[In Memoriam] Monseigneur Andrey Sheptytsky, métropolite-archevêque de Galicie

Le métropolite Sheptytsky fut sans aucun doute l’un des plus zélés et des plus influents prélats catholiques en Europe de l’Est au XXe siècle. En tant qu’archevêque métropolite pour les catholiques de rite byzantin en Ukraine, sa carrière ecclésiastique a traversé pas moins de sept régimes politiques : autrichien, russe, ukrainien, polonais, soviétique, nazi, puis stalinien. Roman Aleksander Maria Sheptytsky est né le 29 juin 1865 dans une vieille et illustre famille aristocratique ruthène devenue catholique au 19e siècle. Après ses études et l’obtention de son doctorat en droit, Sheptytsky visita l’Italie où le pape Léon XIII le reçut personnellement. Malgré l’opposition de son père, le jeune comte Sheptytsky décide de devenir moine au monastère de Dobromyl, en Ukraine, dans l’ordre de Saint Basile le grand (OSBM). Il prend le nom d’André en religion, en honneur au jeune frère de l’apôtre Pierre. Il étudie ensuite au séminaire jésuite de Cracovie où il reçoit un doctorat de théologie en 1894. Après son ordination, il est fait recteur du monastère de Saint Onuphrius à Lviv en 1896. Deux ans plus tard, à l’instigation du pape Léon XIII et de l’empereur François Joseph, le R.P. Andrey est nommé évêque de Stanyslaviv et consacré la même année par le métropolite Julian Sas-Kuilovsky, l’évêque Chekhovych et l’évêque auxiliaire Weber. Et dès l’année suivante, en 1900, il est nommé métropolite de Lviv à l’âge de 36 ans.

 

Sa vie témoigne d’une constante vertu héroïque. Pasteur suractif et profondément dévot, il dépensait sa fortune personnelle pour financer toutes sortes de projets pour le bien de sa juridiction, notamment dans le domaine de l’éducation des classes les plus pauvres, de la diffusion de l’hygiène et des techniques modernes d’agriculture. De par ses origines sociales, il pouvait également facilement tenir tête aux élites intellectuelles et politiques de toute l’Europe. Lui-même moine à l’origine, le métropolite était extrêmement désireux de rétablir la situation déclinante du monachisme ukrainien. C’est pourquoi à la suite de sa consécration et de sa nomination comme métropolite de Lviv, il décida de promouvoir à nouveau la règle de Saint Théodore-le Studite (8e siècle) et d’établir son ordre dans le fameux monastère basilien de la Sainte Dormition à Univ.

Laure de la Sainte Dormition à Univ, abritant l’ordre des Frères Studites (M.s.u. Monachi e Regula Studitarum). Transformé en prison pour prêtres et moines réfractaires par les soviétiques après la seconde guerre mondiale, il ne fut rouvert qu’en 1990.

Parmi les membres célèbres de cet ordre, on peut citer le hiéromoine Leonid Feodorov, figure marquante du catholicisme russe au XXe siècle qui subit durement les persécutions bolcheviques, mais aussi l’œcuméniste d’origine française Louis Gillett, qui passa par les Bénédictins de Clairvaux, puis en 1925 par les Studites d’Univ Lavra, avant de renier le catholicisme et d’entrer dans l’église « orthodoxe » à Paris, trois ans plus tard. A la fin des années 1930, Louis Gillett (ou Lev Gillet) est actif à Londres dans la compagnie de Saint Alban et Saint Serge, une association œcuméniste visant à rapprocher anglicans et schismatiques orientaux. Il fut également impliqué dans la Société des Chrétiens et des Juifs. Influencé depuis les années 1920 par le fameux moderniste et révolutionnaire liturgiste Dom Lambert Baudouin, avec qui il partageait le même œcuménisme orientaliste, Louis Gillet a aussi souvent prétendu que la décision de son entrée dans l’église orthodoxe avait été « approuvée » par le métropolite Andriey.

L’oecuméniste Louis (Lev) Gillet

En réalité, dans ces années sombres où le bolchévisme et les nationalismes agressifs en Europe menacent la quiétude des catholiques ukrainiens, la menace du modernisme est un péril supplémentaire auquel le clergé catholique de ces contrées doit aussi faire face. En particulier, le modernisme, dans les années 1910 à 1930, se signale désormais sous la forme de l’œcuménisme, alors que le modernisme en matière de liturgie réapparaît lui-aussi. Ainsi, le métropolite Andriy doit composer avec la proximité géographique de communautés, voire de nations schismatiques orientales, mais aussi avec des catholiques occidentaux qui pouvaient lui reprocher une attitude ambiguë vis-à-vis de sa loyauté à Rome. Cette position périlleuse du clergé catholique ukrainien, et slave en général, s’illustre et s’explique peut-être surtout dans les matières politiques, puisque les changements de régime, le déplacement des frontières et des populations en ce début de XXe siècle, vont être le lot quotidien de ces peuples malheureux. C’est au milieu de ces turpitudes que doit travailler un archevêque déjà atteint par une douloureuse paralysie chronique. Malgré cela, nous allons voir que l’œuvre pastorale et même diplomatique de ce prélat fut exceptionnelle.

Le métropolite Sheptytsky fit une tournée au début des années 1910 auprès des communautés catholiques ukrainiennes immigrées dans le nord-ouest américain.

Après le déclenchement de la première guerre mondiale, le métropolite Sheptytsky est arrêté et emprisonné au monastère de Saint Euthyme à Suzdal, par ordre du gouvernement impérial russe. Il est libéré en mars 1918 et retourna enfin dans son archevêché de Lviv, d’où il décida de transférer son ordre de studite vers l’antique monastère d’Univ. Pendant l’année 1933, il publie une lettre « L’Ukraine en convulsions ante-mortem », dans laquelle il dénonce l’horreur de l’Holodomor en cours cette année-là dans le pays. Le Métropolite Sheptytsky est aussi connu pour son extrême courage et sa charité pendant la seconde guerre mondiale, non seulement à l’égard de son propre troupeau, mais aussi à l’égard des juifs. Il écrivit même personnellement à Hitler et à Himmler pour protester contre les atrocités commises contre ces communautés. Il écrivit aussi une lettre pastorale restée fameuse (« Thou shalt not kill – Tu ne tueras point ») dans laquelle il interdisait à tout catholique de prendre part aux violences nazies contre les juifs, une attitude semblable à celle de l’épiscopat catholique depuis des siècles, en Occident comme en Orient. En outre, il cacha personnellement ou fit cacher par son clergé des centaines de Juifs ou les aida à fuir le pays, notamment avec l’aide de son frère l’archimandrite Klymentyi, supérieur de l’ordre des Studites d’Univ.

D’une santé fragile, malgré sa carrure impressionnante (il mesurait plus de 2 mètres), le métropolite Sheptytsky était déjà malade depuis de nombreuses années. Souffrant de paralysie, il traversa l’essentiel des années 1940 dans une chaise roulante. Malgré ses actes de charité pour sauver les juifs ukrainiens des violences nazies, le métropolite n’a jamais reçu aucune considération de la part de l’industrie mémorielle sioniste qui ne lui pardonne pas ses réjouissances lorsque l’invasion allemande provoqua en 1941 la fin –très temporaire- du régime soviétique en Ukraine. Cette hostilité se retrouve également dans un certain clergé moderniste polonais : en novembre 2006, à l’occasion d’une conférence biographique sur la vie du métropolite à Cracovie, des manifestants menés par un « prêtre » moderniste eurent l’audace de troubler l’évènement.

Il est pourtant aisé de comprendre quels drames et quels tiraillements a subi l’Ukraine occidentale pendant ces terribles années, un peu à l’image de son clergé, comme nous l’avons dit. Le métropolite a en effet initialement salué l’invasion allemande de l’Union soviétique en 1941 et a dépêché des chapelains pour accompagner les sections de soldats ukrainiens catholiques engagés dans la division SS « Galizien ». Il ne s’agissait évidemment pas d’un quelconque soutien à l’idéologie politique du régime allemand de l’époque, mais surtout d’un sentiment de bref soulagement après que l’Ukraine occidentale –jusque-là polonaise- fut annexée de force à l’Union soviétique à la suite du pacte Molotov-Ribbentrop de 1939. En effet, le régime soviétique en Ukraine occidentale arrêta et déporta des centaines de catholiques, sans compter le souvenir terrible de la famine sciemment organisée en 1932-1933. Ainsi, son soutien aux soldats catholiques ukrainiens incorporés dans la division Galizien ne signifiait en rien un quelconque soutien au régime ou à l’idéologie nazie, mais témoignait tout simplement de son devoir pastoral et de son devoir patriotique.

Crée après la défaite de Stalingrad, cette unité fut créée par le régime nazi et fut présentée comme une force d’alliance entre allemands et ukrainiens contre le bolchévisme. L’enjeu était de taille pour les catholiques ukrainiens, puisqu’une nouvelle défaite allemande aurait signifié le retour du régime stalinien. Beaucoup, à l’instar du métropolite, espéraient que cette division pourrait être le départ d’une armée ukrainienne indépendante, et donc d’un état ukrainien catholique indépendant. Ainsi, le métropolite n’a fait que composer de façon très pragmatique et très juste, en tant que pasteur catholique, dans une situation absolument terrible pour l’Ukraine, de toutes façons prise au piège entre le régime nazi et le régime stalinien. De plus, le métropolite, lui-même issu d’une famille polono-ukrainienne et ayant lui-même de nombreux haut gradés militaires dans sa famille (un autre de ses frères, Stanislaw, était général et chef d’état-major polonais), ne se souvenait que trop bien de l’échec de l’établissement d’un état ouest-ukrainien indépendant à la fin de la 1ere guerre mondiale.

 

Quoiqu’il en soit, le mépris entretenu à l’égard de la mémoire de l’œuvre du métropolite pendant la seconde guerre mondiale est semblable aux accusations de collaboration au génocide nazi que les élites judéo-maçonniques portent contre l’Eglise catholique depuis plusieurs décennies. Le cas du métropolite de Lviv n’est qu’un exemple parmi cent autres, qui expose l’indécence de ces accusations encore courantes. Pourtant, le rabbin David Kahana (qui fut rabbin de l’aviation de l’état sioniste) ou encore le rabbin Curt Levin, parmi d’autres, ont tous témoigné de façon éloquente qu’ils devaient leur survie à l’action généreuse de l’archevêque de Lviv. Dommage toutefois, qu’ils n’aient pas choisi la vraie vie avec le Messie Jésus-Christ ! Finalement, le métropolite Sheptytsky expira en novembre 1944 au terme d’une œuvre pastorale de presque 50 années.

Hélas, après la nouvelle annexion dans l’Union soviétique à la fin de la 2e guerre mondiale, l’église catholique en Ukraine fut techniquement interdite et tout particulièrement visée par les persécutions soviétiques. Le monastère studite d’Univ fut transformé en camp de concentration pour le clergé qui refusait de renoncer à sa loyauté au pape. L’archimandrite des frères studites, Clément Sheptytsky, fut lui-même déporté en Sibérie où il mourut en 1951. L’évêque Josyf Slipyj, qui fut secrètement et avec la bénédiction de Pie XII, consacré en 1939 par le métropolite Sheptytsky, succéda à ce dernier à sa mort en novembre 1944 : il fut également arrêté, emprisonné pendant huit ans avant d’être envoyé au Goulag en Sibérie. Pendant ce temps, en mars 1946, les autorités communistes tentèrent de soumettre de force le clergé catholique ukrainien au patriarcat schismatique de Moscou. Les autorités organisèrent un « synode » illégal à Lviv en formant par la force une assemblée de 216 prêtres, qu’ils forcèrent à révoquer l’acte d’union de Brest de 1596, par lequel les chrétiens de Ruthénie rentraient en pleine communion avec le siège apostolique. Bien que cet acte profane n’ait eu aucune conséquence au vu des lois de l’Eglise, cet évènement témoignait de la défiance extrême des communistes russes vis-à-vis du catholicisme et de leur volonté de placer les catholiques sous « l’autorité » de l’église schismatique moscovite, également persécutée, mais servant désormais d’organe de contrôle par le gouvernement soviétique. L’évêque Slipyj, qui refusa évidemment ces actes illégaux, fut conséquemment condamné à 18 ans de travaux forcés dans les goulags sibériens où sa santé fut terriblement éprouvée. Continuant à écrire en prison et même à recevoir une lettre d’encouragement de la part du pape Pie XII en 1957, il fut condamné à sept années de prison supplémentaires. Pendant ce temps et dès la fin des années 1940, les prêtres et les moines de l’ordre studite s’organisèrent pour maintenir le culte divin et entrèrent en totale clandestinité pour de longues années, à l’instar de bien d’autres communautés catholiques tombées sous le joug soviétique en Europe orientale après la seconde guerre mondiale.

Mgr. Josyf Slipyj, date inconnue, avant son arrestation par les autorités soviétiques en 1946.

De façon intéressante, ce n’est qu’en Janvier 1963 que l’évêque Slipyj fut libéré à la faveur des nouvelles relations diplomatiques rendues possibles dans les années suivant la mort de Joseph Staline. Hélas, pour le brave évêque ukrainien, après avoir subi le nazisme et le communisme, c’est désormais la contre-église moderniste qui le « libère », sous la pression de Jean XXIII-Roncalli et du président américain John F. Kennedy. Ironie terrible, puisque sa libération et son transport à Rome le 9 février 1963 lui permit tout juste de participer aux délibérations de Vatican II.

Le métropolite Andrey fait encore aujourd’hui l’objet d’une grande vénération chez les descendants des communautés catholiques ukrainiennes. Il est également présenté parfois comme une icône à des fins politiques, par les adeptes du néo-nationalisme ouest-ukrainien. Son rôle pendant la seconde guerre mondiale vis à vis des juifs et vis à vis du régime nazi font encore régulièrement l’objet de débats.

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