S’il y a un problème juif, il y a aussi aujourd’hui un problème germanique. Je veux me pencher ici sur ce problème, non pas pour l’étudier dans toute sa dimension historique ni dans tous ses aspects, mais seulement sur un seul, profond et essentiel, qui est l’attitude que le peuple germanique prétend adopter face au Christ. Si le Christ a dit et a réalisé en deux mille ans de christianisme qu’« il n’y a pas de distinction entre juif et grec, entre esclave et homme libre, pas plus qu’entre homme et femme, parce que tous vous êtes dans le Christ » (Gal 3, 26), l’Allemagne ne peut que devenir le théâtre d’un conflit angoissant entre ceux qui ne veulent reconnaitre d’autre grandeur que la puissance de leur sang et de leur race non contaminés, et ceux qui ne désirent que la grandeur d’avoir été rachetés par le sang de Jésus-Christ. Il est évident que va s’entamer en Allemagne une lutte, une lutte gigantesque, la plus terrible peut-être de son histoire, entre l’Allemagne qui veut être païenne et celle qui veut continuer à être chrétienne, entre l’Eglise et le Reich. […]
La révolte protestante introduit en Allemagne un ferment d’orgueil dont le terme logique ne pouvait être autre que l’adoration de leur race, et finalement le retour à la conception païenne de la vie des antiques Germains. L’auteur raciste du siècle passé, Chamberlain, précurseur et inspirateur des racistes germaniques modernes, observe précisément que la Réforme ne fut pas une affaire purement ecclésiastique, mais qu’elle fut une révolte de l’âme germanique contre la tyrannie antigermanique (Chamberlain, La genèse du XIXe siècle). La conception païenne de la vie, ouvertement statolâtrique, avec idolâtrie de tout ce qui est germain et mépris absolu pour tout ce qui n’est pas allemand, fut l’œuvre du grand philosophe kantien, Fichte, qui, réagissant contre l’exaltation de ce qui est étranger – qui fut un délire au temps de Frédéric II de Prusse – commença après les guerres napoléoniennes à exalter ce qui est allemand dans ses très célèbres Discours à la nation allemande :
Tous les siècles, tous les prudents et nobles cœurs qui passèrent sur terre, dans toutes leurs pensées et toutes leurs aspirations élèvent leurs yeux suppliants vers l’Allemagne ; la Providence elle-même et le plan divin de l’Univers supplient l’Allemagne de sauver son honneur et son existence… En vous, Allemands, est le germe de la perfection humaine et l’espérance de tout progrès. Si vous manquez à votre vocation, si vous mourez, mourra avec vous et pour tout le genre humain jusqu’à l’ombre d’une espérance de se sauver de l’abîme de la corruption… Aussi, il n’y a pas de doute : si vous mourez, toute l’humanité périra sans espérance de se relever jamais. – Johann Gottlieb Fichte, Discours 14.
[…]
Le parti national-socialiste
C’est un parti qui se présente avec une conception totale de la vie, une Weltanschauung, qui doit former totalement le peuple et l’État allemands. Le programme du parti contenait surtout un paragraphe très suggestif, le paragraphe 24, qui disait textuellement :
Nous voulons la liberté de tous les credos religieux dans l’Etat allemand, dès lors qu’ils ne mettent pas en danger son existence et n’entrent pas en conflit avec les coutumes et la discipline morale du peuple allemand. Le parti comme tel professe un christianisme positif, sans être lié sous l’aspect confessionnel à aucun credo particulier. – Programme du NSDAP, paragraphe 24
Bien que ce texte n’exprime pas manifestement l’incompatibilité de l’Église avec la conception culturelle du parti, elle y fait directement allusion, surtout si on l’interprète à la lumière des manifestations autorisées des dirigeants les plus en vue du parti. Aussi était-il tout à fait justifié que l’évêque de Mayence défendit en septembre 1930 – et en cela il ne faisait que suivre une norme constante dans l’épiscopat allemand – aux catholiques « d’être inscrits dans le parti d’Hitler« , et « ordonnait de refuser les sacrements aux affiliés dudit parti« . Comme le parti lui demandait officiellement sur quoi se basaient ces interdictions, l’évêque lui répondit :
Nous devons donner de telles instructions parce que le programme du parti national-socialiste contient des principes incompatibles avec la doctrine catholique. En particulier le paragraphe 24 du programme qui ne peut être accepté par aucun catholique sans renier sa foi. – Mgr. Ludwig Maria Hugo, évêque de Mayence
Ce paragraphe dit que le parti accorde la liberté aux credos qui ne mettent pas en danger son existence. Or, des chefs éminents du parti incluent l’Eglise catholique parmi les credos dangereux pour l’Etat comme Gottfried Feder, membre du Reichstag, qui affirme :
Les personnes nées en Allemagne mais qui, consciemment, exercent une action destructrice sur la nation et le peuple parce qu’elles suivent des ordres politiques venus de l’étranger (de la sorte on désigne évidemment les catholiques) n’appartiennent pas à la communauté de destin allemand, ne peuvent exercer leurs droits politiques, comme les juifs, et nous ferons en sorte d’exclure le plus grand nombre de l’honneur d’être citoyen allemand. – Gottfried Feder, Le Parti national-socialiste et ses conceptions essentielles
Le paragraphe 24, dans sa seconde partie, dit que le parti accorde la liberté aux confessions qui n’entrent pas en conflit avec les coutumes et la discipline morale de la race germanique. Or, tandis que le christianisme prêche l’amour du prochain, les écrivains du national-socialisme prêchent la glorification de la race germanique et le mépris pour les races étrangères. A la fin du paragraphe 24, dans sa troisième partie, il dit que le parti confesse le christianisme positif. « Nous nous demandons, dit l’évêque, ce qu’il faut comprendre par christianisme positif ? Les chefs du parti national-socialiste veulent un dieu allemand, un christianisme allemand et une Eglise allemande. » Gottfried Feder dit :
Certainement que le peuple allemand trouvera une forme pour sa confession de Dieu, son expérience de Dieu, comme l’exige son sang nordique. Alors sera complète la trinité du sang, de la foi, et de l’Etat. – (Ibid)
Le Mythe du XXe siècle de Rosenberg
La conception culturelle et religieuse allemande profondément et exclusivement germanique qui était en puissance dès les premiers jours du parti en 1920 trouva le cerveau qui l’élaborerait et la systématiserait. Rosenberg a réalisé la tâche la plus importante et la plus pernicieuse du parti. De tous les dirigeants du national-socialisme, personne n’est revêtu d’une autorité plus grande pour représenter les idées culturelles du parti. Hitler avait ses raisons lorsqu’il le nomma par décret du 24 janvier 1934, directeur de toute la formation spirituelle et intellectuelle, et de l’éducation du parti, et de toutes les associations rassemblées ainsi que de l’œuvre « La joie fait la force« . Si nous voulons comprendre le problème allemand, il faut exposer « la conception philosophique de la vie » élaborée par Rosenberg dans son Mythe du XXe siècle pour la race germanique. Nous pouvons résumer ainsi : Au début existait la race nordique aux yeux bleus et aux cheveux blonds. Originaire des régions polaires, elle a répandu sur la terre tout ce qui est perfection et civilisation. Tout le mal provient des influences étrangères exercées sur cette race nordique. L’influence étrangère principale provient du christianisme ecclésiastique, « synthèse de la corruption syro-judaïco-étrusque ». Les doctrines de l’Eglise catholique, dans la mesure où elles ne sont pas une imitation du peuple germanique, ne sont que des transpositions bâtardes de quelques mythes syriaques et perses, alors que les hérétiques ont été de tout temps les nobles défenseurs de la race et de la civilisation contre un tel christianisme. Tout ce qui vient de l’Eglise est mauvais et tout ce qui s’oppose à l’Eglise est noble. Les blasphèmes remplissent le livre : dans sa presque totalité, il se déchaîne contre la personne sacrée du Pape, dont il dit :
La pierre angulaire de la philosophie du charlatan a été créée au concile du Vatican. Ce concile déclara que le charlatan, tant qu’il persévérait dans ses fonctions, était un dieu, un dieu infaillible. A partir de là… Dieu est représenté par le système romain couronné par le charlatan, doté de tout pouvoir, qui s’appelle le Pape. – Alfred Rosenberg, le mythe du XXe siècle
La conclusion qui découle du livre de Rosenberg est qu’en résumé, le christianisme, aussi bien catholique que protestant, est étranger à la race germanique, est un christianisme négatif (qu’on note le terme), qui ne correspond pas à l’âme allemande, qui est un obstacle aux énergies organiques des peuples de race nordique, qui doit céder la place et être revalorisé en un christianisme germanique. Tel est le christianisme « positif » dont parle le paragraphe 24 du programme national-socialiste, christianisme positif qui excite et renouvelle les forces du sang nordique. « Aujourd’hui se réveille une nouvelle foi : le mythe du sang, foi que le sang nordique est figuré dans ce mystère qui a pris la place des anciens sacrements et en a triomphé. » Étant donné le caractère infâme du contenu de ce livre, personne ne s’étonnera que l’épiscopat allemand, dans une admirable Lettre collective de juin 1934 sur le néopaganisme allemand, ait protesté énergiquement :
Nous ne pouvons nous taire quand un livre, d’une manière si radicale, s’appuyant sur de nombreuses impostures, s’efforçant de ruiner la foi en Dieu, la religion chrétienne et le respect pour l’autorité du Christ et de l’Eglise, est diffusé dans les écoles, dans les cercles d’étudiants, dans les cours des dirigeants, dans les camps de travail et qu’on tend à le mettre à la base de la conception du monde de toutes les couches de la population. – Lettre de l’épiscopat allemand contre les doctrines du Parti National-Socialiste Allemand, 7 Juin 1934
Hitler et Rosenberg
Sachant que telle est la substance philosophique du national-socialisme, non seulement en théorie mais avec une force d’expansion irrésistible due à son enracinement dans l’âme germanique, personne ne sera étonné que le parti d’Hitler ait été condamné en diverses occasions par l’épiscopat allemand. Néanmoins, de nombreux catholiques, entre autres le chancelier von Papen, qui ressentaient de grandes sympathies pour le parti, pas précisément pour son contenu philosophique mais pour son opposition au libéralisme démocratique, ont voulu minimiser ce caractère dangereux en l’attribuant non au parti lui-même, incarné par Hitler, mais à un groupe de théoriciens exaltés qui devraient reculer sous la pression des circonstances. C’était comme s’attendre à une rupture entre Hitler et Rosenberg. Le fait qu’Hitler ne paraissait pas se solidariser avec ce groupe et qu’il répondait aux protestations des catholiques, en disant que les écrits de Rosenberg n’étaient pas des « productions officielles du parti« , pouvait donner un fondement à cet espoir. Mais le fait réel qui jette à terre toutes ces espérances, c’est que le chancelier Hitler a nommé Rosenberg, directeur général du mouvement culturel en Allemagne, puissant promoteur de cette conception du monde, infaillible, indivisible et inéluctable. A Nuremberg, il a affirmé que personne comme Rosenberg ne l’avait compris aussi profondément. Dans tous les camps, le Mythe de Rosenberg prend place à côté de Mein Kampf, parmi les livres sacrés qu’on ne peut pas discuter. Arthur Dinter, un des grands dirigeants du national-socialisme de la première heure, écrivait en 1931, dans le fascicule 38 de son Esprit du christianisme :
Celui qui croit en une rupture possible entre Hitler et Rosenberg ignore à quel point le diable a attaché l’un à l’autre, en sorte que l’un ne saurait vivre sans l’autre. Rosenberg est l’esprit et Hitler le corps d’un unique individu. – Arthur Dinter, Esprit du christianisme.
Par ailleurs, ce qui est réel c’est que de nombreux prêtres ont été arrêtés et déportés dans les camps de concentration uniquement pour avoir critiqué l’œuvre de Rosenberg comme c’était leur obligation pastorale. Mentionnons le P. Albert Fritsch, âgé de 73 ans, curé de Hellefeld, le P. Kenter de Dresde, le P. Guillaume Dammer de Gustorf, etc. (cf : Documentation catholique, n°36, col. 1057). […] Le NSDAP voulait réaliser le songe doré de Fichte d’unir tous les Allemands et tous les peuples germanophones, peuples du nord et du sud, de l’est et de l’ouest, en une seule et puissante Allemagne, plongée dans un moule de vie nouveau et unique. Mais, où trouver un moule qui puisse unifier catholiques et protestants, chrétiens et non-chrétiens ? On aurait pu réaliser une union sur une simple coexistence économico-politique. Mais le national-socialisme essayait de réaliser une union bien plus profonde, qui plongerait dans les racines de l’âme allemande, en sorte que seraient oubliés catholicisme et protestantisme, christianisme et non-christianisme, pour tout réduire au national-socialisme. L’Allemagne se retrouverait alors elle-même et réaliserait le destin de la race germanique, race privilégiée, héritière directe des aryens primitifs, dans les mains desquels se trouve le salut de l’humanité. Si l’Allemagne du XXe siècle voulait accomplir le destin messianique auquel elle se sentait appelée, elle devait se soumettre à ce qui était spécifiquement germain, et rejeter tout ce qui n’était pas germain. Or, le marxisme n’était pas germain, le judaïsme non plus, le christianisme protestant non plus, le catholicisme non plus. C’est pourquoi le cri Los von Rom (Abandonnons Rome) est un cri authentique et profond du national-socialisme, non seulement contre une religion universelle comme celle de l’Eglise, mais encore comme une évocation des vieilles théogonies de l’animisme ancestral en rébellion contre les disciplines importées de Rome et de France par Boniface et Charlemagne. Le national-socialisme désire ardemment sauter par-dessus quinze siècles d’influences chrétiennes pour retrouver la pureté de la race germanique, corrompue plus tard par le sémitisme étrusque des juifs et des chrétiens. […]
Le 7 juin 1934, les évêques de tous les diocèses d’Allemagne, réunis à Fulda, au chevet du tombeau de saint Boniface, le grand apôtre de l’Allemagne, firent entendre fortement leur voix dans une Lettre pastorale collective, dans laquelle ils dénonçaient et condamnaient le néopaganisme allemand :
Nous, évêques, en notre caractère de maîtres et pasteurs établis par Dieu pour diriger les chrétiens catholiques d’Allemagne, nous protestons solennellement et unanimement contre la diffusion des erreurs néopaïennes dans notre patrie. Nous protestons contre toutes les insultes et toutes les calomnies sous lesquelles ses adeptes couvrent presque quotidiennement le Christ et la sainte Eglise dans leurs discours et leurs écrits . – Lettre de l’épiscopat allemand, 7 juin 1934
Que se passe-t-il en Allemagne pour que les évêques protestent si énergiquement dans un document public ? Il se passe quelque chose de terrible que je vais essayer de décrire le plus fidèlement possible. La persécution allemande n’est pas sanglante comme celle du Mexique, d’Espagne ou de Russie, mais elle est terrible et peut-être plus pernicieuse. Quelle est la tactique utilisée en Allemagne pour effacer l’influence de l’Eglise catholique ? Elle consiste à la priver de tous les moyens d’influence sur les masses, encore catholiques, de la population allemande, tandis que par ailleurs une offensive grandiose est menée pour les paganiser. A cette fin : 1° La presse et la propagande catholique sont supprimée ; 2° L’école catholique est supprimée ; 3° Les organisations catholiques, surtout de jeunesse, sont supprimées ; 4° Une propagande de dénigrement et de calomnies est menée tambour battant contre le clergé catholique sous prétexte de trafic de devises, d’immoralité, d’alliance avec le communisme pour faire croire que le clergé catholique est l’ennemi du peuple germanique ; 5° Les prêtres et les dirigeants catholiques sont emprisonnés ; 6° Un réseau d’espionnage est établi qui pénètre jusque dans le confessionnal ; 7° Une « oppression des consciences dure et inouïe » (Déclaration des évêques de Cologne, 18 novembre 1936) est exercée sur les catholiques ; 8° Une propagande d’apostasie est organisée.
Abbé Julio Meinvielle, Entre l’Eglise et le Reich, éditions Adsum, Buenos Aires, 1937, traduit de l’original espagnol Entre la Iglesia y el Reich.