profitable, et il est à craindre qu’elle ne l’expie un jour cruellement. C’est la loi de nature que le châtiment naît de la faute elle-même.

Voici que la question indigène est suspendue comme une menace permanente sur l’avenir de la colonie. Ces peuples, dont nous n’avons pas voulu faire nos frères en leur permettant d’être chrétiens, sont pour nous des ennemis qui se tourneront contre nous à la première occasion ; et plus nous les initions à nos progrès, plus nous les rendons redoutables.

R.P. Joseph Burnichon, S.J., 1891

Note : Le Père Joseph Burnichon est cité dans l’ouvrage de Mgr. Pons sur l’Eglise en Algérie durant la période l’Empire colonial. Il est également auteur d’une Histoire de la Compagnie de Jésus en France.

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