1/ Ce que nous avons dit jusqu’ici concerne l’impossibilité de diviser la personnalité humaine, soit au cours de la vie présente, soit après la mort. Il existe toutefois une autre théorie, très en faveur autrefois et qui prévaut encore aujourd’hui surtout dans l’Inde, une théorie que des savants modernes essaient de faire revivre. Nous voulons parler de la métempsycose qui prétend que l’âme humaine est capable d’informer, ou d’animer successivement des corps différents.
Métempsycose signifie le passage de l’âme d’un corps dans un autre corps. Mais comme le mot âme peut signifier soit l’âme humaine, soit l’âme des animaux, et que le mot corps peut s’entendre soit d’un corps mort, soit d’un corps vivant, l’hypothèse de la métempsycose prend ainsi diverses formes, suivant que l’on considère comme possible le passage de l’âme humaine ou de l’âme d’une brute d’un corps dans un autre, que ce corps soit vivant, ou qu’il soit mort.
2/ La théorie de la métempsycose, qui n’est qu’une parodie de la foi de l’humanité en l’immortalité de l’âme, est le fondement sur lequel les poètes de l’antiquité ont bâti un grand nombre de leurs fictions. La transmigration des âmes d’un corps dans un autre, théorie qui a trouvé crédit chez plusieurs savants modernes, n’est qu’une renaissance de l’ancienne doctrine connue sous le nom de « voyage cyclique des esprits ». La réincarnation enseignée par Allan Kardec, n’est pas autre chose que la métempsycose du Bouddha, avec cette différence que le Bouddhisme admet la transmigration des âmes dans le corps des bêtes, quelles qu’elles soient, tandis qu’Allan Kardec s’en tient à la réincarnation dans des corps humains.
Mais une fois que le rapport essentiel et nécessaire de l’âme avec son corps est écarté, aucune raison n’existe pour une telle limitation. Si l’âme humaine peut indifféremment informer n’importe quel corps, elle peut tout aussi bien être reçue dans le corps d’une bête que dans celui d’un homme. Poussée jusqu’à sa conclusion extrême, la doctrine de la métempsycose conduit à cette conséquence ridicule, que nous devrions nous abstenir de manger la chair des animaux, de crainte de nous exposer au danger de nous nourrir de ce qui pourrait avoir été la chair de nos parents. Nous savons qu’en effet les Hindous s’abstiennent de toute nourriture carnée, en particulier de la viande de vache et de boeuf.
3/ La métempsycose, sous quelque forme qu’on la conçoive, est contredite d’abord par la voix de la conscience qui rejette positivement l’idée d’un tel passage de l’âme d’un corps dans un autre. Cette théorie est de même répudiée par la Philosophie chrétienne, dont l’enseignement concernant la nature de l’âme humaine exclut très explicitement le passage de l’âme d’un corps dans un autre.
4/ Comme nous l’avons déjà démontré, notre âme est distincte des substances angéliques en ce qu’elle porte en elle-même un besoin de relation étroite avec son propre corps. Ce besoin de relation ne se rapporte pas à n’importe quelle sorte de corps organique, mais seulement au corps dans lequel l’âme est actuellement infusée par Dieu au moment de sa création. Et c’est cette relation qui distingue numériquement et individuellement pour toujours l’âme de chacun. De même qu’il est impossible à l’âme pendant cette vie d’émigrer d’un corps dans un autre, de même aussi elle ne peut, après cette vie, animer ou informer un autre corps, soit d’une forme de vie égale, soit d’une forme de vie inférieure.
La seule chose possible pour l’âme humaine est d’animer et d’informer à nouveau le même corps qui fut sien pendant la vie, et pour lequel, bien qu’il soit maintenant dans le tombeau, elle n’a jamais cessé de conserver une relation d’inclination radicale. Cette possibilité, toutefois, dépasse la sphère des forces de la nature. Elle ne peut devenir réalité que par la volonté et la puissance divines. Le fait de la résurrection des morts ou de la réunion de l’âme à cette même chair qui fut sienne pendant la vie terrestre, est un miracle de la toute-puissance divine et forme un des principaux articles de notre sainte foi.
5/ A l’idée de métempsycose se rapporte la fiction poétique suivant laquelle le démon prendrait, dans le corps d’un homme, la place de l’âme humaine, de manière à l’informer et le gouverner comme le ferait l’âme même de cet homme. Or ceci est également impossible, le corps ne pouvant être informé par aucune autre âme que la sienne. On peut cependant admettre que le démon puisse, absolument parlant, habiter un corps humain privé de son âme non comme étant sa forme substantielle, mais seulement comme principe de motion locale. Dante, usant de la liberté des poètes, a exprimé cette idée hardie quand, parlant des âmes des traîtres séparées de leurs corps pour être tourmentées dans l’enfer, il a imaginé que le démon prenait, pendant ce temps, la place de ces âmes sur la terre, donnant à leurs corps l’apparence d’être encore animés par leurs propres âmes : « …sache qu’aussitôt que l’âme trahit, comme je l’ai fait, un démon s’empare de son corps, et ensuite le gouverne, jusqu’à ce que son temps soit accompli ».
Cardinal Lépicier, Le Monde Invisible : Le spiritisme en face de la théologie catholique, 2e partie, Chapitre 1, La métempsychose