Si quelqu’un se demande ce qu’il faut pour faire un saint, qu’on consulte seulement la vie de Saint Pierre Claver, en qui une surhumaine vie de grâces fut si manifeste qu’elle en fit une personne qui semblait bien plus qu’un simple homme. Ce saint jésuite, né en Espagne [à Verdù en Catalogne] en 1580, fut durant son noviciat le disciple de Saint Alphonse Rodriguez, le saint portier de Majorque, humble frère-lai ayant bénéficié des plus hauts dons de contemplation et de prophétie. Tous deux seront canonisés pas le pape Léon XIII en 1888, scellant ainsi une parfaite union qui débuta sur terre et continue certainement au Ciel. Saint Alphonse, lorsqu’il rencontra pour la première fois son novice, eut une inspiration qui le conduisit à lui embrasser les pieds, et en retour, le novice étreint son père spirituel avec une tendresse qui ne cessa jamais depuis. Quelques temps plus tard, le maître reçut une vision dans laquelle il fut informé que son novice était destiné à sauver une multitude d’âmes dans le nouveau monde. Il dit ainsi à Pierre : « Tant de gens sont damnés à cause du manque de ministres ! Se rendre auprès d’eux est une terrible épreuve, mais le crime et le danger serait de les abandonner ! » Finalement, Saint Alphonse dévoila à son disciple les divines révélations qu’il reçut à son sujet, afin de lui inspirer un désir ardent de répondre au Vœu explicite de Dieu.
Après huit ans d’études et de préparation apostolique en Espagne, Saint Pierre demanda à être enrôlé dans les missions des Indes occidentales, et il fut envoyé à Carthagène en Colombie, en Amérique du Sud, lorsqu’il avait 30 ans. Il fut assigné à l’accompagnement d’un très vieux prêtre qui avait dédié son ministère au service des pauvres africains qui étaient vendus sur les marchés de cette ville. Ces pauvres étrangers parlaient des langues très diverses, mais partageaient tous une misère commune, que Saint Pierre Claver perçut très clairement. Lorsque les portes des cales des navires esclavagistes s’ouvraient, se déversait une masse confuse d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards, de personnes malades mélangées avec d’autres en bonne santé, et bien souvent, hélas, d’autres personnes proches de l’état cadavérique, car la rigueur extrême de cette traversée causait elle-même bien des victimes. Le vieux prêtre, sur le point de prendre retraite, demanda à ce que son apostolat soit définitivement confié à Pierre Claver, ce qui fut volontiers permis. [Quand fut venu le moment de ses vœux, Pierre Claver obtint d’y ajouter celui de servir les esclaves jusqu’à sa mort ; il signa ainsi sa formule de profession : Pierre, esclave des Noirs pour toujours.]
Ainsi débutèrent 44 années de dévouement total et incessant à l’amélioration de la condition spirituelle et matérielle des esclaves africains. Saint Pierre Claver se tenait sur le port pour observer l’arrivée des navires esclavagistes, lesquels transportaient de dix à douze mille âmes chaque année, et était toujours le premier à monter à bord, accompagné de ses traducteurs et transportant avec lui toutes sortes de vivres qu’il avait pu récolter. Il saluait les vivants, organisait l’inhumation des morts et le transport des malades dans les hôpitaux. Ayant acquis la sympathie des esclaves, il se rendait fréquemment auprès d’eux avec ses interprètes et leur enseignait, pendant des heures, les éléments de la doctrine, à l’aide d’illustrations. Avant de mourir, il avait personnellement converti et baptisé près de 400000 personnes. Il donnait et plaçait autour du cou de chacun de ses nouveaux enfants de Dieu une médaille qui les distinguait comme chrétiens, de ceux qui n’avaient pas encore été instruits.
Bien que l’apostolat auprès des esclaves fût sa principale occupation, il passa également beaucoup de temps dans la localité voisine de Lazaretto, un refuge pour lépreux, et dans les hôpitaux de la région. Aucune forme d’infirmité ne le repoussait. Le frère qui l’accompagnait partout devait laver son manteau plusieurs fois par jour, car il s’en servait pour coucher les malades tandis qu’il leur arrangeait leur lit. Il se dégageait de lui en permanence une odeur de sainteté. Il ne dormait que deux ou trois heures par nuit, et ne mangeait presque rien. Les pauvres étaient ses enfants bien-aimés et lui, était leur père bien-aimé, dont les visites étaient attendues avec avidités et semblaient à tous toujours trop courtes. Ceux qui lui résistaient, ne lui résistèrent jamais indéfiniment. Un homme l’insulta pendant 32 ans, mais à la fin, il tomba à genoux et implora auprès de lui le pardon. La mesure de la charité de Saint Pierre Claver est certainement réservée aux Cieux. Même ses biographes ont peine à trouver les mots adéquats pour qualifier l’héroïsme de sa vie. Le pape Pie IX, qui le déclara bienheureux en 1851, affirma qu’il n’avait jamais été si secoué par la lecture de la vie d’un saint.
Saint Pierre Claver contracta la peste vers la fin de sa vie, et il devint infirme et partiellement paralysé. Afin de se déplacer, il s’attacha lui-même à un âne pour pouvoir demander des dons et les distribuer. Il avait à son service un domestique vulgaire qui la plupart du temps ne s’occupait pas de lui et le maltraitait, et lorsque ses frères voulurent lui en donner un autre, il leur demanda de garder celui qu’il avait déjà, déclarant qu’il le traitait bien mieux qu’il ne le méritait. Deux ans après sa mort, à l’âge de 74 ans, on retrouva son corps intact, en dépit de l’humidité ambiante du lieu de sépulture et des éléments caustiques qui s’y étaient accumulés. Des miracles y proliférèrent, de même qu’en d’autres endroits, à la seule évocation de son nom. Une grande église fut construite à Carthagène en son honneur et il devint le deuxième patron de la Colombie, sa terre d’adoption.
Un prêtre du diocèse de Montréal, Vie abrégée de Saint Pierre Claver, Jésuite, l’Apôtre de Carthagène, 1925.