Quand aujourd’hui on tonitrue contre le colonialisme, il faudrait préciser à quoi s’applique la condamnation.
Si c’est à l’égoïsme impérialiste, je suis d’accord, le blâme s’adressant essentiellement aux Anglais et à la finance sans visage, beaucoup moins à la France et aux pays latins.
Si c’est à l’esprit révolutionnaire de notre œuvre, je suis également d’accord, à condition que l’on applique la même critique à toute propagation de l’idéologie révolutionnaire, métropole comprise.
Si c’est au laïcisme de notre administration, toujours d’accord, en soulignant que le mal n’est pas particulier aux colonies, quoi qu’il y soit plus nocif parce qu’elles n’ont pas la protection d’une longue tradition chrétienne.
Mais si on s’en prend, avec le « conformisme » d’aujourd’hui, au principe même de la colonisation, à cet élan qui a poussé les peuples civilisés à répandre leur civilisation en même temps que la foi qui l’avait façonnée, on commet une confusion aussi grossière que celle qui consisterait à ôter la vie à un être humain sous prétexte qu’elle est entachée d’erreurs ou de péchés.
Il fallait, par un retour aux sources chrétiennes de la colonisation, réformer celle-ci, la faire évoluer vers une émancipation progressive, non la supprimer brutalement. Nous voyons aujourd’hui ce qu’il en coûte à l’Occident de s’être retiré trop tôt.
Le pire est que, non content d’avoir supprimé ce que la colonisation avait de bon, notre temps continue à faire l’éloge de ce qu’elle avait de mauvais – son laïcisme, son esprit révolutionnaire « libérateur »,… – et que la finance sans visage continue par maints procédés à imposer sa dictature occulte aux pays que nous avons abandonnés.
Si l’on croit que l’Occident, du fait de son accession antérieure à la foi chrétienne, avait une mission civilisatrice et charitable à l’égard des peuples qui n’avait pas eu la même chance ou la même grâce, peut-on concevoir plus grand reniement de la responsabilité qui en résultait ?
Jamais l’Eglise, à l’époque que nous étudions – et même après – n’a condamné l’entreprise coloniale. Le fait même que le XIXè siècle a été le plus grand siècle missionnaire montre au contraire qu’elle l’a approuvé et a su en tirer parti.
Le Christ ne s’est pas révolté contre son état de colonisé [par les Romains].
Dans l’Empire colonial français, le plus important de tradition catholique, ainsi qu’au Congo belge et ailleurs, l’Eglise a complété l’œuvre humaine du pouvoir séculier par un réseau d’écoles chrétiennes, où une large partie de l’élite actuelle d’Afrique francophone a été élevée.
Ces écoles ont été édifiées pour la plupart, non avec des subventions de l’Etat, mais avec l’aide des catholiques des pays déjà évolués, recueille sou par sou, méthode directement opposée à celle du capitalisme international, mais tout à fait conforme, avant qu’on en prononce seulement le nom, à cette « coopération » dont on parle tant aujourd’hui.
L’Eglise, avant qu’éclatent les guerres mondiales, ne s’est élevée que contre les abus du système colonial, essentiellement contre l’esclavage. Elle a considéré que le comportement chrétien aux colonies relevait comme ailleurs du catéchisme et de la morale naturelle, et qu’il n’avait besoin de précision particulière que sur ce point de l’esclavage, où les vieilles habitudes venues de l’imitation de l’Islam persistaient.
Léon XIII n’a pas consacré à ce problème moins de 6 documents. La papauté combattait alors pour son indépendance morale. Les luttes politiques, la question sociale, la persécution qui sévissait dans les pays comme la France retenaient toute son attention. Il est remarquable que dans ce tourbillon elle ait trouvé le moyen d’insister sur le problème persistant de l’esclavage. Mais elle n’a pas dit que le système colonial devait prendre fin et qu’il fallait cesser d’éduquer les peuples colonisés.
Ce sont les deux guerres mondiales qui, en faisant perdre la face à l’Occident et en répandant la haine, ont fait crouler le système.
Amiral Paul Auphan, Histoire de la décolonisation, 1967