[Identité française] Jean Vaquié : L’importance fondatrice de la bataille de Vouillé

En 325 de notre ère, l’Empereur Constantin, récemment converti, convoque le Concile de Nicée pour statuer sur l’affaire de l’arianisme. Trois cents évêques condamnent l’hérésie d’Arius et rédigent la profession de foi connue sous le nom de Symbole de Nicée. En 381, l’Empereur Théodose convoque le Concile de Constantinople qui réitère la même condamnation. Théodose extirpe, en quelques années, l’hérésie arienne dans les limites de l’Empire romain. Mais elle subsiste à la périphérie. L’épisode final de l’histoire de l’arianisme mérite d’être raconté. Le dernier évêque arien résidant à Constantinople veut un jour administrer le baptême à un catéchumène. Il le fait en prononçant les paroles du rituel arien : «Je te baptise au nom du Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit». A ces mots, l’eau baptismale disparaît complètement, laissant la piscine à sec. La nouvelle de ce miracle, rapidement colportée, renforce encore l’autorité du Concile. En 395, ce même empereur Théodose partage définitivement l’Empire romain entre ses deux fils. Il confie l’Empire d’Occident à Honorius, encore enfant, avec résidence à Rome. Il attribue l’Empire d’Orient à Arcadius, avec Constantinople pour capitale. Ces deux moitiés de l’ancien empire romain ne seront plus jamais réunies. C’est l’Empire romain d’Occident qui est destiné à disparaître le premier. En 476, en effet, donc un siècle seulement après la décision de Théodose, le roi des Hérules, Odoacre, pénètre dans Rome et dépose le dernier successeur d’Honorius, qui portait le nom de Romulus Augustulus, nom qui rappelle à la fois le fondateur de Rome et le premier empereur. Cette date marque la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Age. L’Empire d’Orient durera beaucoup plus longtemps. Il disparaît en 1453 lorsque Mahomet Il détrône Constantin XIII Paléologue, dernier empereur d’Orient. Cette date marque la fin du Moyen-Age et le début des temps modernes. Il n’était pas inutile de rappeler succinctement ces grandes décisions des temps historiques, avant de commencer le récit d’un événement qui va nous ramener à nos origines et par conséquent nous remémorer notre véritable identité fran- çaise et catholique que tant d’ennemis conjurés voudraient nous faire perdre. Au moment où Odoacre met fin à l’Empire romain d’Occident, le jeune Clovis est âgé de dix ans et Clotilde est une petite fille d’un an. Une nouvelle ère politique commence à laquelle ces deux enfants vont imprimer la marque de JésusChrist.

ULPHILAS ET L’ARIANISME WISIGOTH

Les décisions du Concile œcuménique de Nicée, exploitées avec diligence par l’Empereur Théodose le Grand, ont donc mis fin à l’arianisme qui sévissait à l’intérieur de l’Empire. Mais alors dans quelles conditions cette hérésie s’est-elle maintenue chez les peuples barbares qui occupent la périphérie ? Un siècle auparavant, les Goths se sont installés dans la vallée du Danube : les Ostrogoths sur la rive orientale et les Wisigoths sur la rive occidentale. Or, ces deux peuples pratiquent l’arianisme à la suite des circonstances que voici. Ils ont été évangélisés par l’évêque Ulphilas qui finit par jouir auprès d’eux d’un immense prestige. Il avait traduit les Ecritures Saintes en langue gothique et il était considéré, à cause de cela, comme un nouveau Moïse. Or, il passa à l’arianisme sans bien mesurer, dit-on, les conséquences lointaines de cette adhésion.

Ulfilas évangélisant les Goths, artiste inconnu, gravure XIXe siècle.
Ulfilas évangélisant les Goths, artiste inconnu, gravure XIXe siècle.

Les peuples goths, ceux de l’Ouest comme ceux de l’Est du Danube, suivirent aveuglément leur nouveau Moïse. Les voilà tous ariens. Et ils le restèrent alors que les populations de l’intérieur de l’Empire ne l’étaient plus. Quand les Goths quittent leurs résidences danubiennes et entreprennent leurs migrations vers le Sud et l’Ouest pour se rapprocher de la Méditerranée et de l’Océan, ils réintroduisent, dans l’Empire, un arianisme qui en avait été extirpé cinquante ans plus tôt, principalement par le zèle catholique de Théodose. En 410, Alaric I, Roi des Wisigoths, profite de l’absence d’Honorius qui est à Ravennes, pour prendre Rome. Il se dispose à passer en Sicile quand il meurt avant d’avoir réalisé ce projet. Son successeur, Ataulf, fait la paix avec Honorius qui a réintégré Rome. L’Empereur lui cède la Gaule Narbonnaise et la partie de l’Espagne qui est située au nord de l’Ebre, le fleuve de Saragosse. Parti de cette première base, le royaume wisigoth s’étend ensuite rapidement à toute la vallée de la Garonne. Telle est l’origine du royaume wisigoth d’Aquitaine dont la capitale est Toulouse. Les premiers rois wisigoths d’Aquitaine, tout en restant ariens, entretiennent de bons rapports avec la population et l’épiscopat catholiques. Cette politique souple s’imposa aux Wisigoths pendant tout le règne d’Honorius, dernier empereur romain d’Occident. Mais quand Odoacre prend Rome et dépose Honorius, l’autorité fédérative de l’Empire s’effondre et Euric, qui est devenu roi des Wisigoths après la mort d’Ataulf, en profite pour rompre tout lien d’allégeance avec Rome et il étend les limites de la monarchie wisigothique, d’abord en Espagne, au sud de l’Ebre, puis en Gaule jusqu’à la Loire et au Rhône. Il rêve d’ailleurs de conquérir tout le reste de la Gaule que la chute de l’Empire romain laisse sans défense. 2 En même temps, Euric reprend une politique d’arianisation. Il fait peser, sur les territoires qu’il occupe, en Gaule, un joug de plus en plus lourd. Il exile les évêques qui lui résistent et il interdit de remplacer ceux qui meurent. Certains sièges épiscopaux restent ainsi de nombreuses années sans titulaires. Les populations et le clergé catholiques supportent toujours plus mal l’autoritarisme arien des Wisigoths. Euric meurt en 485 et Alaric Il lui succède sur le trône wisigothique de Toulouse. Il est décidé à pratiquer une politique moins contraignante à l’égard des catholiques de Gaule, mais il n’arrive pas à désarmer leur méfiance.

 

Car les regards des gallo-romains se portent maintenant vers Clovis et vers les Francs dont les succès militaires viennent de montrer l’efficacité dans la défense des confins septentrionaux. On se souvient, car il y a seulement quarante ans de cela, de l’action décisive de Mérovée aux Champs Catalauniques dans la bataille qui a repoussé les Huns et qui dura trois jours, les 20, 21 et 22 septembre 451. Clovis lui-même vient de mettre fin au royaume anachronique que s’était constitué le général romain Syagrius, entre Troyes et les côtes de la Manche, il l’a chassé de Soissons, sa capitale, en 486. Les Wisigoths, si on leur laisse conquérir la Gaule, vont la replonger dans les erreurs et dans les désordres de l’arianisme et cela d’autant plus certainement que les Burgondes sont ariens et arien aussi Théodoric, roi des Ostrogoths (à ne pas confondre avec Théodose, empereur de Rome et de Constantinople). Théodoric vient de chasser Odoacre de Rome ; il s’y est installé lui même et il y exerce une autorité quasi-impériale. Il faut véritablement freiner la mainmise des princes ariens sur la Gaule. Et qui peut le faire mieux que Clovis ? C’est ce que pense saint Remy, qui est archevêque de Reims depuis 461.

GODEGÉSIL ET L’ARIANISME BURGONDE

Les Burgondes eux aussi partagent l’hérésie arienne, mais ce n’est pas Ulphilas qui les y a amenés. Ils se sont installés sur le territoire gallo-romain au commencement du Vè siècle, c’est-à-dire au début des années 400. La contrée qu’ils occupent dans les vallées du Rhône et de la Saône forme bientôt un royaume dont les villes principales sont Lyon et Vienne. A l’époque de leur arrivée en Gaule, ils professent la religion catholique. Ils ne sont passés à l’arianisme que par la suite. Leur situation géographique les a rendus voisins des Wisigoths ariens dont nous venons de voir qu’ils se sont approchés du Rhône. Ils sont également limitrophes avec les Ostrogoths, ariens eux aussi, qui sont maîtres de Rome et qui étendent leur domination jusqu’en Provence. Ces deux puissants voisins ont fini par entraîner les Burgondes dans leur arianisme. Le roi burgonde Gondéric était resté catholique. Mais à sa mort, en 476, une lutte s’engagea pour sa succession entre ses quatre fils : Godemar, Chilpéric, Gondebaud et Godegésil (que l’on appelle aussi Godégisèle). Parmi ces quatre héritiers, la lutte va être particulièrement âpre entre Chilpéric, qui reste catholique, et Gondebaud qui devient férocement arien. Or, c’est Gondebaud qui l’emporte, faisant périr Chilpéric et toute sa famille à l’exception des deux petites filles, Chrona et Clotilde, auxquelles on laisse la vie sauve mais qui deviennent, nous apprend Grégoire de Tours, quasiment prisonnières de leur oncle Gondebaud. Quand Gondebaud meurt, c’est son frère Godegésil qui devient tuteur et gardien de Clotilde, laquelle est restée catholique comme son père et sa mère, malgré les pressions qui s’exercent sur elle dans la résidence burgonde de Genève. Nous avons vu que c’est en 476, l’année même de la mort de Gondéric, le grand-père de Clotilde, que le Roi des Hé- rules, Odoacre, prit Rome, mit la ville à sac et déposa le dernier empereur d’Occident. A cette date, remarquons-le une nouvelle fois, Clovis, né en 466, était âgé de 10 ans et Clotilde était une petite princesse au berceau. Ces deux enfants sont destinés à prendre dans quelques années une part prépondérante à l’installation du régime féodal et chrétien qui remplacera le régime impérial romain. La disparition de l’empereur et la vacance d’un trône si prestigieux ne pouvaient manquer de créer un vide profondément ressenti par les populations gallo-romaines et gothiques. L’ère de l’Antiquité vient de se clore. Tout l’Ancien Empire en a conscience. Quel sera le sort de la Foi orthodoxe dans l’ère nouvelle qui commence ? C’est la question que se pose l’épiscopat catholique et en particulier le plus saint de tous les évêques d’alors, saint Remy.

FIANÇAILLES MÉROVINGIENNES

Clovis, roi des Francs depuis février 481, n’était pas sans entretenir des relations diplomatiques avec la cour des rois Burgondes Gondebaud puis Godegésil. Ses ambassadeurs lui traçaient un portrait flatteur de la jeune princesse catholique Clotilde, orpheline de son père et de sa mère, qui vivait sous la tutelle étroite de ses oncles. Le roman sentimental de Clovis et de Clotilde appartient à notre épopée nationale et chrétienne. On y trouve, certes, des épisodes fort «terrestres», mais qui ne doivent pas nous faire oublier la trame surnaturelle qui leur sert de fondement. Leurs missions étaient d’une importance capitale et c’est de toute évidence le Ciel qui les a fait se rencontrer. Tout indique qu’ils ressentirent de l’attrait l’un pour l’autre avant même de s’être vus. Clotilde avait, auprès de Clovis, des avocats particulièrement efficaces saint Remy et les ermites de Ferrières. – On peut penser que saint Remy, thaumaturge puissant et mystique en continuel contact avec Dieu, opéra en la circonstance sous l’inspiration du Saint Esprit. 3 – Il faut en dire autant des ermites de Ferrières-en-Gâtinais. Ce lieu était privilégié de longue date puisque la Sainte Vierge y était apparue de son vivant, accompagnée de saint Joseph, saint Savinien et saint Potentien, les apôtres du Sé- nonais, une nuit de Noël. Ferrières est situé dans l’actuel département du Loiret à quelques kilomètres au nord de Montargis. Des ermites s’y installèrent dès les premières années de l’évangélisation de la Gaule.

Clovis et Clothilde, Antoine Jean Gros, 1811.
Clovis et Clothilde, Antoine Jean Gros, 1811.

On sait que ces ermites prirent une part diligente aux négociations préparatoires du mariage de Clovis. Là où l’érudition profane ne voit que des calculs intéressés et des ambitions ecclésiastiques, nous retiendrons de préférence des dispositions providentielles et ce faisant nous serons certainement plus proches de la réalité fondamentale. Clovis sait que la belle et pieuse princesse, qui approche de sa majorité, est bien gardée par ses rigoureux tuteurs. Il veut lui faire parvenir en secret quelques lettres et des bijoux pour susciter une première réaction. Il confie cette mission à l’un de ses officiers particulièrement fidèle, efficace et déterminé. Le soldat, déguisé en mendiant, parvient à Genève, résidence de Godegésil. Il prend l’air ahuri qui s’impose et se met à épier les habitudes de Clotilde. Et un beau dimanche, il vient l’attendre à la sortie de la messe, devant l’église Saint Pierre. Clotilde sort de l’église et voit ce mendiant à qui elle trouve une mine singulière. Mais elle s’approche de lui. Le messager, tout en lui tendant la main pour recevoir l’aumône comme il convient à un mendiant, la retient de l’autre par son manteau afin de lui glisser quelques mots à l’oreille. Clotilde l’interrompt et lui dit : «Je sais la vérité : vous êtes un personnage de qualité, déguisé». Puis en deux mots, elle lui fixe un rendez-vous pour quelques jours plus tard. Seulement voilà, la veille de la rencontre qui doit décider de la réussite ou de l’échec de sa mission, un voleur dérobe au messager le petit sac qui contient les bijoux envoyés par Clovis. Et c’est un homme bien embarrassé qui arrive au rendez-vous. Clotilde devine tout de suite ce qui s’est passé et elle lui indique l’endroit où le voleur a caché les pierreries. Puis elle accepte l’anneau envoyé par Clovis, et, prompte à la décision, elle confie au messager, en retour, la bague qu’elle porte elle-même au doigt. L’officier repart, mission accomplie, non sans l’aide de la Providence. Clovis qui connaît parfaitement la situation à la cour burgonde, ne brusque pas les choses et attend qu’une occasion se présente. L’année suivante, à pareille époque, il renvoie à Genève, non plus un mendiant cette fois, mais toute une délégation pour porter la demande officielle qu’il formule auprès du roi Godegésil, tuteur de Clotilde. Le roi burgonde est prit de court. Clotilde, contrairement à ce qu’il pouvait attendre, accepte tout de suite la demande en mariage de Clovis et elle se mêle aussitôt à la délégation franque. Elle fait rapidement comprendre aux Francs qu’il faut partir le plut tôt possible. Ils ne demandent qu’à foncer. On fait monter la princesse dans une voiture légère qui part sur le champ encadrée d’une escorte de cavaliers. Mais Clotilde trouve l’allure trop lente, elle demande un cheval pour pouvoir devancer les poursuivants que Godegésil ne manquera pas de lancer sur ses traces. Et la voilà qui part à bonne allure, entourée de l’élite de ses futurs sujets. Bien protégée, elle arrive en Champagne. Quand Clovis voit Clotilde pour la première fois, il est transporté de joie. Il n’aurait pas osé imaginer une telle distinction. Le mariage eut lieu, en 492, à Soissons, la ville dont Clovis avait chassé Syagrius quelques années auparavant. Il se déroula à l’église de la Trinité et de Sainte Sophie.

LA COLOMBE ET L’AMPOULE

L’époux de la catholique princesse n’est pas baptisé, saint Remy sait que cette situation est seulement transitoire. L’œuvre de la Reine va consister à convertir le Roi. C’est pour cela qu’elle a été envoyée auprès de lui. Mais le Roi n’est pas de ceux que l’on fait changer d’avis par des discours. Il est taillé pour résister aux pressions et il va falloir que Dieu Lui-même le fléchisse. Aussi toute l’élite du christianisme gallo-romain qui avait déjà conspiré pour fiancer le Roi se met en prières : – sainte Geneviève que la Reine rencontre souvent ; – les religieux de Ferrières-en-Gâtinais ; – l’ermite de Joye-en-Val dont nous allons reparler dans un instant ; – et surtout saint Remy, l’évêque de Reims, qui a misé sur Clovis depuis longtemps avec un flair qui ressemble fort à une inspiration divine. Les prières montent vers le Ciel mais la conversion ne vient pas. Les démons du paganisme ne lâchent pas facilement leur proie. On pressent qu’il va falloir une épreuve. L’épreuve, Clovis la rencontrera dans la guerre contre les Alamans. L’invocation au «Dieu de Clotilde», sur le champ de bataille de Tolbiac (496) est à juste titre l’un des épisodes les plus populaires de notre Histoire car elle a décidé non seulement du sort d’un combat mais du sort de la France et même de la chrétienté toute entière. Clovis a invoqué le vrai Dieu et il n’a pas été confondu. La débâcle franque qui s’amorçait est enrayée. Le combat change d’âme. Les Alamans sont pris de panique. C’est la victoire de Tolbiac. 4 Le Roi tient parole. Il se fait instruire par saint Remy qui le baptise et le sacre le jour de Noël 496 sur les fonts baptismaux de Reims. Privilège inouï, c’est une colombe qui apporte l’Ampoule contenant le saint Chrême. Privilège qui apparente le baptême de Clovis à celui de Notre-Seigneur sur le Jourdain. LES LYS SANS NOMBRE Voilà donc le Roi devenu catholique, comme saint Remy n’avait jamais cessé de le penser. Mais son drapeau est encore celui d’un païen : Il porte trois croissants. Notre-Seigneur va confier à Clovis son emblème personnel : la fleur de lys. Laissons parler l’historien Nicole Gilles (1492). «On lit en aulcunes escritures qu’en ce temps avait un hermite, prudhornme et de sainte vie, qui habitait en un bois près d’une fontaine, au lieu que de présent est appelé Joye-en-Val, en la chastellenie de Poissy, près de Paris. Auquel herrmite la dite Clotilde, femme dudit roy Clovis, avait grande fiance et pour sa sainteté le visitait souvent et lui administrait ses nécessités. «Et advint un jour que ledit hermite, estant en oraison, un ange s’apparut à luy en luy disant qu’il faist raser les armes des trois croissants que ledit Clovis portait en son escu (combien qu’aucun disent que c’estaient trois crapeaux) et au lieu d’iceux portast un écu dont le champ fust d’azur semé tout de fleurs de lyz d’or, et luy dit que Dieu avait ordonné que les rois de France portassent dorénavant telles armes. «Ledit hermite révéla à la femme dudit Clovis son apparition. Laquelle incontinent fait effacer lesdits trois croissants ou crapeaux et y faist mettre lesdictes fleurs de lyz et les envoya audit Clovis, son mari, qui pour lors estait en guerre contre le Roi Audoc, qui était venu d’Allemagne à grande multitude de gens, ès parties de France et avait son siège devant la place de Conflans Sainte Honorine, près Pontoise. «Clovis se combattit et eut victoire. Et combien que la bataille, commençast en la ville, toutesfois fut achevée en la montaigne, en laquelle est à présent la tour de Montjoye… « Et en la révérence de la mission desdictes fleurs de lyz, fut illec en la vallée fondée un monastère de religieux qui fut et encore appelé l’abbaye de Joye-en-Val pour la mission de la saincte Ampoule et desdites fleurs de lyz qui furent envoyées à ce grand Roy Clovis ». Ainsi les premières armoiries royales françaises comportent des lys sans nombre qui symbolisent les innombrables sujets devenus fils adoptifs du Roi. Chaque Français est devenu un petit lys, c’est-à-dire un petit prince. Les principes et leurs emblèmes sont maintenant posés. Il ne reste plus qu’à les mettre en pratique, c’est-à-dire à rendre témoignage à la Foi par les œuvres. Clovis va s’attaquer à l’hérésie avec la détermination d’un homme qui prend la religion au sérieux. En 500, par sa victoire de Dijon, il arrête toute velléité des Burgondes ariens à s’étendre vers le nord. Après avoir, sur son flanc sud-est, immobilisé les Burgondes, Clovis songe à se tourner vers le gros des forces ariennes, à savoir les Wisigoths d’Aquitaine dont la pression sur la Loire ne cesse d’augmenter et qui risquent de la franchir inopinément.

LA PRÉPARATION SURNATURELLE DE LA BATAILLE

Nous sommes en l’année 506. Il y a quatorze ans que Clovis est marié. Il va incessamment entreprendre la campagne contre les Wisigoths à laquelle il a préparé son armée matériellement et moralement. Personne ne se dissimule qu’elle va constituer une grosse affaire. Toute la catholicité de la Gaule se tient dans une attente mêlée d’anxiété car du sort de l’affrontement va dépendre la paix religieuse de la Chrétienté. Or voilà que Clovis tombe malade. Son état empire rapidement. Ses médecins renoncent à le guérir. Le couple royal fait alors appel à saint Séverin, abbé du monastère situé à Saint Maurice d’Agaune dans le Valais (dans la Suisse actuelle). Pourquoi saint Séverin ? Pour deux raisons. D’abord, parce que le saint abbé a la réputation d’un thaumaturge, à qui l’on peut confier un cas désespéré. Mais aussi parce que Clovis a une dévotion à saint Maurice, le général de la «Légion Thébaine» qui a été décimée à Agaune, au temps des persécutions impériales et dont saint Séverin, l’actuel abbé, est par conséquent le représentant. Clovis se souvient qu’en 451, (il y a donc à peine plus de 50 ans) son grand-père Mérovée a livré un combat victorieux contre Attila, aux Champs Catalauniques (ou Mauriciens) combat qui a duré trois jours, les 20, 21 et 22 septembre, exactement aux jours anniversaires de la décimation de la légion thébaine, qui, elle aussi, avait duré trois jours. Clovis envoie quelques cavaliers à Agaune pour alerter saint Séverin et lui demander de venir le plus tôt qu’il pourra. A peine arrivé auprès du Roi malade, saint Séverin jette sur lui son manteau et lui rend instantanément la santé. L’envoyé de saint Maurice a bien travaillé. Voilà un premier symptôme qui fait bien augurer de la campagne qui va pouvoir commencer. L’armée franque se dirige vers Tours en vue de franchir la Loire pour aller à la rencontre des Wisigoths d’Alaric Il, lesquels viennent d’Aquitaine et se dirigent vers le Nord. Tours est la ville de l’illustre saint Martin, surnommé l’Apôtre des Gaules, qui est mort voilà un peu plus d’un siècle. Mais la ville est encore pleine de son souvenir. Clovis veut aller à la ca- 5 thédrale pour recommander sa campagne au saint et puissant protecteur. Il se fait précéder par une délégation qui portera quelques présents aux prêtres et qui annoncera sa visite. Les délégués ne voulant pas troubler l’office, s’arrêtent au fond de la nef et prêtent l’oreille à la psalmodie. Or, ils entendent chanter le verset 40 du Psaume XVII dont voici la traduction : «Vous m’avez revêtu de force pour la guerre et Vous avez supplanté sous moi ceux qui s’élevaient contre moi. Vous avez fait tourner le dos à mes ennemis et Vous avez dispersé ceux qui me haïssaient». Clovis considéra le chant de ce verset à ce moment précis comme la réponse de saint Martin à sa demande de protection. Nous verrons dans un instant comment, après la victoire, il lui manifesta sa reconnaissance. Les Francs ont quitté Tours. Ils ont franchi la Loire et se trouvent maintenant sur la rive sud. Mais il faut aussi traverser la Vienne. Laissons parler les chroniques : «Clovis se mit alors en marche jusqu’au fleuve de Vienne, près de Chinon. Et les eaux étaient si grandes qu’elles étaient dérivées hors des bords. Il ne put passer. Il s’arrêta donc et se logea là. Et de l’autre part de la rivière était Alaric. Clovis se mit en oraison et ainsi que les Français regardaient à trouver le passage, passa tout à coup près d’eux un cerf qui sortit hors de la forêt de Chinon. Et se mirent les Français à le chasser et tant le poursuivent que le cerf fut si mal mené qu’il fut contraint de se mettre à l’eau de la rivière. Et la traversa par un endroit tout à pied sans nager. Et à cette heure, les Français conclurent que c’était par une aide divine et que Dieu, sur les prières de saint Martin, leur avait miraculeusement envoyé ledit cerf pour leur montrer le chemin et passage. Ils le laissèrent donc aller et tous passèrent la rivière à l’endroit où ledit cerf l’avait traversée». Les armées wisigothes et franques ne vont pas tarder à se rejoindre. Les Francs campent à sept lieux à l’Ouest de Poitiers. Le soir venu voilà qu’un globe de feu s’élève du tombeau de saint Hilaire, mort en 367, il y a donc un peu moins d’un siècle et demi, et ce globe de feu vient se poser sur le sommet de la tente de Clovis. Le grand docteur gaulois, que saint Jérôme appelait «Le Rhône de l’éloquence latine», manifestait ainsi son encouragement à Clovis par un soleil qui est l’emblème des docteurs parce que les docteurs illuminent. La route de Clovis vers les plaines de Vouillé, a donc été jalonnée par des signes surnaturels d’approbation. Il reste maintenant à combattre avec énergie et confiance.

VOCLADIS OU CARNAGE DE GOTH

L’ancien nom du Bourg de Vouillé est Vocladis, que l’on écrit aussi quelquefois Voclades. En latin, clades veut dire désastre. Et la syllabe Vo est l’une des déformations possibles de Goth. Nous traduisons Vocladis par carnage de Goth. L’Histoire n’a conservé aucune notation précise sur les phases de cette bataille. Il semble cependant que l’affaire ait été réglée assez rapidement. Les deux rois ennemis sont présents sur le champ de bataille et commandent leurs troupes. Clovis distingue assez vite le peloton qui escorte Alaric Il. Il estime que sa position rend le Roi Wisigoth assez vulnérable. Il se dirige directement vers lui avec sa propre escorte et il le prend personnellement à parti. Combat singulier de deux rois en pleine bataille. Clovis domine Alaric et le tue de sa main, remportant ainsi la «dépouille opime» de son adversaire. Exploit fort rare, même à cette époque. La mort d’Alaric, qui survient au début de l’engagement, est rapidement connue de l’armée wisigothe. La nouvelle provoque des flottements dans les rangs puis, peu à peu, une véritable débâcle. La victoire des Francs est écrasante et elle procure, à Clovis, dans toute la Gaule, une popularité sans précédent. «Voilà l’homme qu’il nous faut pour nous dé- fendre». Les clercs ne sont pas les moins satisfaits. La victoire de Vouillé, outre qu’elle ouvrait à Clovis la porte de l’Aquitaine, s’ajoutait à celles de Soissons sur Syagrius, de Tolbiac sur les Alamans et de Dijon sur les Burgondes. En un seul règne, en quelques années, les frontières naturelles sont dessinées et atteintes. La Gaule est désormais libérée de l’autorité romaine dont le représentant attardé était Syagrius. Elle n’a plus à craindre ni les envahisseurs venus de Germanie désormais contenus, ni la reprise des discordes ariennes. Il est temps pour elle de prendre le nom de son roi et de s’appeler la France. Une question s’est posée aux historiens modernes. La bourgade de Vocladis, devenue Voughié, puis Vouillé, est-elle bien le lieu de la bataille au cours de laquelle Alaric Il fut occis par Clovis ? Plusieurs bourgades des environs de Poitiers revendiquent cet honneur de sorte que l’on en a beaucoup discuté. Nous ne pouvons mieux faire, pour régler cette compétition, que renvoyer à l’ouvrage d’Auguste Longnon, Géographie de la Gaule au Vè siècle, Paris, 1878, Hachette, p. 576-587.

A. Longnon fait remarquer que Grégoire de Tours résout implicitement le problème quand il précise que le «Campus Vocladeusis», c’est-à-dire le champ de bataille de Vouillé, était situé à l’ouest de Poitiers, à une distance équivalent à 15 kilomètres. Or, parmi les localités en compétition, seul le Vouillé actuel correspond à cette distance. Et A. Longnon conclue son étude en écrivant : «On ne s’étonnera pas de nous voir conclure ici à l’identité de Vouillé avec Vocladis». 6

«PUISSANT EN AIDE, MAIS CHER EN PRIX»

Clovis qui n’est pas le guerrier fourbe et brutal dépeint par certains historiens, a pris soin de manifester publiquement sa reconnaissance aux saints patrons qui l’ont encouragé et aidé. Reconnaissance à saint Hilaire. Clovis fait reconstruire l’église et le monastère de Saint Hilaire de Poitiers. Car il apprend que saint Hilaire lui-même est apparu récemment à l’abbé pour lui demander de reconstruire le monastère. Apprenant cela, Clovis décide de prendre la reconstruction à sa charge ; royale réponse au «soleil» de saint Hilaire, la veille de la bataille. Reconnaissance à saint Martin pour son précieux présage, Clovis fonde à Tours une abbaye sous l’invocation de saint Maurice. L’église abbatiale existe encore aujourd’hui, mais elle est maintenant sous le vocable de saint Julien. Mais Clovis voulut faire au clergé de la cathédrale un don plus immédiat. Il leur donne le destrier qu’il montait à la bataille de Vouillé. Puis, pensant avec raison, que les clercs préféreraient une somme d’argent à un destrier dont ils ne sauraient que faire, le roi voulu racheter le cheval et il déposa 100 sols d’or devant la châsse de saint Martin puis il remonta à cheval pour repartir. Mais l’animal ne bougea pas, donnant l’impression que ses sabots étaient soudés au sol. Clovis redescend pour augmenter la somme du rachat. Toujours même refus de la bête. Il fallut attendre que la somme atteigne 500 sols pour que le destrier de Vouillé se décide à repartir. Clovis prend alors congé du clergé de la cathédrale en dé- clarant plaisamment : «Saint Martin est puissant en aide, mais cher en prix». Clovis montre qu’il était très conscient de l’aide surnaturelle qu’il avait reçue. Il fit édifier à Paris l’église Saint Pierre et Saint Paul sur la montagne de Sainte Geneviève, à l’emplacement de l’actuelle rue Clovis (derrière le Panthéon). Ce fut l’ex-voto royal de la victoire. Rapidement, Clovis recueille les fruits de la victoire de Vouillé. C’est lors de son passage à Tours, après la bataille, qu’il reçoit de l’Empereur d’Orient Anastase, les insignes de Patrice et de Consul romain. En 511, le roi convoque un concile à Orléans, afin de régler diverses questions concernant I’Eglise de France. C’est le concile d’Orléans qui a étendu à tout le royaume les processions des Rogations établies par saint Mamert dans le diocèse de Vienne. Les Rogations se font au cours des trois jours qui précèdent l’Ascension. Elles sont destinées à conjurer les fléaux naturels qui privent le sol de sa fertilité. Qui mesure les bienfaits temporels des Rogations ? Elles ont fortement contribué à forger la civilisation rurale du Moyen-Age. C’est au concile d’Orléans que Clovis reçut le titre de «Fils aîné de l’Eglise». Ce titre s’est ensuite étendu au royaume lui-même.

clovis-vouille

L’HÉRITAGE

La bataille de Vouillé est l’un des temps forts de l’histoire chrétienne. On peut la comparer à quelques autres grandes batailles décisives comme, par exemple, celle du Pont Milvius, en 312, où Constantin déployait pour la première fois le Labarum, drapeau orné de la Croix et de l’inscription qui lui étaient apparue dans le ciel quelques jours auparavant : «In hoc signo vinces». Maxence, qui tyrannisait Rome, fut vaincu et se noya dans le Tibre en fuyant. Constantin put promulguer dès l’année suivante (313). l’Edit de Milan qui accordait la liberté publique à l’Eglise. C’était la fin des catacombes. Vouillé dépasse même en importance le Pont Milvius. C’est à Vouillé que s’est définitivement formée l’identité féodale et catholique du Moyen-Age. Si Clovis avait été vaincu, l’arianisme aurait prévalu, communiquant son esprit à l’ère nouvelle qui s’ouvrait. Mais à Vouillé, nul vestige visible, nulle ruine vénérable, nul diplôme homologué. Seulement un nom, un souvenir et une logique. Une logique qui a attendu quinze siècles pour s’épanouir. Car aujourd’hui, sur le Campus Vocladeusis, la bataille continue. La forme du combat n’est certes plus la même. Mais c’est la même cause. D’excellents écrivains traditionalistes actuels ont fait remarquer que les erreurs modernes sont l’amplification de l’hérésie d’Arius. Ce satané hérésiarque niait la divinité du Verbe, Sa coéternité et Sa consubstantialité. Il enlevait à Jésus-Christ Sa majesté divine. Il en faisait un messager exemplaire, le ravalant au rang d’un fondateur de secte comme Bouddha ou Zoroastre. C’est exactement ce que nous entendons aujourd’hui. Le Vouillé de 507 a défini notre identité française et chrétienne. Le Vouillé d’aujourd’hui se bat pour nous la faire retrouver. Les saints conservent au Ciel la vocation qu’ils avaient sur la terre. Que les saints patrons qui ont conduit Clovis à la victoire, saint Martin, saint Remy, saint Hilaire, saint Maurice, sainte Clotilde, sainte Geneviève, daignent nous y conduire demain.

JEAN VAQUIÉ, Mai 1988

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