Positivisme et Conservatisme

Je souhaite aborder aujourd’hui la question du positivisme, en particulier du positivisme juridique, qui est un phénomène, ou plutôt une maladie de l’esprit qui prend typiquement ses racines dans les différentes matrices philosophiques de la Révolution, telles que le nominalisme ou le subjectivisme.

Je crois qu’il est utile et même urgent d’aborder cette question afin de faire comprendre simplement aux uns et aux autres pourquoi il nous semble que de décennies en décennies, la gauche culturelle et le camp libéral semblent s’être appropriés la notion pourtant noble de progrès et pourquoi ces deux forces principales de la Révolution semblent constamment remporter victoire après victoire dans l’ordre anthropologique, que ce soit dans le domaine politique, social, culturel ou même économique, tandis que la droite, décennies après décennies, a perdu toutes les grandes batailles culturelles et morales. Et je ne parle pas ici de la droite dite libérale, qui fait partie de la famille révolutionnaire, mais surtout de la droite dite conservatrice ou nationale, laquelle prétend s’opposer au progressisme, alors qu’elle en a déjà adopté tout le système philosophique.

Tout d’abord, il faut expliquer ce qu’est le positivisme.

Le positivisme d’Auguste Comte a donné lieu à un système d’observation scientifique des faits sociologiques qui prétend occulter les réalités métaphysiques pour ne considérer qu’un stade inférieur du réel, à savoir les faits de l’expérience humaine. Si je devais en donner une définition peut-être un peu exagérée, ce positivisme est en quelque sorte, une variante inconsciente du subjectivisme de Kant, avec des prétentions scientifiques plus poussées.

Mais le positivisme contre lequel je veux mettre en garde ici est le positivisme juridique, système de pensée qui refuse l’existence de lois naturelles immuables et considère que seules les lois positives, c’est à dire les lois d’origine purement humaine, doivent constituer la base de la vérité, de la justice et du gouvernement. La conséquence de ce système de pensée est que ses adeptes inventent et instaurent nécessairement des dogmes positivistes. Et ces dogmes, nous les connaissons bien : les droits de l’homme (tels que considérés par la Révolution), la démocratie libérale (comme je l’ai montré dans une récente vidéo), le laïcisme (dont la loi de 1905 qualifie le caractère d’immuable), mais aussi beaucoup d’autres dogmes plus ou moins inférieurs : dogmes historiques, dogmes médiatiques, dogmes moraux (selon une morale évidemment subjective), etc. Toutes sortes de dogmes qui en réalité, ne sont pas autre chose que les idoles du paganisme moderne.

Ce positivisme juridique a été condamné de façon nette et précise par le pape Pie XII, dans une allocution pour la Nativité de l’année 1942 où le saint père traite une nouvelle fois de la question de l’ordre social :

L’ordre juridique a la haute et difficile fonction d’assurer des relations harmonieuses, aussi bien entre les individus qu’entre les sociétés, ainsi que les relations à l’intérieur de celles-ci. Cet objectif sera atteint si les législateurs s’abstiennent de suivre ces théories et pratiques périlleuses, très nuisibles aux communautés et à leur esprit d’union, des théories et des pratiques qui tirent leur origine et leur promulgation de faux postulats. Parmi ces postulats, il faut compter le positivisme juridique qui attribue une primauté trompeuse à l’établissement de lois purement humaines, et qui laisse la porte ouverte à un divorce fatal entre la loi et la morale.

Comme nous l’avons compris, ce positivisme juridique est la base même de la constitution des sociétés impies, révolutionnaires et anti-naturelles.

Or, précisément ,ce système juridique et institutionnel ne pose logiquement aucun problème pour la gauche ou pour les libéraux ; qui sont ouvertement partisans aussi bien du progressisme que du matérialisme historique.

En revanche, ce système de pensée est un piège terrible pour la droite dite conservatrice. Plus précisément, ce système de pensée est un défi constant à la question que nous devons poser à cette droite, à savoir : que voulez-vous conserver exactement ? Nous entendons souvent les personnalités et les candidats de ce courant vouloir conserver la France, son peuple, sa souveraineté, ses mœurs, ses valeurs. Toute ceci est très bien et nous sommes tout à fait d’accord. Mais lorsqu’ils nous expliquent en quoi consistent ces mœurs et ces valeurs, ces conservateurs finissent presque toujours par nous énumérer l’essentiel des mœurs et des valeurs de la gauche et des libéraux.

Théodon, sur son excellent blog « Ethnarchie », dont je vous recommande la lecture, car les articles restent d’une criante actualité, avait déjà identifié le problème en des termes d’une qualité rare dans la cathosphère francophone :

Pour un marxiste, le temps est un progrès incessant de la matière et de l’univers, un élan dynamique sans arrêt ni fin, un processus qui interdit à toute vérité de se croire absolue, à toute étape sociale d’apparaître définitive. Rien qu’à partir de ces quelques traits, se dessinent à la fois la praxis du marxisme, ainsi que sa finalité matérialiste.

Dans une vision strictement conservatrice du temps, la règle est valorisée et le changement représente toujours un danger. La coutume, la loi, la Lettre ordonne. Que personne n’ose la contester, sans quoi ce serait la fin de l’ordre social ! Si cet ordre a évidemment valeur d’axiome dans le cadre de la religion révélée, puisque Dieu est un être intemporel, peut-on dire qu’il en est de même dans un cadre social, culturel, national, économique, soumis aux fluctuations des hommes ?

Et de son côté, que dit l’école libérale ? Elle affirme que les phénomènes économiques sont déterminés par des lois mathématiques ou mécaniques et que le politique n’a pas à agir sur elles. Il n’y a pas de justice sociale, ni de souveraineté humaine sur la Cité, c’est l’économie qui est reine. Ces deux visions du monde, a priori opposées, se rencontrent pourtant en ce qu’elles dénient au pouvoir politique la faculté d’agir actuellement et de façon positive sur la société.

Cette solidarité surprenante entre le conservatisme et le libéralisme pourrait ainsi nous conduire jusqu’à l’anarchisme. On peut dire, d’une façon provocante, que le seul véritable conservatisme est l’anarchisme et que le seul véritable anarchisme est le conservatisme.

Le conservatisme est le marchepied de l’anarchisme, l’hégémonie des formes mortes. Il permet de désarmer les individus attachés aux conventions, à la lettre, mais en interdisant tout changement social, il empêche ces formes mortes ou déclinantes de se réformer adéquatement. Ce pourrissement institutionnel ne mène, ultimement, qu’à des concessions à l’esprit du temps, qui n’en aura jamais assez. N’ayant pas, en réalité, de principes suffisamment fermes, fondés en Dieu, sur lesquels juger la société temporelle présente, les conservateurs n’ont pas la force nécessaire pour s’opposer aux subversifs.

Théodon, Pourquoi les conservateurs finissent anarchistes et les réactionnaires, païens, ou, De la nécessité de la forme catholique, globale et réaliste, Ethnarchie, 22 Septembre 2018

Comme l’a très bien noté Théodon, en raison de leur attachement, parfois inconscient, à ce positivisme juridique ; en raison, surtout, de l’absence chez eux de principes chrétiens, beaucoup d’individus dans la droite conservatrice ou nationale, « n’ont pas la force nécessaire pour s’opposer aux subversifs ». Ils n’en ont pas la force, car ils n’ont pas les principes, ni les convictions. C’est pourquoi ils perdent toujours contre les forces progressistes de la révolution, à court ou moyen terme. C’est pourquoi pour identifier le point d’ancrage de leur conservatisme, ils s’attachent à des points de référence historique souvent arbitraires et même incohérents. C’est pourquoi, enfin, ils ont tant de mal à opposer le progrès au progressisme, la liberté au libéralisme et la Vérité à l’erreur, dans l’action politique elle-même.

Ce sont là quelques-unes des raisons qui nous poussent à être si sceptiques et si méfiants vis-à-vis des actuels candidats du camp national, lesquels semblent totalement tomber dans ce défaut de l’esprit. C’est en fait, la raison pour laquelle nous doutons profondément de leurs capacités à s’opposer aux forces de la subversion dans leur totalité, et donc à réformer profondément et durablement l’ordre social actuel, qui n’est pas un ordre, mais un désordre.

Tout le problème des conservateurs ou des représentants du camp national est bien celui-ci : en réalité, les conservateurs ne veulent conserver que le libéralisme d’hier, tandis que le libéralisme d’aujourd’hui, deviendra le conservatisme de demain. Hier, les conservateurs s’opposaient encore au mariage gay ? Aujourd’hui, ils le défendent, ou du moins ils ne s’y opposent pas, au nom du status quo et de l’expression légitime de la représentation parlementaire. Les conservateurs s’opposent aujourd’hui à la GPA ? Demain, ils la défendront ou du moins ils ne s’y opposeront pas, pour les mêmes raisons, si celle-ci venait à être inscrite dans la loi positive.

Considéré comme un positivisme historique et juridique, le conservatisme actuel n’est en effet qu’une réaction désordonnée et inorganique à des conséquences, inférieures par nature, plutôt qu’à des causes systémiques, supérieures par nature. Nous n’exagérons donc pas lorsque nous déplorons l’absence de principes chrétiens ou au moins jusnaturalistes dans le camp conservateur et national.

Car, telle est la pente glissante du positivisme. La Révolution française a introduit dans la loi, dans la culture et dans les mœurs françaises, des éléments profondément antinomiques avec la morale chrétienne et donc avec la loi naturelle. Nous sommes ainsi passés de la légalisation du divorce civil libéral à la banalisation du concubinage et de l’adultérisme, puis nous sommes passés de la 2e et de la 3e révolution sexuelle à la 4e,, celle de mai 1968, qui ne fut que l’aboutissement des précédentes. Puis, nous sommes passés de la liberté absolue des opinions à la mise en place des lois dites laïques. De la mise en place des lois dites laïques, nous sommes passés à la réislamisation de l’Algérie, puis à l’islamisation de plusieurs villes françaises. Puis nous sommes passés à la banalisation du féminisme, puis à la légalisation de l’avortement. Puis nous sommes passés de la libération des mœurs à la normalisation de l’homosexualité. Puis de la banalisation de l’homosexualité, nous sommes passés au PACS, puis au mariage homosexuel, puis à la théorie du genre, puis à la GPA, puis à la propagande LGBT dans les établissements scolaires, dans la publicité, dans la communication gouvernementale, dans les séries, etc.

Et je ne décris ici que les phénomènes de subversion anti-morale les plus simples à comprendre, afin de vous donner une idée de la rapidité avec laquelle la gauche et le libéralisme ont remporté ces victoires politiques et sociétales. Mais je pourrais évidemment répéter le même raisonnement avec des problématiques plus politiques ou économiques qui permettraient par exemple de comprendre pourquoi le cadre institutionnel français est devenu de plus en plus corrompu, antinational et antisocial au fil du temps, ou encore pourquoi le dogme mensonger de la souveraineté populaire (entendue dans un sens révolutionnaire et inorganique) a directement conduit à la perte effective de la souveraineté nationale.

La question qu’il faut se poser est celle-ci : comment expliquer que la droite, prise dans son ensemble, ait systématiquement perdu toutes ces batailles depuis des décennies ?

La raison en est simple : que ce soit sur le plan politique ou sociétal, la droite dite conservatrice, prise dans son ensemble, s’est rangée dans le camp de l’ennemi, par concessions succesives.

Bien sûr, il faudrait ici définir ce que nous entendons par « la droite » : nous parlons ici de la droite gouvernementale, c’est à dire de la droite libérale mais aussi de la droite bonapartiste. La droite nationale, qu’elle soit nationale-catholique ou nationale-républicaine, fût la seule droite à avoir résisté politiquement à ce positivisme historique et juridique. Aujourd’hui, seule la droite catholique continue à résister de façon totale à ce mouvement.

Mais le reste des droites, en particulier la droite nationale, a depuis de nombreuses années, totalement cédé au poison du positivisme. Ceci explique pourquoi l’on retrouve aujourd’hui des personnalités majeures de ce camp politique, défendre le « droit à l’avortement », faire de Simone Veil une sorte d’icône du roman national ou encore défendre les « droits » des homosexuels, ou défendre le laïcisme le plus radical en affirmant qu’il serait l’expression des mœurs françaises.

Ces positions, que certains présentent comme la simple expression d’un pragmatisme pré-électoral, ne sont pas simplement circonstancielles. Elles sont l’expression, non seulement d’une absence ou d’une faiblesse de convictions morales naturelles fortes, mais également l’expression et l’annonce de futures défaites politiques face aux forces du progressisme et à l’esprit du temps.

Tout ceci est problématique, non pas seulement pour des raisons morales évidentes, mais également pour des questions pratiques et très concrètes. Vous le savez, j’utilise très souvent l’exemple de la corrélation entre avortement et remplacement démographique. Les partisans du camp national actuel, du moins la représentation majoritaire de ce camp, se focalisent avant tout sur la question de l’identité et du grand remplacement ethno-culturel.

Mais dans le même temps, ils méprisent la question de l’avortement, en affirmant qu’il s’agit d’une question secondaire, que cette question est exclue du champ de l’urgence. Pire encore, beaucoup d’entre eux persistent à vouloir défendre le « droit » à l’avortement. Or, la question de l’avortement n’est pas simplement une question éthique : c’est une question extrêmement pratique et mathématique. La France pratique près de 250000 avortements par an depuis plus de 30 ans et dans le même laps de temps, le régime a fait ou laisse entrer chaque année quasiment autant, sinon le double d’immigrés. La conclusion logique de tout ceci est que la question du grand remplacement, qui est une question d’ordre social, est intimement liée à la question de l’avortement, qui est une question morale.

Ainsi, le problème du positivisme est bien celui de l’absence d’esprit de suite chez beaucoup de nationaux aujourd’hui, qui, infectés par le libéralisme, veulent systématiquement dissocier la morale de l’action législative ou de l’action politique. Comment ne pas comprendre que de tels défauts de l’esprit ne peuvent que conduire à d’affreuses défaites idéologiques ?

Mais l’aspect le plus détestable de ce positivisme réside dans la définition qu’en a donné le pape Pie XII, comme nous l’avons vu précédemment. Et il faut malheureusement constater que cette définition est profondément inscrite dans la mentalité des « conservateurs » actuels.

Les conservateurs positivistes croient en effet dans l’aspect immuable ou quasiment immuable des lois humaines solemnelles, et surtout des lois les plus iniques, lesquelles, suivant la définition chrétienne de la Loi, ne sont précisément pas des lois, pour cette raison.

Les conservateurs positivistes considèrent qu’à partir du moment où une loi légalisant l’avortement ou le mariage homosexuel a été votée, et que ces pratiques sont entrées dans les mœurs des contemporains, il n’est plus possible de revenir dessus, ou du moins, il n’est pas utile de militer contre ces législations. On doit alors se contenter de proposer des mesurettes d’urgence contre les conséquences prochaines de ces lois iniques, avant que ces conséquences soient inscrites dans le droit et pourvu surtout, que l’opposition à ces conséquences soit encore permis dans le discours médiatique. C’est pourquoi les conservateurs positivistes déclarent à qui veut l’entendre qu’ils ne reviendront ni sur la loi Veil, ni sur la loi Taubira, mais qu’ils proposeront des lois pour interdire ou limiter les conséquences prochaines de ces lois, telles que la propagande LGBT dans les établissements scolaires, la GPA ou encore l’avortement poussé au-delà de 14 semaines.

N’est-il pas simple de comprendre ici qu’en agissant de la sorte, les conservateurs, loin de conserver ou de promouvoir un réel retour à l’ordre naturel, retour qui n’est d’ailleurs qu’un progrès perpétuel, ne font que conserver le status quo ante ? N’est-il pas simple de comprendre comment les forces politiques du régime, les gauchistes et les libéraux, remportent victoires sur victoires, précisément à cause de la faiblesse doctrinale profonde des conservateurs et de leur absence d’esprit de conséquence ?

Comme l’a très bien indiqué le pape Pie XII, le positivisme juridique est une aberration philosophique qui conduit « au divorce entre la loi civile et la loi morale ». Or, précisément, l’immense majorité des conservateurs sont des libéraux en puissance, qui ne croient pas en l’existence d’une loi naturelle, encore moins d’une loi divine. Ils ne croient pas en l’existence d’une loi morale objective, qui pourtant est la seule capable de donner un cadre constitutionnel et législatif fixe, juste, durable et légitime à nos institutions.

Ils ne se rendent pas compte que précisément, les forces du régime, qu’il s’agisse de la gauche culturelle ou du libéralisme-libertaire, elles, de leur côté, imposent une forme de cadre moral et normatif. Ce cadre moral et normatif, subjectiviste par nature, constitue précisément le magistère évolutif de la Révolution, qui institue ses dogmes et les déclare immuables, à grand renforts de rhétoriques fallacieuses, de propagande médiatique et de perversion de notions aussi nobles que celles de justice sociale et de liberté.

Tout ceci explique l’impunité du régime, l’impunité des criminels, l’impunité des agents de la corruption et du désordre, l’impunité des antifas et des gauchistes. Qu’ils en aient conscience ou pas, ils sont tous dans la norme du régime. Ils sont tous des agents du régime, peu importe qu’ils se disent démocrates, révolutionnaires ou anti-capitalistes. Et les conservateurs positivistes qui valident leurs dogmes, non seulement se rendent complices du régime, mais signent ainsi leur défaite programmée, à court ou moyen terme. Alors que les forces du régime travaillent ouvertement à censurer brutalement les forces de la droite conservatrice, la droite conservatrice fait campagne sur le thème de la tolérance, du débat d’idées et de la liberté d’opinion pour les ennemis de la Vérité.

Je sais qu’on me répondra encore qu’il faut faire preuve de pragmatisme et de réalisme, étant donné la situation de la France et de l’état d’esprit des Français. Mais justement, nous ne sommes que trop pragmatiques et réalistes. On nous demande de laisser une chance aux actuels candidats de la droite nationale. Très bien, nous ne demandons qu’à voir.

Il n’en demeure pas moins que nous ne leur apporterons pas nos voix, mais bien entendu, nous mentirions si nous disions préférer la victoire de Macron ou de Mélenchon, à la victoire d’une Marine Le Pen ou d’un Zemmour. C’est notre foi catholique qui nous empêche de leur apporter pleinement notre soutien. Mais c’est aussi notre foi catholique qui nous oblige à les alerter sur les défauts de leur système de pensée et d’action politique. Et après tout, ils sont les seuls responsables de leurs paroles et de leurs prises de position.

Nous n’ignorons pas à quel point il est difficile d’exprimer des positions réellement jusnaturalistes et contre-révolutionnaires dans le champ politico-médiatique actuel, à plus forte raison dans le contexte électoral. Mais nous n’ignorons pas non plus quels gages coupables les conservateurs donnent au régime et à ses dogmes les plus essentiels. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai rien à redire sur ce que proposent Marine Le Pen ou Eric Zemmour sur tout ce qui concerne l’immigration, la sécurité, la réforme de l’institution judiciaire et l’économie. S’ils s’étaient contentés de s’exprimer strictement sur ces questions, nous irions ce dimanche après-midi voter pour eux. Mais malheureusement, l’un comme l’autre sont allés beaucoup plus loin en injuriant la majesté Divine, en niant explicitement Ses droits souverains sur la société et même en méprisant les principes les plus élémentaires de la loi naturelle. Sans compter certaines de leurs propositions outrancières, propositions tout à fait inutiles, qui risquent de leur coûter cher d’ici quelques heures ou quelques jours. Tout ceci pour quoi ? Pour ne pas choquer leur électorat ? Pour ne pas provoquer une campagne médiatique contre leur candidature? Pour faire le dos rond en s’assurant plus de chances pour la victoire ? Tout ceci n’est pas sérieux. Tout ceci n’est pas cohérent. Tout ceci n’est pas très digne.

Là encore, les esprits superficiels et inexpérimentés penseront que nous ne sommes que d’indécrottables râleurs, arche-boutés sur leurs sacro-saints principes moraux. Premièrement, nous n’allons pas nous excuser d’être des catholiques conséquents. Ce n’est pas à nous de faire un pas vers l’erreur, mais ce sont les erronés qui doivent venir à nous, ou plutôt à la foi catholique, surtout lorsqu’ils prétendent défendre la France chrétienne. Deuxièmement, comme je l’ai déjà expliqué, en suivant l’enseignement du pape Pie XII, de même qu’il est une folie de vouloir séparer la loi civile de la morale naturelle objective, il est également stupide de croire que l’exigence morale du discours politique ne pourrait pas avoir d’excellents effets sur le potentiel électoral.

Mais nous avons encore le temps d’élaborer et de parfaire notre doctrine politique, avant de la proposer aux masses un jour, si Dieu le veut. Car, comme vous le savez, cela fait déjà plusieurs semaines que je pronostique la victoire d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen pour ces élections 2022. A la veille du 1er tour, je n’ai pas du tout changé de position. Et si je n’irai pas voter, j’irai certainement dimanche soir, dans un winstub de chez moi, lever mon verre pour boire les larmes des gauchistes et des régimistes.

Cela dit, si je prévois la victoire de Marine ou de Zemmour, j’ai de fortes réserves quant à la capacité de l’une et de l’autre à pérenniser cette victoire du camp national au-delà d’un mandat présidentiel, un peu comme Donald Trump a été incapable, faute de principes moraux et de réalisme politique, d’assurer sa réélection face aux forces combinés de la gauche et de l’État profond démocrate.

Pour l’instant, Marine et Zemmour bénéficient sans aucun doute d’une occasion rare de vaincre électoralement contre les candidats du régime et les candidats gauchistes. Je ne doute pas des chances de cette victoire électorale, mais si elle venait à se réaliser, je doute beaucoup plus de la victoire politique sur le long terme, si elle devait être confiée à des partis et à des gouvernements de conservateurs positivistes et tièdes.

Je doute qu’ils aient en eux ce qu’il faut pour prendre la mesure véritable de la tâche, pour procéder aux réformes constitutionnelles et institutionnelles si nécessaires à la pérennisation de cette révolution conservatrice contre la Révolution gauchiste et libérale. J’en doute fortement, comme vous l’avez compris, à cause de cet état d’esprit positiviste que je perçois chez eux. Bien sûr, je ne demande qu’à me tromper et à être surpris par l’action de la Divine Providence. Nous le saurons assez tôt.

Néanmoins, si cette réforme constitutionnelle et institutionnelle ne se réalise pas rapidement, profondément, et si elle ne s’accompagne pas d’une purge minutieuse et systématique de tous les mécanismes et les éléments de désordre et de corruption qui affectent aussi bien l’État que la société nationale, je ne vois pas de victoire durable du camp national se profiler à l’horizon. Et ceci serait d’autant plus lamentable que nous avons encore en France, quoiqu’on en dise, et pour peu qu’on dispose du mandat présidentiel, beaucoup plus de marge de manœuvre pour assainir l’État et la société que cela ne pourrait être le cas pour un candidat nationaliste dans un pays comme les États-Unis, dans lequel l’État profond est une sorte de Béhémoth insaisissable et multiforme. Dans ce sens, nos amis américains d’America First auront beaucoup plus de difficultés que nous dans la conquête du pouvoir politique.

Et si ce scénario d’une défaite politique à court terme du camp national actuel se réalise, il sera alors peut-être temps pour nous d’agir plus ouvertement que nous ne le faisons maintenant, afin d’en finir avec le faux progressisme des gauchistes et des libéraux, ainsi qu’avec le faux conservatisme des libéraux-conservateurs. Il sera alors temps pour le parti de la justice sociale, de l’ordre naturel, du progrès humain, de la souveraineté nationale et des libertés économiques, d’émerger enfin dans ce pays. Certes, pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là, mais nous devons nous préparer. Dès maintenant.

Pour terminer cette critique sur une note intellectuellement plus élevée que la mienne, permettez-moi encore de citer ces passages édifiants de notre ami Théodon :

La bonne réponse face au processus révolutionnaire ne doit pas être l’attachement romantique à des résidus évidés, qui ne sont même plus des formes à proprement parler, mais leur dépassement. Ceux qui ont apporté un concours positif de leurs forces dans la Chrétienté (les Pères de l’Église, les moines, les ordres militaires, les réformateurs moraux et spirituels de toutes les époques, etc.) ne se pensaient pas comme des « conservateurs », attachés à la lettre morte, tournés vers le passé, mais avaient une dimension « révolutionnaire », favorable à un changement radical contre la décadence, par la mise en valeur de l’action toujours continue et présente de la Grâce, de l’Esprit-Saint dans la société humaine, mais aussi en apportant des solutions concrètes aux problèmes du temps. Le Mont-de-Piété, le Séminaire, l’Index, l’Action catholique, l’autorisation du prêt à intérêt et bien d’autres choses furent des adaptations de l’action sociale de l’Église à la situation de l’époque.

Le progressisme postmoderne se trompe en voulant s’émanciper de la réalité, dans une fuite éperdue pour ne pas affronter la question de Dieu ainsi que celle de notre responsabilité morale devant Lui. Mais le principe de l’adaptation aux situations nouvelles est bon. Du reste, c’est ce que toute société doit faire pour ne point mourir. C’est ce que l’Église a toujours fait, en réalité.

Cette nécessaire adaptation a ses limites, cela dit. Dès que l’on aborde la question de la Religion dans son aspect dogmatique ou encore celle de la morale, on change nécessairement de registre, puisque ce n’est plus ici la société humaine, fluctuante comme l’homme qui y vit, qui évolue, mais ce serait Dieu Lui-même qui évoluerait, ce qui est une impossibilité métaphysique. Dieu est au-delà du temps, car Il est Illimité et Immuable, or notre Religion a son socle en Dieu, donc elle a son socle en-dehors du temps.

Notre Religion est ultralitaire – ultra : au-delà du mesurable, du quantifiable, et le temps, comme la géographie, est une mesure. On ne peut pas adapter notre dogme ou notre morale aux conditions de notre époque ou à la réalité d’une culture particulière, c’est là la grande erreur du modernisme, mais on peut bien sûr adapter le moyen de témoigner de notre Foi, ce qui est ici une action sociale, n’influant en rien sur notre Foi comme telle, en fonction de notre auditoire ou des moyens techniques mis à notre disposition.

Privés des yeux de la foi et des lumières de la raison, les esprits réactionnaires ne font qu’appliquer leur modèle mental à une situation sociale changeante, qu’ils ne maîtrisent pas en raison même des limites de leur modèle. Nous autres, catholiques, nés à nouveau en Jésus-Christ, nous avons un modèle et un chemin qui est perfection, qui nous permet aussi de comprendre adéquatement les voies de la Providence, et de nous adapter aux difficultés nouvelles.

Donc, ce dimanche, j’irai à la messe pour célébrer la royauté divine de Notre Seigneur Jésus-Christ et acclamer Sa gloire. Mon seul vote ira donc pour le Roi des Rois, puisqu’Il n’a malheureusement pas de représentant digne de ce nom pour ces élections 2022. J’en profiterai néanmoins pour prier pour la défaite des forces du mal et pour la conversion d’Eric Zemmour, ainsi que pour le retour de Marine Le Pen aux promesses de son baptême. Et le soir venu, il se peut que je lève mon verre à la santé des gauchistes en pleurs, à défaut de le lever sincèrement pour les candidats conservateurs.

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