Il y a un peu plus de dix ans, le 11 mars 1945, dans un moment délicat de l’histoire de la nation italienne, et en particulier de la classe ouvrière, Nous avons reçu l’ACLI (Association Chrétiennes des Travailleurs Italiens, ndt) pour la première fois en audience. Nous savons, bien-aimés fils et filles, que vous tenez en grand honneur ce jour où vous avez obtenu la reconnaissance publique de l’Église qui, au cours de sa longue histoire, a toujours pris soin de répondre aux nécessités de l’époque, en inspirant aux fidèles la pensée et l’intention de s’unir à cette fin dans des associations particulières. C’est ainsi que l’ACLI a vu le jour, avec l’approbation et la bénédiction du Vicaire du Christ.
Dès le début, nous avons placé vos associations sous le puissant patronage de saint Joseph. Car il ne pouvait y avoir de meilleur protecteur pour vous aider à imprégner votre vie de l’esprit de l’Evangile. Comme nous l’avons dit à l’époque (cf. Discours et Messages radiophoniques, vol. VII, p. 10), du Cœur de l’Homme-Dieu, Sauveur du monde, cet esprit coule en vous et en tous les hommes ; mais il est certain qu’aucun travailleur n’en a jamais été aussi parfaitement et profondément pénétré que le Père putatif de Jésus, qui a vécu avec Lui dans l’intimité et la communion de la famille et du travail. Si donc vous voulez être proches du Christ, Nous vous répétons aujourd’hui encore : « Ite ad Ioseph », « Allez à Joseph (Gn 41,55) ».
L’ACLI doit donc faire sentir la présence du Christ à ses propres membres, à leurs familles et à tous ceux qui vivent dans le monde du travail. N’oubliez jamais que votre premier devoir est de préserver et de faire grandir la vie chrétienne chez l’ouvrier. À cette fin, il ne suffit pas de satisfaire et d’exhorter à remplir ses obligations religieuses ; il faut aussi que vous approfondissiez la doctrine de la foi et que vous compreniez de mieux en mieux ce que signifie l’ordre moral du monde, établi par Dieu, enseigné et interprété par l’Église, en ce qui concerne les droits et les devoirs du travailleur d’aujourd’hui.
Nous bénissons donc vos efforts, et en particulier les cours et les classes que vous organisez, ainsi que les prêtres et les laïcs qui prêtent leur concours en tant qu’enseignants. On ne peut pas faire assez dans ce domaine, tant le besoin est grand d’une éducation méthodique, attrayante et toujours adaptée aux circonstances locales. Il faut éviter que l’heureux résultat d’un travail généreux, consacré à l’établissement et à l’extension du royaume de Dieu, ne soit entravé ou anéanti par des ambitions personnelles ou des rivalités de groupes. Que les ACLI sachent qu’ils auront toujours Notre appui, pourvu qu’ils se conforment à ces normes et donnent aux autres organisations l’exemple d’un zèle désintéressé au service de la cause catholique.
Depuis trop longtemps, l’ennemi du Christ sème la discorde au sein du peuple italien, sans rencontrer toujours et partout une résistance suffisante de la part des catholiques. Dans la classe ouvrière en particulier, il a fait et fait tout pour répandre de fausses idées sur l’homme et le monde, sur l’histoire, sur la structure de la société et de l’économie. Il n’est pas rare que l’ouvrier catholique, faute d’une solide éducation religieuse, se trouve désarmé lorsqu’on lui propose de telles théories ; il est incapable de répondre, et parfois même se laisse contaminer par le poison de l’erreur.
Cette formation chrétienne, les ACLI doivent donc l’améliorer toujours davantage, tout en étant bien conscients qu’ils exercent ainsi l’apostolat de l’ouvrier au sein de la classe ouvrière, chose que Notre Prédécesseur Pie XI, de bienheureuse mémoire, a souhaité dans son Encyclique « Quadragesimo anno » (cf. Acta Ap. Sedis, vol. XXIII p. 226). La formation religieuse du chrétien, et surtout de l’ouvrier, est l’un des principaux offices de l’action pastorale moderne. De même que les intérêts vitaux de l’Église et des âmes ont exigé l’établissement d’écoles catholiques pour les enfants catholiques, de même l’instruction religieuse vraie et profonde des adultes est une nécessité de premier ordre. Vous êtes donc sur la bonne voie ; continuez avec courage et persévérance, et ne vous laissez pas égarer par des principes erronés.
Car en effet, ces principes erronés sont à l’œuvre ! Combien de fois avons-nous affirmé et expliqué l’amour de l’Église pour les travailleurs ! Pourtant, on continue ici et là de répandre l’atroce calomnie selon laquelle « l’Église est l’alliée du capitalisme contre les travailleurs » ! Elle, la mère et l’éducatrice de tous, a toujours été particulièrement attentive à ses enfants qui se trouvent dans les conditions plus difficiles, et elle a d’ailleurs apporté une contribution précieuse aux progrès honnêtes déjà accomplis par les diverses catégories de travailleurs. Nous avons dit Nous-mêmes dans Notre radiomessage de Noël 1942 :
« Toujours guidée par des motifs religieux, l’Eglise a condamné les divers systèmes du socialisme marxiste et elle les condamne encore aujourd’hui, conformément à son devoir et à son droit permanent de mettre les hommes à l’abri de courants et d’influences qui mettent en péril leur salut éternel. Mais l’Eglise ne peut pas ignorer ou ne pas voir que l’ouvrier, dans son effort pour améliorer sa situation, se heurte à tout un système qui, loin d’être conforme à la nature, est en opposition avec l’ordre de Dieu et avec la fin qu’il a assignée aux biens terrestres. Si fausses, si condamnables, si dangereuses qu’aient été et que soient les voies qu’on a suivies ; qui, et surtout quel prêtre, quel chrétien, pourrait demeurer sourd au cri qui monte d’en bas et réclame, dans le monde d’un Dieu juste, justice et esprit de fraternité ? »(Discours et messages radiodiffusés, vol. IV, p. 336-337).
Jésus-Christ n’attend pas qu’on lui ouvre la voie pour pénétrer les réalités sociales avec des systèmes qui ne dérivent pas de Lui, systèmes qu’ils s’appellent « humanisme séculier » ou « socialisme purgé du matérialisme ». Son règne divin de vérité et de justice est également présent dans les régions où l’opposition entre les classes menace sans cesse de prendre le dessus. C’est pourquoi l’Église ne se contente pas d’invoquer cet ordre social plus juste, mais en rappelle les principes fondamentaux, exhortant les gouvernants des peuples, les législateurs, les employeurs et les chefs d’entreprise à les mettre en pratique.
Mais Notre discours s’adresse surtout aux soi-disant « déçus » parmi les catholiques italiens. Ils ne manquent pas, surtout parmi les jeunes, ceux qui, même bien intentionnés, auraient attendu davantage de l’action des forces catholiques dans la vie publique du pays.
Nous ne parlons pas ici de ceux dont l’enthousiasme n’est pas toujours accompagné d’un sens pratique calme et confiant à l’égard des événements présents et futurs et des faiblesses de l’homme ordinaire. Nous parlons plutôt de ceux qui reconnaissent les progrès considérables accomplis malgré la situation difficile du pays, mais qui ressentent douloureusement que leurs possibilités et leurs capacités, dont ils sont pleinement conscients, ne trouvent pas d’espace pour être utilisées à bon escient. Ils auraient sans doute une réponse à leur complainte s’ils lisaient attentivement le programme de l’ACLI, qui exige la participation effective du travail subordonné à l’élaboration de la vie économique et sociale de la nation et demande que chacun soit réellement reconnu comme un véritable collaborateur au sein des entreprises.
Il n’est pas nécessaire d’insister sur ce sujet, que nous avons Nous-mêmes déjà suffisamment traité en d’autres occasions. Mais Nous voudrions attirer l’attention des désabusés sur le fait que ni les nouvelles lois, ni les nouvelles institutions ne suffisent à donner à l’individu la garantie d’être à l’abri de toutes les contraintes abusives et de pouvoir évoluer librement dans la société. Tout sera vain si le citoyen ordinaire vit dans la crainte permanente d’être soumis à l’arbitraire et ne parvient pas à se libérer du sentiment d’être soumis au bon ou au mauvais vouloir de ceux qui appliquent les lois ou qui, en tant que fonctionnaires, dirigent les institutions et les organisations ; s’il se rend compte que, dans la vie quotidienne, tout dépend de relations dont il n’a pas le privilège, contrairement à d’autres ; s’il soupçonne que, derrière l’État, se dissimule le jeu de puissants groupes organisés.
L’action des forces chrétiennes dans la vie publique signifie donc certainement qu’il faut promouvoir la promulgation de bonnes lois et la formation d’institutions adaptées à l’époque ; mais elle signifie aussi, peut-être plus encore, qu’il faut bannir la domination des phrases creuses et des paroles trompeuses, et que l’homme ordinaire doit se sentir soutenu et appuyé dans ses besoins et ses attentes légitimes. Il est nécessaire de former une opinion publique qui, sans chercher le scandale, dénonce franchement et courageusement les personnes et les circonstances qui ne se conforment pas aux bonnes lois et aux institutions légitimes, ou qui dissimulent injustement la vérité. Il ne suffit pas d’influencer le simple citoyen pour qu’il mette dans l’urne tel ou tel bulletin de vote. S’il veut s’associer aux classes dirigeantes, s’il veut, pour le bien de tous, remédier parfois au manque d’idées fécondes et vaincre l’égoïsme envahissant, il faut qu’il possède lui-même les énergies intimes nécessaires et la volonté ardente de contribuer à inculquer la bonne morale dans tout l’ordre public.
Tel est l’espoir que Nous avons exprimé à l’ACLI il y a dix ans et que Nous répétons aujourd’hui avec une confiance redoublée devant vous. Dans le mouvement ouvrier, seuls ceux qui ne regardent que l’aspect politique immédiat, le jeu des majorités, peuvent connaître de vraies déceptions. Votre travail se situe dans la phase préparatoire – et donc essentielle – de la politique. Il s’agit pour vous d’éduquer et d’initier le véritable ouvrier chrétien par votre « formation sociale » à la vie syndicale et politique, de soutenir et de faciliter toute sa conduite par votre « action sociale » et votre « service social ». Poursuivez donc sans faiblesse le travail que vous avez accompli jusqu’à présent ; vous ouvrirez ainsi une porte immédiate au Christ dans le monde ouvrier et, par voie de conséquence, dans d’autres groupes sociaux. C’est là l’ouverture fondamentale, sans laquelle toute autre ouverture, dans quelque sens que ce soit, ne serait qu’une capitulation des forces qui se disent chrétiennes.
Fils et filles bien-aimés, présents sur cette place sacrée, et vous, travailleurs du monde entier, que Nous embrassons tendrement avec une affection paternelle, semblable à celle avec laquelle Jésus a serré contre Lui les multitudes assoiffées de vérité et de justice, soyez assurés qu’en toute circonstance vous aurez à vos côtés un guide, un défenseur, un Père.
Dites-nous ouvertement, sous ce ciel libre de Rome : saurez-vous reconnaître, au milieu de tant de voix discordantes et ensorcelantes qui vous sont adressées de divers côtés, celles qui cherchent à miner vos âmes, à vous humilier en tant qu’hommes, ou à vous spolier de vos droits légitimes de travailleurs ? Saurez-vous reconnaître au contraire, celle qui est et sera toujours celle de votre guide sûr, de votre défenseur fidèle, de votre Père sincère ?
Oui, chers travailleurs, le Pape et l’Église ne peuvent se soustraire à la mission divine de guider, de protéger, d’aimer avant tout ceux qui souffrent, qui leur sont pour cette raison d’autant plus chers, qui ont d’autant plus besoin d’être aidés et protégés, qu’il s’agisse des travailleurs ou des autres enfants du peuple.
Ce devoir et cet engagement, Nous, Vicaire du Christ, voulons les réaffirmer avec force, ici, en ce jour du 1er mai, que le monde du travail s’est assigné comme sa propre fête, avec l’intention que la dignité du travail soit reconnue par tous et qu’elle inspire la vie sociale et les lois, fondées sur l’égale répartition des droits et des devoirs.
Ainsi accueilli par les travailleurs chrétiens, et recevant presque le chrême chrétien, le 1er mai, loin d’être un réveil de la discorde, de la haine et de la violence, est et sera une invitation récurrente à la société moderne à accomplir ce qui manque encore à la paix sociale. Une fête chrétienne donc, c’est-à-dire un jour de liesse pour le triomphe concret et progressif des idéaux chrétiens de la grande famille ouvrière.
Afin que vous puissiez prendre conscience de cette signification, et en guise de réciprocité immédiate pour les nombreux et précieux dons qui Nous ont été apportés de toutes les régions d’Italie, Nous avons le plaisir de vous annoncer Notre volonté d’instituer – et Nous sommes en train de le faire – la fête liturgique de saint Joseph l’artisan, en lui assignant précisément la date du 1er mai. Vous, chers travailleurs, accueillez-vous favorablement ce don de Notre part ? Nous en sommes certains, car l’humble artisan de Nazareth n’incarne pas seulement devant Dieu et la Sainte Église la dignité de l’ouvrier manuel, mais il est aussi et sera toujours votre gardien providentiel ainsi que celui de vos familles.
Avec ce souhait sur les lèvres et dans le cœur, fils et filles bien-aimés, et avec la certitude que vous vous souviendrez de ce jour si plein de saintes intentions, si resplendissant de bonnes espérances, si prometteur pour tout ce qui a déjà été accompli, Nous demandons au Très-Haut de faire pleuvoir les plus grandes bénédictions sur vous, sur vos proches, sur les malades qui se trouvent dans les hôpitaux et les sanatoriums, sur ceux qui travaillent dans les champs et dans les ateliers, sur vos ACLI et sur leur grande et noble activité, sur les patrons, sur l’Italie bien-aimée et sur tout le monde ouvrier, qui Nous est toujours cher. Que Notre paternelle Bénédiction apostolique descende du ciel sur la terre que vous avez travaillée et fécondée en obéissant au précepte divin primordial !
Pie XII, Allocution pour l’institution de la fête de Saint Joseph Artisan donnée sur la place Saint Pierre devant les Associations Chrétiennes des Travailleurs Italiens, Rome, 1er Mai 1955
Prière à saint Joseph artisan composée et indulgenciée par Pie XII :
Ô glorieux Patriarche saint Joseph, humble et juste artisan de Nazareth, qui avez donné à tous les chrétiens, mais spécialement à nous, l’exemple d’une vie parfaite dans le travail constant et dans l’admirable union à Marie et à Jésus, assistez-nous dans notre tâche quotidienne, afin que, nous aussi, artisans catholiques, nous puissions trouver en elle le moyen efficace de glorifier le Seigneur, de nous sanctifier et d’être utiles à la société dans laquelle nous vivons, idéals suprêmes de toutes nos actions.
Obtenez-nous du Seigneur, ô notre très aimé protecteur, humilité et simplicité de cœur, goût du travail et bienveillance envers ceux qui sont nos compagnons de labeur, conformité aux divines volontés dans les peines inévitables de cette vie et joie dans leur support, conscience de notre mission sociale particulière, et sentiment de notre responsabilité, esprit de discipline et de prière, docilité et respect à l’égard de nos supérieurs, fraternité envers les égaux, charité et indulgence pour nos subordonnés. Soyez avec nous dans nos moments de prospérité, quand tout nous invite à goûter honnêtement les fruits de nos fatigues ; mais soutenez-nous dans les heures de tristesse, alors que le ciel semble se fermer pour nous et que les instruments du travail eux-mêmes paraissent se rebeller dans nos mains.
Faites que, à votre exemple, nous tenions les yeux fixés sur notre Mère Marie, votre très douce épouse, qui, dans un coin de votre modeste atelier, filait silencieusement, laissant errer sur ses lèvres le plus gracieux sourire ; faites aussi que nous n’éloignions pas notre regard de Jésus, qui peinait à votre établi de menuisier, afin que nous puissions ainsi mener sur terre une vie pacifique et sainte, prélude de celle éternellement heureuse qui nous attend dans le ciel, durant les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
Indulgence de trois années, en faveur des artisans qui, avec contrition et dévotion, réciteront la prière.
(Documentation Catholique, 13 avril 1958.)