Né le 6 septembre 1882 à Candia (Crête Ottomane) Paul Mulla, né Ali Mehmet Mulla Zade, avait été un fervent musulman dans sa jeunesse. A l’âge de quinze ans, son père l’envoya au collège Mignet à Aix-En-Provence, dans le but d’en faire un avocat. En 1899, il reçut son diplôme de bachelier et suivit ensuite des études de droit à l’université de la même ville. Là, il fut un temps le disciple de son professeur, Maurice Blondel. Ce dernier était un philosophe qui fut accusé, probablement à tort, d’avoir été visé implicitement par l’encyclique antimoderniste Pascendi Dominici Gregis du pape Saint Pie X. De façon plus juste, il faut dire que Blondel fût parfois tenu, non sans bonne raison, pour avoir influencé bon gré mal gré, par ses écrits, quelques modernistes célèbres, tels Henri de Lubac. En vérité, Blondel écrivait dans l’esprit du temps, hélas, malgré son constant souci de toujours demeurer à la limite positive de l’orthodoxie. Comme bien d’autres en ce temps-là, il réfléchissait notamment sur les questions de méthodologie apologétique catholique dans la société humaine du 20e siècle. Comme le poison du libéralisme dans les questions politiques et sociales, le venin du modernisme s’insinuait maintenant dans les chaires de théologie, de philosophie, d’histoire religieuse et d’apologétique. C’est dans ce contexte périlleux qu’Ali Mehmet Mulla va se convertir au catholicisme.
Selon le Père Vincenzo Poggi (un moderniste), « les capacités intellectuelles d’Ali Mehmet firent dirent à Blondel qu’il eut jamais de plus brillant disciple, ni de plus fidèle interpréteur de sa propre pensée ».
Ali Mehmet se convertit à la religion catholique et fut baptisé en 1905, prenant le nom du bienheureux Paul, le divin apôtre de l’Asie mineure. En 1913, il fut ordonné prêtre. Son désir initial était de pouvoir exercer un ministère pastoral en Turquie. Il demanda aussi la citoyenneté française, qu’il obtint le 3 mars de la même année. Il œuvra d’abord dans les hôpitaux militaires, en pleine première guerre mondiale. Le conflit mondial n’éteignait pas le brasier de la crise moderniste, au contraire. Pendant ce temps-là, Maurice Blondel demeurait sous le feu des accusations. Mais par une lettre du 8 aout 1917, l’archevêque d’Aix, Mgr. François Bonnefoy, évoquant les nombreuses accusations d’hétérodoxie de ses travaux, le rassure néanmoins. Mgr. Bonnefoy y rapporte son entretien privé avec le pape Saint Pie X, au cours duquel le pontife dit à juste titre, que certains écrits de Blondel manquaient parfois de précision, mais qu’il était tout de même « certain de son orthodoxie ».
Selon Poggi, Maurice Blondel, aurait, en 1924, rencontré Mgr. Michel d’Hebigny, alors président de l’Institut Pontifical Oriental, fondé par le pape Benoit XV en 1917. Ce serait à cette occasion que Blondel aurait recommandé les excellentes dispositions, notamment linguistiques, du Père Mulla, pour un poste d’enseignant en études islamiques. Le pape Pie XI se serait montré alors très favorable et le Père Mulla devint professeur à l’Institut dès l’année suivante. Maîtrisant le turc, le grec moderne, l’arabe et le perse, le Père Paul Mulla avait reçu les faveurs du pape Pie XI, qui lui confia une charge de directeur des études islamiques à l’Institut Pontifical d’études orientales, ce qui lui donna plus tard droit à un titre de Monseigneur. Il dirigea et enseigna à l’Institut pendant près de 35 ans, jusqu’à sa mort, le 3 mars 1959, quelques mois après la mort du pape Pie XII.
Poggi rapporte que le Père Mulla publia peu, en raison de problèmes de vue et d’une santé fragile. Poggi prétend aussi que « ses enseignements, ses contacts avec des spécialistes de l’Orient et sa loyauté envers son ancienne religion, contre laquelle il n’a jamais parlé avec mépris et malice, a eu un impact profond dans l’Eglise catholique, favorable à une meilleur considération de la religion de l’islam ».
Cette information est à prendre avec prudence, Poggi étant lui-même un apostat notoire, ayant adopté avec zèle la religion moderniste à Vatican 2. Il serait trop facile de croire avec trop de hâte les héritages dont se réclament souvent les apologistes modernistes actuels. Rien n’indique que Mgr. Mulla ait été un moderniste ou qu’il ait eu des vues proto-modernistes sur l’islam. Quoiqu’il en soit, Poggi affirme encore « qu’il mourut à la veille du 2e concile du Vatican, qui formula d’importantes déclarations sur les religions non chrétiennes, en particulier l’islam, ce qui est, au moins partiellement, un résultat des travaux patients et sérieux d’Ali Mehmet Mulla Zade ».
Il ne fait pas de doute que Poggi cherche positivement à faire du père Mulla une influence moderniste importante, ayant eu une incidence jusqu’au concile hérétique de Vatican 2. On retrouve les mêmes méthodes chez d’autres modernistes « spécialistes du dialogue inter-religieux. Ainsi de la « sœur » Agnes Wilkins, qui présente Jean Mohammed Abd-El-Jelil, marocain converti dans les années 1920, sous les mêmes traits d’un précurseur du modernisme dialoguiste et pro-islamique.
Sans ayant pu examiner l’ensemble des travaux du père Mulla, il nous est impossible d’infirmer ou de confirmer une telle chose. En attendant, la prudence et la présomption d’innocence s’imposent, ainsi que des clarifications : Dans cette courte et périlleuse période ayant immédiatement précédé l’imminente Passion de l’Eglise, à savoir les années 1900-1950, un certain nombre d’auteurs ont pu, malgré eux, et sans avoir nullement eu les intentions hérétiques des ennemis de l’Eglise, les influencer ou leur servir de prétexte, en somme, voir leurs intentions abusées. Cela a pu se vérifier de la part d’un certain nombre d’auteurs, de théologiens ayant vécu et publié dans ces années-là, notamment chez quelques savants catholiques qui étaient directement dans les études apologétiques relatives à l’islam ou d’autres fausses religions.
Nous avons pu le voir parfois, même jusque chez de grands prélats irréprochables dans leur orthodoxie : la prudence à laquelle étaient souvent de plus en plus réduits de très nombreux clercs, a pu faire croire à quelques modernistes patentés, réellement mal intentionnés, qu’ils pouvaient en profiter pour faire avancer leurs idées et leurs méthodes impies. De même, les études islamiques développées au début du 20e siècle dans les milieux catholiques, tendaient particulièrement à mieux comprendre et mieux faire comprendre l’islam. Pour les catholiques orthodoxes, c’était évidemment pour mieux le combattre, mais aussi mieux convertir, mieux pénétrer le milieu. Mais pour les modernistes, évidemment, « comprendre l’islam » équivalait en fait à « excuser, à relativiser l’islam » et, peu à peu, trouver tous les prétextes pour proscrire tout prosélytisme, tout apostolat, toute évangélisation effectifs.
Il se peut très bien que le Père Mulla doive se trouver parmi ceux dont les modernistes ont abusé la mémoire. Mais il se peut plus probablement, que le Père Mulla, à l’instar du père Abd El Jalil, eurent le malheur de se trouver très tôt dans l’entourage et sous l’influence des premiers architectes modernistes de « l’évangélisation » par l’indifférentisme et le syncrétisme proclamée plus tard à Vatican 2. La correspondance entre les deux convertis en témoigne. Ici, par exemple, une déclaration du Père Mulla :
Les dogmes sont comme des graines semées dans le sol de nos âmes dans cette vie présente. Nourris par la sève de la Foi, ils sont destinés à évoluer vers la lumière de notre future vie dans laquelle ils écoreront de façon admirable, pour notre contemplation. – Agnes Wilkins, Two Converts from Islam to Christianity : Paul Mehmet Mulla-Zade and Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, Revue du Dialogue Interreligieux Monastique, Volume 9, n°1, Janvier-Juin 2019
Sauf erreur, il semble qu’il y ait ici, dans la formulation, comme l’expression d’une inversion de l’objet et du sujet. N’est-ce pas plutôt notre Foi qui est nourrie par les dogmes, à savoir la Vérité révélée ? N’est-ce pas plutôt la Foi qui grandit grâce à la permanence intrinsèque du dogme ? N’est-ce pas plutôt la Foi qui est la graine, et le dogme, le tuteur ? Si on devait suivre l’analogie, on pourrait croire qu’elle exprime l’idée d’une essence subjective, et donc subjectivement manipulable, du dogme.