Javier Milei vient de remporter les élections présidentielles d’Argentine avec un score assez impressionant puisqu’il a obtenu plus de 55% des voix.
Pour être franc avec vous, je connais très mal la politique en Argentine, car je ne me suis jamais beaucoup intéressé à l’Amérique du Sud. Cela étant dit, je trouve assez interessant de voir le nombre de réactions enthousiastes au sein d’une certaine droite en Occident vis-à-vis de la victoire de Milei. Et je ne parle même pas des libertariens qui célèbrent actuellement leur quart d’heure de gloire et on les comprend facilement : après tout, ce n’est pas tous les jours qu’un anarcho-capitaliste se retrouve à la tête d’un gouvernement.
Honnêtement, la large victoire de Milei n’est pas très surprenante étant donné l’état catastrophique de l’économie argentine avec une inflation ayant bondi de 140% en une seule année tandis qu’il est estimé que 40% d’argentins vivent sous le seuil de pauvreté local, qui doit déjà ne pas être très élevé. Très clairement, Milei a su facilement imposer sa parole radicale en promettant de libérer un pays effectivement étouffé et ruiné depuis plusieurs décennies par une caste politicienne particulièrement incompétente et corrompue.
De plus, le parti perroniste de centre-gauche, le Frente de Todos, a commis une grave erreur en soutenant la candidature du ministre sortant de l’économie Sergio Massa. Etant donné la situation économique de l’Argentine de ces derniers mois, autant dire qu’il s’agissait d’un véritable suicide politique.
Notons au passage que le péronnisme argentin actuel, à l’exception des derniers nationalistes justicialistes, n’a plus rien à voir avec la doctrine originelle du général Peron.
À l’origine, le mouvement péroniste est une réaction de généraux nationalistes argentins contre la mainmise des intérêts anglo-américains sur leur économie. Le général Perón, qui était d’origine modeste comme sa seconde épouse, la célèbre Evita, avait pour objectif de mettre en place un système social moderne pour sortir de la misère un peuple argentin qui à l’époque, dans les années 1940, ne bénéficiait d’aucune protection sociale, ni de vrai droit du travail, contrairement à ce qui se faisait déjà depuis longtemps en Europe Occidentale.
Le justicialisme était une doctrine patriotique et sociale de type troisième voie, assez proche des principes de l’intégralisme catholique, opposée à l’impérialisme américain comme au communisme soviétique.
Aujourd’hui, les choses sont bien differentes. Le péronnisme politicien actuel se divise entre centre-gauche social-démocrate (la tendance Kirschnerienne) et centre-droite libéral-sécuritaire (la tendance de l’ancien président Menem). On peut dire que le le péronnisme a connu la même destinée que le gaullisme en France ; Le péronnisme n’est plus qu’un simple label que les politiciens, de droite comme de gauche, utilisent pour se donner des gages de respectabilité, et non pas en vue de suivre une ligne de conduite idéologique cohérente. En gros, dire que Sergio Massa est un péroniste revient à dire que Sarkozy était un authentique gaulliste. Du reste, comme avec De Gaulle, après la mort de Perón, le péronnisme a été largement trahi par la classe politique argentine, puisque Perón, qui a toujours tenu à maintenir la démocratie en Argentine, n’avait pas prévu sa succession et s’est laissé déborder politiquement par la grande bourgeoisie ainsi que par une partie de l’armée.
D’ailleurs, si vous voulez en apprendre plus sur l’histoire du péronisme, je vous recommande cette émission de Méridien Zéro avec Jean-Claude Rolinat :
Comme vous le savez, Milei est un économiste au CV assez impressionant, ancien cadre de la HSBC, memebre du Forum Economique Mondial, qui a été présenté ces derniers mois comme une sorte de Trump argentin avec des positions anarcho-capitaliste revendiquées de façon tonitruante dans les médias.
Milei a commencé à accéder à la popularité en Argentine à partir de 2018, lorsqu’il devint une figure apparaissant très régulièrement dans des émissions de télévision. Il est devenu une célébrité mondiale depuis le lancement de la campagne présidentielle cette année grâce aux nombreuses vidéos de ses coups d’éclats à la télévision argentine.
Vous voyez déjà où je veux en venir quand je parle de mémification du politique. Ca commence toujours par ce genre de médiatisation inorganique.
On peut dire que Milei a réussi là où Zemmour, malgré son omniprésence médiatique, n’a pas réussi, loin de là.
Il faut dire que les situations ne sont pas les mêmes. Tandis que la France est traversée à la fois par une crise identitaire ainsi que par une crise sociale, les problèmes de l’Argentine sont principalement d’ordre économique.
Dans un contexte d’hyperinflation et de médiocrité absolue de la classe politique, on peut comprendre que les classes moyennes et populaires aient fini par se laisser séduire par le discours assez novateur de Javier Milei.
Il ne faut pas oublier qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, l’Argentine était la 5e puissance économique mondiale alors qu’elle est aujourd’hui 27e au classement, loin derrière la Turquie, l’Indonésie, le Brésil ou encore l’Inde. On peut donc comprendre qu’une partie de la population argentine ressente mal ce déclassement humiliant et qu’elle soit disposée à donner sa chance à Javier Milei.
Il nous reste à comprendre pourquoi un libertarien minarchiste pro-drogues et féru d’ésotérisme bizarre comme Milei, suscite le soutien de tous les droitardés d’Occident.
Le soutien d’une partie des droites européennes à Milei peut s’expliquer de plusieurs facons :
- Comme Théodon l’avait parfaitement annoncé il y a déjà 5 ans, l’extreme droite occidentale devient de plus en plus libertarienne dans son éthique et dans son action politique, il est donc logique qu’elle considère Milei comme un modèle d’inspiration. Premier problème, ce dernier est en faveur d’une immigration totalement libre. Pour Milei, presque tout doit être permis, à condition que cela ne coute rien à l’Etat et au contribuable.
- La presse de gauche en Occident présente Milei comme un candidat d’extrême droite, comme elle le fit avec Bolsonaro. Ce qui est évidemment complètement ridicule étant donné l’idéologie de Milei. Cependant, il n’en faut pas plus au droitard de base pour s’identifier au nouveau président argentin.
- L’une des propositions choc de Milei est de supprimer la banque centrale d’Argentine qu’il présente comme étant à l’origine de tous les problèmes monétaires de l’Argentine. Le problème est qu’il propose en même temps de supprimer le pesos argentin et de faire du dollar américain la monnaie officielle. Ce qui veut dire que la nouvelle banque centrale d’Argentine sera tout simplement la banque fédérale américaine.
- Milei se présente comme hostile à l’avortement et c’est tout à son honneur. Le problème c’est qu’il défend aussi le droit au trafic d’organes et au trafic de drogues. Même s’il n’est pas franchement un militant pro-LGBT, il a également déclaré qu’il n’avait aucun problème avec l’homosexualité, tant que cela ne menacait pas sa propriété et sa liberté, et tant que ça ne coutait pas d’argent au contribuable. En bref, c’est l’agnosticisme moral typique des libertariens.
- Milei se moque de façon caricaturale de l’environnementalisme, ce qui là encore, plaira à ceux qui pensent que l’écologie devrait être le monopole naturel de l’extrême-gauche. Le problème, c’est que Milei affirme que les entreprises ont le droit de polluer les rivières autant qu’elles le veulent, pourvu qu’elles possèdent le terrain sur lequel se trouve la rivière en question. Certains membres de son parti ont même proposé de privatiser les eaux territoriales argentines.
- Milei est présenté comme anti-woke à cause de ses quelques crises d’hystéries contre les gauchistes à la télévision. Problème : le libertarianisme ne s’oppose en rien au wokisme puisqu’il lui laisse toute liberté d’agir par principe. Rappellons au passage la parenté philosophique entre libéralisme et socialisme, une parenté que l’on retrouve dans le matérialisme et l’économisme que ces deux doctrines ont en commun. Et on le voit chez Milei : pour lui, toute question politique, sociale, morale ou scientifique est subordonnée au facteur économique.
- Notons aussi que Milei est fanatiquement pro Israël, mais à la limite, étant donné le reste de ses positions et son interêt pour l’ésotérisme, on ne vas pas faire comme si ça devait nous choquer. Ce que je trouve assez drôle c’est que ce type soit présenté comme un mec super basé alors qu’il a avoué fièrement qu’il était professeur de tantrisme.
- Ah, et pour finir, Milei affirme avoir décidé de se présenter aux élections après avoir eu une discussion télépathique avec son chien décédé, Conan, pour lequel il avait une grande affection. Spirituellement parlant, il semble avoir un gros problème avec le catholicisme et il a déclaré qu’il voulait absolument se convertir au judaïsme.
Conclusion
L’idéologie de Milei est un condensé de délires libertariens, mais je doute qu’il puisse mettre en application ne serait ce que 50% de ses idées. Rien que l’existence d’un président anarcho-capitaliste ne fait aucun sens logique pour commencer.
Ensuite, malgré sa victoire très confortable, Milei devra gouverner en tenant compte d’un parlement où le centre-droit détient un bon tiers des sièges et il est clair que certaines politiques de Milei ne seront pas acceptées par le parlement.
Il est plus probable que Milei va chercher à mener une politique néo-libérale volontariste, un peu dans le style du président Carlos Menem dans les années 1990, une politique qui eut un certain succès au début, mais qui termina dans une énième crise. D’ailleurs, Milei a nommé à la tête du ministère de l’économie l’économiste Federico Sturzenegger, ancien Young Leader du Forum Economique Mondial, ancien président de la banque centrale d’Argentine, bien connu pour sa gestion remarquable de la Banca Cuidad dans les années 2000.
Même si les idées libertariennes peuvent apparaitre assez nouvelles pour le grand public, Milei représente en réalité une doctrine profondément rétrograde, en retard de plusieurs décénnies, une sorte de néo-reaganisme survitaminé qui ne donnera pas de bons résultats sur le long terme.
Sa politique étrangère semble assez saugrenue et en retard également, puisqu’il ne veut pas faire partie des BRICS mais veut se rallier au bloc USA-Israel, ce n’est pas forcément la meilleure option géopolitique en ce moment.
Milei représente l’épitome de la memification du politique, phénomène par lequel on ne juge plus un politique que par son degré de “meme worthyness”, sans s’inquiéter de la cohérence ou de la moralité de ses propositions.
En ce qui me concerne, je suis bien sur opposé à l’idéologie libertarienne de Milei et tout catholique qui maitrise un minimum son catéchisme politique devrait en faire de même. Milei ne semble pas manquer de compétences, en théorie. Il a même sans doute quelques bonnes idées.
Le problème, c’est que ce que j’ai vu de lui durant cette campagne, c’est une sorte de clown hystérique qui se roule par terre, qui danse le collé-serré sur les plateaux de télévision et qui se déguise en superhéros libertarien sur son temps libre. Et je pense que je suis loin d’être le seul à m’interroger sur l’état de santé mentale de cet homme hors du commun.
Comme dit, je ne connais pas du tout l’Argentine, donc peut etre que les gens la bas trouvent ça normal, mais même en France, malgré la médiocrité de nos politiciens, aucun d’entre eux ne s’abaisserait à de tels comportements en public.
Cela dit, c’est une stratégie intélligente de la part de Milei. Pour captiver l’électorat jeune et démotivé par la politique, il a compris qu’il fallait lui montrer des références qu’il comprend, à savoir des costumes de superhéros de Marvel et des bouffoneries à la télévision.
Et c’est en cela que je trouve que Javier Milei est l’incarnation ultime de la mémification du politique. En clair, la conquête du frivole, même et surtout dans les situations les plus graves.
Car, au final, ce que les nationalistes et les catholiques intégralistes craignent avec Milei, ce n’est pas tant qu’il soit passé par le WEF, mais c’est plutôt d’avoir affaire à un fou.