La troisième cause qui peut motiver une guerre est la religion, point que l’on semble s’être acharné à obscurcir et à résoudre dans l’étudier.
Chose bizarre ! Ceux-là même qui condamnent et maudissent les guerres de religion, approuvent et fomentent les guerres d’impiété. Ils provoquent des révolutions, prennent les armes, troublent les États, attaquent les nations indépendantes ; ils bombardent la capitale du catholicisme, ils répandent des flots de sang n’ayant d’autre motif que de persécuter la foi, et ils ne permettraient pas aux défenseurs de la religion d’user des moyens dont ils se servent pour l’attaquer !
Nous ne prétendons pas convaincre les raisonneurs si faux et si passionnés ; ce sont des aveugles volontaires, et qui resteront toujours dans les ténèbres.
Mais ceux qui cherchent impartialement la vérité reconnaitront que la défense de la religion est une des causes les plus justes de la guerre. Nous disons la défense, parce que nous sommes bien loin de croire que la foi doive se propager par le sabre, comme le fit Mahomet pour le Coran. Lorsque Sisebut, roi d’Espagne, obligea les Juifs à recevoir le baptême, les évêques réprouvèrent cet acte, en enseignant, dans le 4e concile de Tolède, que « l’on ne doit faire violence à personne pour accepter la foi ».
Les lois chrétiennes contre les hérétiques et les impies n’ont pas pour objet, d’après Saint Augustin, de les obliger à faire le bien, mais de les empêcher de faire le mal. Et encore, suivant Saint Bernard, on ne doit pas guerroyer contre les infidèles, si l’on peut d’une autre manière, les empêcher de corrompre ou d’opprimer les chrétiens. La vraie religion possède seule des préceptes si doux et si modérés ; l’erreur a toujours été agressive et sanguinaire.
Mais si la foi ne doit pas s’imposer par les armes, on a cependant le droit de les employer pour la conserver et la défendre. Dieu, dans le Deutéronome, ordonna qu’on fit la guerre sans merci aux apostats et aux propagateurs de l’erreur, qui par leurs mauvais exemples et leurs maximes séductrices prétendaient entrainer le peuple à l’abandon de la vraie religion.[1]
Lorsque l’impie Antiochus prétendit changer la religion des patriarches et y substituer le culte des idoles, Mattathias, assis sur un rocher du mont Modin, méditant sur les malheurs de son pays, s’écria : « À quoi nous sert-il de vivre ? Les objets sacrés sont au pouvoir de l’étranger, le temple est déshonoré, ses trésors volés… »
Ce noble cœur exhala un soupir, les larmes montèrent à ses yeux, et il poussa le cri des braves :
Il vaut mieux pour nous mourir dans le combat, que de voir les maux de notre peuple et la dévastation de toutes les choses saintes. Quiconque est zélé pour la loi, et veut demeurer ferme dans l’alliance du Seigneur me suivra.
Avec ses cinq fils il leva l’étendard de la religion et de la patrie ; il prit la devise sacrée de Saint Michel contre Lucifer dans le ciel : « Qui est égal à toi parmi les dieux, Jehova ! » Et de roc en roc, de montagne en montagne, le saint étendard refit la conquête d’Israel et mérita d’être salué avec respect par Sparte et par Rome. Le Ciel soutenait sa valeur par de nombreux prodiges, et un jour le héros principale de cette grande épopée vit apparaître en songe le prophète Jérémie, qui lui remit une épée d’or en disant :
Prend cette sainte épée, comme un présent que Dieu te fait et avec laquelle tu renverseras les ennemies de mon peuple d’Israel. – 2 Maccabées ; 15-16
Il n’est pas possible enfin d’avoir foi aux saintes Écritures et de nier que la défense de la religion soit un motif juste de guerre.
D’accord avec l’Écriture, Saint Thomas, ce philosophe incomparable, ce moraliste consciencieux qui, selon la juste observation de Balmès, pèse les mots comme un métal précieux, écrit ces paroles :
Parmi les infidèles, il y en a qui n’ont jamais reçu la foi, tels que les païens et les juifs ; et l’on ne doit pas forcer ceux-ci à la foi, parce que croire est un acte qui dépend de la volonté ; Cependant, les fidèles doivent les contraindre, s’ils en ont les moyens, à ne pas susciter des obstacles à la foi, par blasphèmes, séductions, ou persécutions ouvertes.
C’est ainsi que les chrétiens ont souvent déclaré la guerre aux infidèles, non pour les obliger à se convertir, puisque, même étant victorieux, ils les laisseront libres d’embrasser la foi ou non, mais pour les empêcher de nuire à la propagation de la vraie foi. Mais il y a d’autres infidèles, tels que les hérétiques et les apostats, et ceux-là doivent être ramenés même par la force à la foi qu’ils avaient reçue. – Saint Thomas d’Aquin, 2, 2, q. 10, art. VIII
Ce texte si important doit être complété par le commentaire suivant du cardinal Cajetan :
Examinez avec soin la cause de la guerre contre les infidèles (il ne faut pas oublier que parmi les infidèles, Saint Thomas compte les hérétiques et les apostats), ils s’agit de les empêcher de mettre obstacle à la foi de Jésus-Christ par l’un des trois moyens suivants : les blasphèmes, par exemple en parlant mal du Christ, de ses saints ou de son Église ; les insinuations, en engageant les autres à ne pas croire ; les persécutions, soit en général comme le font les Turcs, soit en particulier en faisant périr les chrétiens ou les prédicateurs de la foi. D’où la conséquence, que c’est gêner la liberté de la foi de ne pas en permettre la prédication publique et de récompenser ceux qui renient le Christ, etc. – Cajetan, De Heret., chap. IV
On pourrait multiplier indéfiniment ces citations et présenter en outre des documents officiels dans lesquels le Saint-Siège encourage et récompense ceux qui défendent par les armes la foi de Jésus-Christ contre les hérétiques et les infidèles. Quiconque en doutera, pourra lire, entre mille exemples, le chapitre XIII, tit. 7, liv. V, des Décrétales de Grégoire IX, et il verra que les croisés armés contre les hérétiques obtiennent les mêmes privilèges que ceux de la Terre Sainte.
Qu’on jette aussi les yeux sur les deux lignes que le pape Alexandre II écrivait aux évêques d’Espagne :
Contre ceux qui poursuivent les chrétiens et les chassent de leurs villes et des lieux qu’ils occupent, la guerre est juste. – Décrét., p.2, 623, q.8, chap. II
Enfin, écoutons la voix de la sainte raison, admirablement exprimée par le savant Liberatore dans ses Éléments de droit naturel, où il dit :
On peut ici demander si la guerre entreprise en faveur de la religion est licite. À cette question, il suffit de faire une brève réponse : Si la guerre se fait pour étendre la religion et l’imposer violemment aux autres, elle est injuste ; car la religion ne s’étend pas et ne se propage pas par la force des armes, mais bien par la lumière de la vérité ; elle en triomphe pas des esprits par la violence, elle les attire par la persuasion et la charité. Mais s’il s’agit de défendre la religion contre d’injustes agresseurs, qui avec un acharnement impie s’efforcent de l’opprimer et de l’arracher du cœur des populations, ou d’entraver sa liberté, rien n’est plus évident que la justice d’une guerre entreprise pour une telle cause.
En effet, si la religion est le plus précieux bien de l’homme, puisqu’elle lui procure une éternelle félicité, il est indubitable qu’elle donne à l’individu et à la société, non seulement un droit, mais devoir fondé sur l’obligation qui nous est imposée de défendre et de conserver, au-dessus de tous les autres biens, l’honneur et la gloire de Dieu. – Lib. III, cap. II, art. 1
C’est là une vérité de sens commun, et le genre humain l’a reconnu dans tous les temps. Pro aris et focis a toujours été le terme pour désigner d’une manière expressive la justice et la résolution dans la guerre ; deux mots indiquant les motifs les plus propres pour déterminer les hommes, et leur mettre avec plus de raison les armes à la main : pour les autels et les foyers domestiques.
Et l’on remarque bien ceci : la défense des autels est placée avant celle de la famille, pro aris d’abord, pro facis ensuite.
Chanoine Joaquin Torres Asensio, Le Droit des Catholiques à se défendre, XB Éditeur
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[1] Deutéronome, chapitre 12.