La notion de la loi contient en substance tout le droit public. « La loi, disait Cicéron, est la source de l’équité et le fondement de la liberté », de celle bien entendu qui, selon le même philosophe, consiste à être l’esclave de la loi. « Dans les lois, écrit Aristote, « repose le salut de la république ».
La philosophie chrétienne n’accorde le droit de commander ni à la force, ni à la ruse, ni à la fortune. Un gouvernement n’est légitime que lorsqu’il a été établi conformément à la loi et ne doit jamais s’écarter de la route qu’elle lui a tracée. Le roi doit en être le primier esclave. Les autres dépositaires du pouvoir ne sont autre chose que les ministres et les exécuteurs de la loi ; et les juges n’en sont que les interprètes.
Tout le monde soumis à la loi, et la loi soumise à Dieu : voilà notre idéal.
Par la loi, nous n’entendons ni ce que commande ni ce que vote une majorité. La loi à laquelle sont tenus de se soumettre les hommes, doit, pour ne pas les humilier, découler d’un principe plus élevé qu’eux-mêmes.
D’après la doctrine de Saint Thomas, la science catholique définit la loi comme « un ordre de la raison tendant au bien général et promulgué par celui qui est chargé du soin de la communauté ».[1]
« Voilà d’un seul mot, dit Balmès, l’arbitraire et la force bannis ; voilà le principe qui établit que la loi n’est pas un pur effet de la volonté…Si l’on y fait attention, le despotisme, l’arbitraire, la tyrannie ne sont rien d’autre que le manque de raison dans le pouvoir, la domination de la volonté ! Lorsque la raison commande, il y a légitimité, justice, liberté ; mais lorsque la volonté seule commande, il y a illégitimité, injustice, despotisme. C’est pourquoi l’idée fondamentale de toute loi veut qu’elle soit conforme à la raison, qu’elle en soit une émanation et son application à la société…Pour que la volonté, dit Saint Thomas, ait force de loi dans ce qu’elle commande, elle doit être basée sur la raison, et ainsi s’entend que la volonté du prince a force de loi ; s’il en était autrement, la volonté du prince serait plutôt une iniquité qu’une loi ».
Ces doctrines de Saint Thomas ont été celles de tous les théologiens ; l’impartialité et le bon sens diront si elles sont favorables à l’arbitraire et au despotisme…L’obligation d’obéir à la loi n’a point sa source dans la volonté d’un autre homme, mais dans la raison ; Cependant, celle-ci considérée en elle-même n’a pas été jugée suffisante pour commander.
Les théologiens ont cherché plus haut la sanction de la loi ; La loi juste dérive, non pas exactement de la raison humaine, mais de la loi éternelle, et c’est dans celle-ci qu’elle puise la force d’obliger les consciences.
Ce n’est plus la volonté d’un homme qui règne sur les autres hommes, ce n’est plus la raison humaine, mais la raison émanée de Dieu, ou pour mieux dire, la raison même de Dieu, la loi éternelle, Dieu Lui-même.
Théorie sublime, où le pouvoir trouve ses droits, ses devoirs, son prestige, et dans laquelle la société trouve la plus ferme garantie de l’ordre, du bien-être et de la vraie liberté.
Ce qui humilie la dignité de l’homme, et blesse le sentiment légitime de son indépendance, ce qui introduit dans le monde le despotisme, c’est la domination de la volonté et la soumission qu’elle réclame à ce seul titre ; mais se soumettre à la raison, et suivre ses préceptes, n’est point s’abaisser ; au contraire, c’est s’élever, se grandir, car c’est vivre conformément à l’ordre éternel, à la raison divine.
Saint Jean Chrysostome, expliquant la parole de Saint Paul touchant l’origine divine du principe d’autorité, s’exprime ainsi :
L’apôtre ne soumet pas par-là les fidèles aux princes, mais à Dieu, puisque celui qui obéit à l’autorité obéit à Dieu.
Parmi les chrétiens, c’est chose commune de dire que le peuple n’appartient pas au roi, mais le roi au peuple ; les chrétiens, instruits par Saint Paul, respectent celui qui gouverne et lui obéissent comme on doit le faire pour celui qui est ministre de Dieu, mais celui qui gouverne ne peut le faire que pour le bien ; les sujets obéissent et sont soumis à leurs maitres, et ceux-ci savent que le devoir est de veiller pour eux, comme ayant à en rendre compte à Dieu.
Les lois n’obligent et ne sont de véritables lois que lorsqu’elles sont justes et dirigées vers le bien commun. D’où qu’elles viennent, elles n’ont ni force ni valeurs aucune, si elles sont injustes.
Laissons sur ce point la parole à l’oracle de la science chrétienne, si méconnu et si calomnié par les charlatans modernes :
Les lois peuvent être injustes de deux manières :
1° En étant contraires au bien commun, soit comme fond, lorsque par exemple celui qui est au pouvoir impose à ses sujets des lois onéreuses sans utilité générale, pour satisfaire sa cupidité ou sa vanité ; qu’elles dépassent le pouvoir qui lui a été confié ; soit comme forme, lorsque les charges sont réparties d’une manière inégale entre le peuple, quand bien même elles tendraient au bien commun. De pareilles lois sont plutôt des violences que des lois et n’obligent point la conscience, à moins qu’il n’y ait à craindre un scandale ou un désordre.
2° Les lois peuvent être injustes, en étant contraires au bien divin ; telles que les lois des tyrans, qui portent à l’idolâtrie ou à toute autre chose contraire à la loi divine. Or, il n’est jamais permis de les observer, puisqu’il est dit dans les Actes des Apôtres qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Voilà les paroles textuelles de Saint Thomas.[2]
Saint Augustin avait déjà dit : « Quiconque refuse d’obéir aux lois des empereurs portées contre la vérité de Dieu, se prépare une grande récompense ».[3]
Qu’en dites-vous, libéraux ? Est-ce là du servilisme ? Cela ressemble-t-il à vos théories, et surtout à vos pratiques ?
L’idée de la loi se complète par l’idée du roi chrétien, telle que Saint Augustin l’a décrite en ces lignes :
S’ils commandent avec dignité ; si, au milieu des louanges trop flatteuses qu’on leur adresse, des respects trop serviles qu’on leur porte, ils ne s’enorgueillissent pas, mais se souviennent qu’ils sont hommes ; s’ils se servent de leur puissance surtout pour répandre la culte du Seigneur et se faire les serviteurs fidèles de la majesté divine ; s’ils craignent Dieu, s’ils L’aiment, s’ils Le servent ; s’ils ont plus d’amour pour le royaume où les compétiteurs ne sont point à craindre ; s’ils sont lents à punir et prompts à pardonner ; s’ils emploient les châtiments plutôt par la nécessité de défendre l’État que pour satisfaire aux ressentiments et aux inimitiés ; s’ils pardonnent, non pour laisser le crime impuni, mais dans l’esprit de corriger le coupable ; si, forcés quelquefois d’agir avec rigueur, ils tempèrent cette sévérité par la douceur et la bienfaisance ; s’ils ont d’autant plus de modération qu’ils ont plus de pouvoir, s’ils aiment mieux commander à leurs mauvaises passions qu’aux peuples de la terre, et s’ils agissent ainsi, non pour acquérir une vaine gloire, mais pour l’amour du bonheur éternel : ce sont là les monarques que nous appelons heureux. – Saint Augustin, De Civ. Dei, lib.V, cap. XXIV
Chanoine Joaquin Torres Asensio, Le Droit des Catholiques à se défendre, XB Éditeur
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[1] S. Thom. 1, 2, q.90, art. IV
[2] S. Thom. 1, 2, q. 96, art. IV
[3] S. Augustin. Epist. Bonif. Com. 185