On ne dépose pas le roi immortel des siècles, mais on ne le délaisse pas impunément. Ce rêve d’une famille sans Dieu et d’une Société sans Dieu est une folle et criminelle utopie. On dépose les souverains de la terre, on ne dépose pas le Roi immortel des siècles.1 Son trône est au-dessus de nos atteintes. Si loin que portent nos canons, si haut que montent nos avions de guerre, ils ne l’atteindront pas. On peut nier l’Autorité divine, on ne peut la braver, on ne la supprime pas. Elle est de toutes les autorités la plus haute, la plus légitime, la plus adorable ; mais aussi la plus indestructible ; d’elle viennent toutes les autres, c’est sur elle qu’elles s’appuient et, si elle pouvait disparaître, toutes disparaîtraient avec elle.
S’insurger contre cette autorité, tenter de l’anéantir, c’est plus qu’une sotte témérité, c’est un crime, c’est le crime renouvelé des anges rebelles, le crime qui a dépeuplé le ciel et creusé l’enfer, avec cette circonstance aggravante que les crime des anges n’attentait qu’à l’autorité divine et ne fut qu’un acte d’insubordination, tandis que l’athéisme social attente à la personne même de Dieu, à son existence qu’il nie, à Son nom qu’il proscrit, à Son image dont il ne veut supporter nulle part la présence, jusqu’à Sa notion qu’il s’efforce d’abolir : il est intentionnellement déicide. Au crime s’ajoute l’ingratitude. Oublier un bienfait et méconnaître son auteur est une injure que le monde le plus indulgent pour les faiblesses humaines ne pardonne pas, qu’il flétrit de son indignation et de son mépris. L’ingratitude s’élève avec la valeur du bienfait oublié et la qualité du bienfaiteur méconnu ; or, quel bienfaiteur comparable à Dieu et quel plus insigne bienfait que le don gratuit et absolu de tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes ; car tous, société et individu, nous vivons par Lui et c’est de Lui que nous vivons.
Chez les fauteurs d’athéisme, l’ingratitude prend un caractère d’inexprimable noirceur : ils ne se contentent pas de méconnaître leur Divin bienfaiteur, ils le haïssent ; et la haine qui les obsède et les tourmente, leur haine implacable va jusqu’au désir, jusqu’à la tentative impuissante, mais acharnée de le faire disparaître. Si Dieu était moins bon, s’Il ne l’était infiniment, Il réaliserait ce vœu de l’ingratitude humaine : il disparaîtrait et retirerait la main qui soutient le monde, il le laisserait s’abîmer dans le néant d’où Il l’a fait sortir. Dieu s’obstine miséricordieusement à ne pas nous quitter, Il rend impuissant tout effort humain pour le rejeter hors de nos demeures et au-delà de nos frontières : mais nous pouvons Lui faire subir l’outrage de cet athéisme pratique qui consiste à l’isoler de notre vie publique et de notre vie privée, à le traiter comme un étranger, quand ce n’est pas comme un ennemi, à violer Sa loi, à dédaigner Son amour, à repousser Sa grâce, à braver les appels de Sa miséricorde et les terreurs de Sa justice, à rendre vaine et inféconde Son œuvre rédemptrice. Devant ce débordement d’impiété, Dieu paraît insensible, Il ne l’est pas : Il n’est qu’infiniment patient et infiniment bon. Pour un temps, Il se tait. Il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, Il repend sa rosée bienfaisante sur le champ de celui qui Le blasphème et sur les sillons de ceux qui l’adorent.2
Mais Il ne peut empêcher les effets de sortir de leur cause ; et l’athéisme a de sinistres effets : c’est l’obscurcissement des consciences, c’est la dépression des volontés réduites à leurs seules énergies, c’est à dire à leur originelle impuissance, c’est la loi dépourvue de toute autorité et toute sanction : c’est l’anarchie ; c’est la rupture de tout frein moral, c’est le déchaînement des plus grossiers appétits et des plus féroces instincts, c’est l’oppression du faible par le fort ; c’est le retour à la barbarie. Nous avons dit que devant les provocations insolentes de l’impiété, Dieu paraît se taire : Il se tait, en effet, et Il attend ; longtemps Il se tait et longtemps Il attend, mais Il ne se tait pas toujours et n’attend pas toujours, car Il est juste au même degré qu’il est bon. Sa bonté a de surabondantes miséricordes, mais Sa justice a d’ inexorables rigueurs. Pour l’individu coupable, Ses rigueurs peuvent être ajournées et elles sont le plus souvent ajournées à la vie future qui est, pour l’être qui a des destinées immortelles, le lieu des suprêmes et éternelles sanctions. Mais les sociétés ne franchissent pas les limites du temps ; c’est ici-bas que se consomment leurs destinées et ici-bas qu’elles sont jugées, récompensées ou punies. Il y a pour elles, deux sortes de châtiments :
L’un, et c’est le plus redoutable, sort de la faute elle-même. Dieu se détourne du peuple qui ne veut plus de lui, il l’abandonne aux conséquences logiques de son criminel divorce et le laisse aller, privé de tout secours protecteur, au terme fatal où il s’affaissera tristement dans la boue ou disparaîtra dans une sanglante orgie. Il y a le châtiment qui est une expiation, un cataclysme terrible et vengeur qui semble devoir tout broyer et tout engloutir, mais qui cache de miséricordieux desseins, qui est le prélude, la préparation, le douloureux enfantement d’une civilisation nouvelle et d’un monde régénéré. Ces deux aspects du châtiment, cette alliance de l’amour et de la justice ne nous ont jamais apparus plus clairement qu’à l’heure présente [Note : Monseigneur Bonnet écrit en 1917]. L’œuvre de la justice est manifeste. Ouvrez les yeux et regardez ce qu’est devenue l’Europe, hier si confiante en ses pacifiques destinées, si passionnément adonnée aux affaires, si ardente au plaisir, et qu’est elle aujourd’hui : un champ de bataille où s’accumulent les ruines, où s’entassent les cadavres, une lugubre et sombre nécropole où se creuse sans cesse, où s’allongent en tous sens et s’allongent sans fin l’interminable série des tombes : un vaste hôpital où souffre et souvent agonise la fleur prématurément fanée de notre belle jeunesse ; un immense arsenal où tout l’effort de l’activité nationale se dépense, non pas à embellir et à prolonger la vie, mais uniquement à créer et à perfectionner les moyens de la détruire, où toutes les inventions du génie sont des instruments de mort.
Et pourquoi tous ces effondrements et tous ces massacres ? Pourquoi tous ces déluges de sang et de larmes ? Les moins clairvoyants l’ont compris : c’est la justice de Dieu qui passe. Succédant à regrets aux vains et impuissants appels de Sa miséricorde. Mais ce n’est pas la justice qui se détourne et laisse les peuples mourir honteusement de leurs vices et de leurs erreurs : c’est la justice qui frappe et qui relève. Aux nations ainsi durement châtiées, les rigueurs de la justice sont une expiation rédemptrice : elles s’en sortiront purifiées, rajeunies, retrempées, rendues à la lumière, au devoir, à l’amitié et à la protection divine, préparées à de plus hautes et plus glorieuses destinées.
Monseigneur Bonnet, évêque de Viviers, Le règne social de Notre Seigneur Jésus Christ et l’intronisation de Son divin cœur dans nos foyers, lettre pastorale du 2 février 1917, Évreux.
1Timothée 1;17
2Matthieu 5;25