L’apôtre Saint Jude est distingué de Judas l’Iscariote par son surnom de Thaddée, qui signifie en syriaque « louange » ou « confession » (ce mot ayant la même signification que le mot hébreu Judas), ainsi que par le nom de « Lebbée » que lui donne le texte grec de l’évangile de Matthieu. Selon Saint Jérôme, ce mot désigne un homme d’esprit et d’intelligence, tiré du mot hébreu Leb qui signifie « cœur » ; bien qu’il puisse également être dérivé du mot hébreu qui désigne le lion. Saint Jude était le frère de Saint Jacques le mineur, comme il se décrit lui-même dans son épître. Il en va de même concernant saint Simon de Jérusalem et de Joseph (Matthieu 13 ; 55), qui sont appelés frères de notre Seigneur et étaient fils de Cléophas et de Marie, sœur de la Sainte Vierge. La parenté de cet apôtre et sa relation avec notre Sauveur l’exaltaient moins aux yeux de son Maître que son mépris du monde, l’ardeur de son saint zèle et de son amour et de ses souffrances pour Lui. On ignore quand et comment il est devenu disciple du Christ; rien n’a été dit de lui dans les évangiles avant de le trouver énuméré dans le catalogue des apôtres. Après le dernier repas, lorsque le Christ a promis de Se manifester à tous ceux qui L’aimeraient, saint Jude Lui a demandé pourquoi ne s’était-Il pas manifesté au monde ? Par cette question, il semble avoir exprimé son attente d’un royaume messianique temporel. Par sa réponse, le Christ l’a convaincu que le monde n’était pas qualifié pour les manifestations divines, étant étranger et ennemi de ce qui doit convenir aux âmes pour une communion avec le ciel; mais qu’Il honorerait ceux qui L’aiment vraiment avec Ses conversations familières et les admettrait à des communications intimes de grâces et de faveurs (Jean 14 ; 24).
Après l’Ascension de Notre Seigneur et la descente du Saint-Esprit, Saint Jude s’est mis en route avec les autres grands conquérants du monde et de l’enfer pour renverser le prince des ténèbres de son trône usurpé. Cette petite troupe s’est engagée à ne s’armer que de la parole de Dieu et de Son Esprit. Eusèbe rapporte (Eus. Hist. l. 1. c. 13.) que l’apôtre Saint Thomas a envoyé à Edesse Saint Thaddée, l’un des disciples de notre Seigneur, et que le roi Abgar et un grand nombre de ses gens ont reçu le baptême de ses mains. Saint Jérôme et Bede considèrent que ce Thaddée est l’apôtre Saint Jude; mais l’opinion générale est qu’il s’agissait d’une autre personne, l’un des soixante-douze disciples que les Grecs commémorent le 21 août dans la Ménée (à propos de ce disciple nommé Thaddée et à propos de cette question, voir Baillet, Vie de Saint Thaddée, 21 aout et Vie de Saint Thomas l’Apôtre, 21 décembre). Nicéphore, Isidore et les martyrologues nous disent que saint Jude a prêché en Judée, en Samarie, en Idumée et en Syrie; surtout en Mésopotamie. Saint Paulin dit (S. Paulin. Carm. 26) que Saint Jude a implanté la foi en Lybie. Cet apôtre est rentré de ses missions à Jérusalem en l’an 62, après le martyre de son frère saint Jacques, et a assisté à l’élection de saint Siméon, qui était également son frère. Il écrivit une épître catholique ou générale à toutes les églises de l’Orient, s’adressant plus particulièrement aux convertis juifs parmi lesquels il avait principalement travaillé. Saint Pierre avait auparavant écrit dans les deux mêmes épîtres et, dans la seconde, il avait principalement mis en garde les fidèles contre les erreurs des Simoniens, des Nicolaïtes et des Gnostiques. Les ravages que ces hérésies continuaient de faire parmi les âmes attisaient le zèle de saint Jude, qui reprenait parfois certaines expressions de saint Pierre (Comparer Jude 11 ; 17 et 2 Pierre 2 ; 15) et semble faire référence aux épîtres de Saints Pierre et Paul comme si les auteurs n’étaient alors plus en vie (Jude 17 se référant à 2 pierre 3 ; 2-3 et 1 Timothée 4 ; 1-2). Il décrit les hérétiques par plusieurs épithètes puissants et les qualifie de météores errants, qui semblent illuminer pendant un moment, avant de plonger dans les ténèbres éternelles. Il illustre la source de leur chute en disant : ce sont des murmureurs qui courent après leurs propres convoitises ; asservis à l’orgueil, à l’envie, à l’amour du plaisir sensuel et des autres passions, et négligeant de crucifier les désirs de la chair dans leur cœur, ils furent étrangers à la sincère humilité, à la douceur et à la paix intérieure. L’apôtre exhorte les fidèles à traiter ceux qui sont tombés avec une tendre compassion, en faisant une différence entre la malice pure et la faiblesse, et en s’efforçant par une crainte pieuse de les sauver, en les extirpant du feu du vice et de l’hérésie, et en haïssant même le vêtement taché par l’iniquité. Il nous rappelle d’avoir toujours à l’esprit ce grand devoir qui nous incombe de bâtir sans cesse en nous l’édifice spirituel de la charité, en priant le Saint-Esprit, en grandissant dans l’amour de Dieu et en implorant Sa miséricorde par le Christ[1]. De la Mésopotamie, Saint Jude s’est rendu en Perse, comme nous le disent Fortunat (Fortun. l. 8. Carm 4) et plusieurs martyrologies. Ceux qui disent qu’il est mort en paix à Berytus, en Phénicie, le confondent avec Thaddée, l’un des soixante-douze disciples, apôtre d’Édesse, dont la Ménée parle (Menæ, ad 21 Aug). Fortunat et les martyrologues occidentaux nous disent que l’apôtre saint Jude a été martyrisé en Perse ; le ménologe de l’empereur Basile et d’autres Grecs disent à Arat ou à Ararat, en Arménie, qui était alors soumise à l’empire parthe, et par conséquent rattachée à une partie de la Perse. De nombreux Grecs disent qu’il a été tué par des flèches. Certains ajoutent qu’il était attaché sur une croix. Les Arméniens, jusqu’à aujourd’hui, le considèrent lui et Saint Barthélemy comme étant leurs premiers évangélisateurs (voir Joachim Schroder, in Thesaur. Linguæ Armeni., p. 149, edit. an. 1711, Le Quien, Orient. Christian., t. 1, p. 419)[2].
Nous devons rendre à Dieu des hommages, des louanges et une reconnaissance éternelles pour la miséricorde infinie par laquelle Il a établi une Église sur la terre, une Église si richement dotée de toutes sortes de puissants moyens de sainteté et de grâce ; une église dans laquelle Son Nom est toujours glorifié, et dans laquelle de nombreuses âmes, à la fois par la pureté de leur amour et de leurs vertus, et par leurs saintes fonctions, sont associées à la compagnie des bienheureux anges. Il faut que tout ceci constitue notre première et constante requête dans nos plus sincères adresses à Dieu, comme nous l’apprenons par la prière de Notre Seigneur et comme nous l’enseignent les premiers dogmes de la charité et de la religion divine, afin que pour la gloire de Son saint Nom, Il puisse protéger et préserver Son église, selon Sa parole divine ; étendre son influence, sanctifier ses membres et remplir ses pasteurs du même esprit dont Il a si merveilleusement doté Ses apôtres, qu’Il a eu le bonheur de choisir pour la fondation de cet édifice sacré. Si nous désirons hériter d’une part de ces grâces abondantes et précieuses que Dieu répand sur ces âmes qu’Il dispose à les recevoir, nous devons nous rappeler qu’Il ne les transmet jamais qu’à ceux qui s’efforcent sincèrement de mourir en eux-mêmes et qui travaillent à extirper tous les attachements et toutes les affections démesurées hors de leur cœur; Tant qu’elles règnent dans une âme, cette âme fait partie de ce monde dans lequel Dieu ne peut se manifester ni communiquer le goût exquis de Son amour. C’est le mystère que le Christ a dévoilé à Saint Jude. Le monde ne l’a pas connu. Peu, même parmi ceux qui connaissent Dieu par la foi, parviennent à la connaissance expérimentale de Dieu et au goût de Son amour, car peu, très peu, démêlent leur affection des créatures. Tant que leurs cœurs restent secrètement liés au monde, ils tombent dans une certaine mesure sous la malédiction. Et combien peu étudient parfaitement pour éteindre son esprit dans leurs cœurs !
Père Alban Butler, The Lives of the Saints, Volume X, 28 Octobre, 1866.
[1] Luther, les auteurs de ce siècle et Kemnitius remettent en question l’origine divine de cette épitre, car quelques anciens avaient émis des doutes à ce sujet. Grotius prétend qu’elle fut écrite par Jude, le quinzième évêque de Jérusalem, sous le règne d’Adrien. La tradition de l’Eglise, au contraire, affirme que l’origine divine de l’épitre de Saint Jude ne peut en aucune manière être remise en question.
[2] Saint Jude était un homme marié avant d’être appelé à son apostolat. Eusèbe nous informe (l. 3, c. 20,) que deux petit-fils de cet apôtre, lesquels possédaient ensemble 39 acres de terre qu’ils cultivaient de leurs propres mains, furent accusés par les juifs, lesquels agirent en haine du nom du Christ et contre ces descendants du roi David. L’empereur Domitien ordonna alors de les mettre à mort, pour éviter toute rébellion parmi les juifs. Les deux descendants de l’apôtre confessèrent fièrement le Christ, mais l’empereur, charmé par leur humilité, voyant la modestie de leur vie, voyant leurs mains calleuses et endurcies par le laveur, constata qu’ils n’étaient nullement des personnes mettant en danger l’Etat et le congédia. Rentrés chez eux, ils furent ordonnés prêtres et furent en charge d’églises considérables. Nous avons la preuve que Saint Jude fut un mari et père de famille avant son apostolat par les Constitutions Apostoliques, 1.2, c.63, p.303.