Oppression des Madianites. L’ange apparait à Gédéon et lui prouve sa puissance. Défaite des Madianite. Désintéressement de Gédéon. Sa mort. Après les années de repos que Dieu avait procuré aux israélites, par Aod, Samgar, Débora et Barac, ils firent de nouveau le mal en présence de l’Eternel, qui les abandonna durant sept ans aux mains des Madianites. L’oppression était telle que, pour s’y soustraire, ils se réfugiaient dans les antres, dans les cavernes, dans les gorges des montagnes. [1] Il y a dans la Judée des cavernes qui peuvent contenir des milliers de personnes. Quittaient-ils ces retraites pour cultiver les champs, aussitôt les Madianites, les Amalécites et autres peuples de l’Orient accouraient, hommes et chameaux, innombrables comme des nuées de sauterelles, dévastaient les productions de la terre jusqu’à l’entrée de Gaza, près de la Méditerranées, ne laissant rien de tout ce qui était nécessaire à la vie, ni brebis, ni bœufs, ni ânes. Dans leur angoisse, les enfants d’Israël s’adressèrent à l’Eternel, qui leur envoya d’abord un prophète pour leur prêcher la pénitence. Ensuite, l’ange de Jehova apparut à Gédéon sous un chêne qui était à Ephra, dans la tribu de Manassé. Gédéon battait le blé, non dans l’aire découverte comme il est d’usage en Orient, mais dans le pressoir ; il craignait que les Madianite ne vinssent le surprendre, lui enlever son grain, l’emmener lui-même, et peut-être le mettre à mort. L’ange le salue, disant : Jehova est avec toi, ô le plus vaillant des hommes ! Mais Gédéon lui répondit : De grâce, mon seigneur, si Jehova est avec nous, pourquoi donc tout cela nous arrive-t-il ? Où sont les merveilles que nos pères nous ont racontées, disant : Jehova nous a tirés de l’Egypte ? Maintenant Jehova nous a abandonnés et livrés aux mains des Madianites. Jehova le regarda et dit : Va dans cette force dont es rempli, et tu sauveras Israël de la main de Madian. N’est-ce pas moi qui t’ai envoyé. De grâce, ô Adonaï, répondit Gédéon, comment sauverai-je Israël ? Voici, ma famille est la dernière de Manassé, et moi je suis le dernier de la maison de mon père. Mais Jehova lui dit : Parce que je serai avec toi, et tu frapperas Madian comme un seul homme. Et Gédéon : Si j’ai trouvé grâce à vos yeux, faites-moi connaitre par un signe que c’est vous qui me parlez. Ne vous éloignez pas, jusqu’à ce que je retourne vers vous, apportant mon sacrifice, et que je le pose devant vous. Il répondit : J’attendrai ton retour. Gédéon entra donc chez lui, fit cuire un chevreau avec des pains sans levain d’une mesure de farine, plaça la chair dans une corbeille, et le jus de la chair dans un vase, et lui apporta tout sous le chêne, et le lui offrit. L’ange de Dieu lui dit : Prends la chair et les pains sans levain, mets-les sur cette pierre, et répands-y le jus. Gédéon l’ayant fait, l’ange de Jéhova étendit la verge qu’il tenait à la main, et avec l’extrémité, toucha la chair et les pains sans levain ; et aussitôt le feu sortit de la pierre et consuma la chair avec les pains ; et l’ange de Jéhova disparut de devant ses yeux.
Quand Gédéon vit que c’était l’ange de Jéhova, il dit : Hélas ! Adonaï-Jéhova, j’ai vu l’ange de Jéhova face à face ! Mais Jéhova lui dit : La paix soit avec toi ; ne crains point, tu ne mourras pas. Alors Gédéon éleva dans ce lieu même un autel à Jéhova, et l’appela Jéhova-la-Paix[2]. Cette nuit-là même l’Eternel lui dit : Prends un taureau de ton père et un autre de sept ans, et renverse l’autel de Baal qui est à ton père, et coupe le bois qui est auprès. Ensuite tu bâtiras un autel à Jéhova, ton Dieu, sur le sommet du rocher, et, quand il sera prêt, tu prendras le second taureau et tu l’offriras en holocauste avec le bois que tu auras coupé. Gédéon prit donc dix hommes de ses serviteurs, et fut comme l’Eternel lui avait commandé. Mais il craignit de le faire pendant le jour, à cause de la maison de son père et des habitants de la ville, et il s’exécuta la nuit. Lors donc que les habitants se furent levés au matin, voilà que l’autel de Baal était détruit, le bocage coupé, et le second taureau offert sur l’autel qui venait d’être élevé. Et l’un disait à l’autre : qui a fait cela ? Et comme ils cherchaient et s’informaient, on leur disait : C’est Gédéon, fils de Joas, qui l’a fait. Ils dirent alors à Joas : Fais venir ici ton fils, afin qu’il meure, parce qu’il a détruit l’autel de Baal, et qu’il en a coupé le bocage. Mais Joas répondit à tous ceux qui l’entouraient : Est-ce à vous de prendre la défense de Baal ? Est-ce à vous de le sauver ? Quiconque prendra sa défense, mourra ce matin. S’il est Dieu, qu’il se venge lui-même de qui a détruit son autel. Dès ce jour, Gédéon fut appelé Jérobaal, se venge Baal, à cause de cette parole de Joas : Se venge Baal lui-même de qui a détruit son autel[3]. Cependant tout les Madianites, les Amalécites et les fils de l’Orient se rassemblèrent, et, ayant passé le Jourdain, vinrent camper dans la vallée de Jezraël. Alors l’esprit de Jéhova revêtit Gédéon, qui, sonnant la trompette, convoqua toute la maison d’Abiéser, dont son père était le chef, afin qu’elle le suivit. Il envoya aussi des messagers dans tout le reste de la tribu de Manassé, qui le suivit, et d’autres dans les tribus d’Aser, de Zabulon, de Nephthali, qui virent à sa rencontre. Et Gédéon dit à Dieu : Si vous voulez sauver Israël par ma main, comme vous l’avez dit, je mettrai cette toison dans l’aire, et si la rosée est sur la toison et la sécheresse sur toute la terre, je connaitrai que vous sauverez Israël par ma main, selon que vous l’avez promis. Et il fut fait ainsi ; et Gédéon, se levant de grand matin, pressa la toison et remplit une coupe de la rosée qui en sortit. Et il dit encore à Dieu : Que votre colère ne s’allume pas contre moi, si je demande un second signe sur la toison. Je vous prie, que la toison seule demeure sèche, et que toute la terre soit trempée de rosée. Et Dieu fit en cette nuit comme il avait demandé : la toison seule demeura sèche, et la rosée tomba sur toute la terre.[4] Jérobaal, autrement Gédéon, se leva dès le point du jour, et tout le peuple avec lui, et il vint camper à la fontaine nommée Harad, en sorte qu’il avait l’armée des Madianites au septentrion, dans la vallée. Mais l’Eternel dit à Gédéon : Il y a trop de peuple avec toi pour que je livre Madian entre leurs mains. Israel pourrait se glorifier contre moi et dire : C’est ma main qui m’a sauvé. Publie donc aux oreilles du peuple : Quiconque est timide, qu’il s’en retourne et se retire de la montagne de Galaad. Et vingt-deux mille hommes s’en retournèrent, de sorte qu’il n’en resta que dix mille. Et l’Eternel dit à Gédéon : le peuple est encore trop nombreux ; mène-le près de l’eau, et là je l’éprouverai. Celui dont je te dirai qu’il aille avec toi, te suivra, et celui dont je te dirai qu’il n’aille point avec toi, ne te suivra point. Et lorsque le peuple fut venu en un lieu où il y avait de l’eau, l’Eternel dit à Gédéon : ceux qui, en passant, auront pris de l’eau dans leur main pour la lécher avec la langue, comme les chiens ont coutume de faire, mets-les d’un côté ; et d’un autre, ceux qui auront bu en courbant les genoux. Le nombre de ceux qui, prenant l’eau avec la main la portèrent à leur bouche, fut de trois cents ; tout le reste du peuple avait mis les genoux en terre pour boire. Et l’Eternel dit à Gédéon : c’est par ces trois cent hommes, qui ont pris l’eau avec la langue, que je vous sauverai et que je ferai tomber Madian en tes mains ; que le reste du peuple se retire chacun en son lieu.
Gédéon obéit, retint les trois vents hommes auprès de lui, pourvut sa petite armée de vivres, et prit des trompettes. Les Madianites étaient campés dans la vallée[5]. Cette nuit-là même l’Eternel lui dit : Lève-toi, et descends dans le camp, car je l’ai livré à ta main. Si tu crains d’y aller seul, que Phara, ton jeune homme, y aille avec toi. Lorsque tu auras entendu ce qu’ils disent, tu seras plus fort, et tu descendras avec plus d’assurance pour les attaquer. Gédéon descendit donc, et son jeune homme Phara, et il alla dans l’endroit du camp où étaient les gardes de l’armée. Or, les Madianites, les Amalécites et les fils de l’Orient étaient étendus dans la vallée comme une multitude de sauterelles, avec des chameaux aussi nombreux que le sable qui est sur le rivage de la mer. Lors donc que Gédéon se fut approché, il entendit un soldat qui racontait un songe à son camarade, disant : J’ai vu un songe : et voilà le bruit d’un pain d’orge cuit sous la cendre, qui roulait et descendait dans le camp de Madian. Il rencontra une tente, l’ébranla, la renversa de fond en comble et la jeta par terre. Son compagnon lui répondit : Cela n’est pas autre chose que l’épée de Gédéon, fils de Joas, Israélite. Dieu a livré en ses mains Madian et toute son armée. Gédéon ayant entendu le songe et son interprétation, adora, et retourna dans le camp d’Israel, et dit : Levez-vous, car l’Eternel a livré en nos mains le camp de Madian[6]. Il divisa les trois cents hommes en trois bandes, leur donna des trompettes à la main, et des vases de terre vides, avec des torches au milieu. Et il leur dit : Ayez les yeux sur moi, et faites comme je ferai. Quand je sonnerai la trompette, ainsi que tous ceux qui sont avec moi, vous qui entourez le camp des autres côtés, sonnez les trompettes aussi, et criez tous ensemble : Vive l’épée de Jéhova et de Gédéon ! Gédéon arriva de la sorte, et les cent hommes avec lui à une des extrémités du camp, où étaient les premières sentinelles : celles-ci réveillées, ils sonnèrent les trompettes et heurtèrent l’un contre l’autre les vases de terre qu’ils avaient à la main. Les trois bandes sonnèrent ainsi les trompettes à la fois, et brisèrent leurs vases. Tenant à la main gauche les flambeaux, et de la main droite les trompettes, ils sonnaient et criaient : Vive l’épée de Jéhova et de Gédéon ! Chacun demeurait à son poste autour du camp ennemi. Aussitôt tout le camp fut troublé : on poussait des cris, on prenait la fuite. Et pendant que les trois cents hommes continuaient à sonner de la trompette, l’Eternel tourna l’épée les uns contre les autres dans tout le camp ; l’armée s’enfuit jusqu’à Bethsetta, et jusqu’au bord d’Abel-Méhula, en Tebbath. Et les enfants d’Israel des tribus de Nephthali et d’Aser, et tous ceux de la tribu de Manassé, poursuivirent, en criant, les Madianites. Et Gédéon envoya des courriers dans toute la montagne d’Ephraim, disant : Descendez à la rencontre de Madian, et emparez-vous des eaux jusqu’à Bethbéra et jusqu’au Jourdain. Aussitôt tout Ephraïm, criant aux armes, s’empara des eaux jusqu’à Bethbéra et jusqu’au Jourdain. Ils prirent deux chefs des Madianites, Oreb et Zeb, les mirent à mort, l’un sur une pierre qui fut appelée, de son nom, la pierre d’Oreb, l’autre dans un pressoir nommé depuis le pressoir de Zeb, et continuèrent à poursuivre Madian, portant les têtes d’Oreb et de Zeb à Gédéon au-delà du Jourdain. [7]
Encore que les Ephraïmites eussent fondu avec tant de promptitude sur l’ennemi commun, après la victoire de Gédéon, ils se montraient néanmoins très-piqués de ce que celui-ci ne les avait point appelés quand il marcha contre les Madianites. Dans la bénédiction de Jacob, Ephraïm ayant été mis devant Manassé, l’ainé de naissance, les Ephraïmites étaient extrêmement jaloux de cette prérogative. Ils voyaient donc avec déput qu’un homme de la tribu moins privilégiée eut remporté, sans eux, une si éclatante victoire. Ils lui en firent de violents reproches ; mais il sut les apaiser par sa modestie. Qu’ai-je fait de comparable à ce que vous avez fait ? Une grappe d’Ephraïm ne vaut-elle pas mieux que toutes les vendanges d’Abiézer (c’était le nom de la famille de Gédéon) ? Dieu a livré en vos mains les princes de Madian, Oreb et Zeb ; qu’ai-je pu faire qui égalât ce que vous avez fait ? Cette réponse douce calma leur ressentiment. [8] Pour achever la victoire, Gédéon passa le Jourdain, et avec lui les trois cents hommes, toujours poursuivant l’ennemi malgré leur extrême lassitude. Arrivé à Soccoth, il dit aux habitants : Donnez, je vous prie, du pain au peuple qui est avec moi, parce qu’il n’en peut plus, et que je suis à poursuivre Zébée et Salmana, les rois de Madian. Mais les princes de Soccoth répondirent : Est-ce que la patte de Zébée et de Salmana est déjà dans ta main, pour que nous donnions du pain à ton armée ? Gédéon répliqua : Lorsque l’Eternel aura livré en mes mains Zébée et Salmana, je vous ferai briser le corps avec les ronces et les épines du désert. Montant de là à Phanuël, il fit la même demande aux habitants de ce lieu, lesquels lui répondirent comme avaient répondu les habitants de Soccoth. C’est pourquoi Gédéon leur dit : Lorsque je serai revenu en paix et victorieux, j’abattrai cette tour[9]. Or, Zébée et Salmana étaient à Carcar, avec environ quinze mille hommes. Il ne restait que cela de toute l’armée des fils de l’Orient ; cent vingt mille avaient péri, tous guerriers maniant le glaive. Et Gédéon, montant par la voie de ceux qui habitaient dans les tentes, du côté oriental de Nobé et de Jegbaa, frappa l’armée des ennemis, qui était en assurance et ne soupçonnait rien de funeste. Zébée et Salmana s’enfuirent ; et toute leur armée était troublée, Gédéon les poursuivit et les prit tous les deux. Puis, revenant du combat avant le lever du soleil, il prit un jeune homme de Succoth, l’interrogea sur les noms des princes et des anciens de la ville, et il écrivit les noms de soixante-dix-sept. Entré à Soccoth, il leur dit : Voici Zébée et Salmana, au sujet de qui vous m’avez insulté, disant : Est-ce que la patte de Zébée et de Salmana est déjà dans ta main, pour que nous donnions du pain à tes gens qui n’en peuvent plus ? Et il prit les anciens de la ville, et leur déchira le corps avec les épines et les ronces du désert. Il abattit aussi la tour de Phanuël et fit mourir les principaux du lieu. Après quoi il dit à Zébée et à Salmana : Comment étaient les hommes que vous avez tués au mont Thabor ? Ils répondirent : Ils étaient comme toi, et l’un d’eux était comme le fils d’un roi. C’étaient mes frères, reprit Gédéon, c’étaient les enfants de ma mère. Vive l’Eternel ! Si vous leur aviez sauvé la vie, je ne vous tuerais pas. Et il dit à Jéther, son fils ainé : Va, tue-les. Mais le jeune homme ne tira point son épée; il eut peur, parce qu’il était encore enfant. Zébée et Salmana dirent donc à Gédéon : Lève-toi et frappe-nous, car l’âge donne la force. Gédéon se leva et tua Zébée et Salmana. Et il prit les colliers et les croissants dont on avait paré le cou de leurs chameaux. [10] Alors les hommes d’Israel dirent à Gédéon : règne sur nous, toi, ton fils et le fils de ton fils, parce que tu nous a sauvés de la main de Madian.
Gédéon leur répondit : Je ne dominerai point sur vous, ni moi, ni mon fils. Jéhova sera votre maître. C’est ainsi que ce héros, déjà si grand par sa victoire, se montra plus grand encore, en refusant la couronne, et en la refusant par zèle pour la gloire de Jéhova, le Dieu d’Israel. Il demanda seulement les pendants d’oreilles qui se trouvaient parmi les dépouilles, et en fit faire un éphod à Ephra, probablement pour être un souvenir de la glorieuse victoire que le Seigneur lui avait accordée ; peut-être aussi comme un témoignage du sacerdoce extraordinaire que Dieu lui conféra temporairement, lorsqu’il lui commanda d’ériger un autel et d’y immoler un bœuf en holocauste. Mais, après sa mort, le peuple rendit à ce monument un culte superstitieux, comme il fit plus tard pour le serpent d’airain. Ce fut un malheur pour Gédéon et sa famille. Toutefois, aussi longtemps que Gédéon vécut, savoir, pendant quarante ans, la terre fut en repos. Il continua d’habiter la maison de son père, eut plusieurs femmes, et engendra soixante-dix fils. Il mourut dans une heureuse vieillesse et fut enseveli dans le sépulcre de Joas, son père, à Ephra.
Abbé René-François Rohrbacher, épopée de Gédéon in Histoire universelle de l’Eglise catholique, Tome 2, de 1424 à 588 avant Notre Seigneur Jésus-Christ, pp.36-42
[1] Juges 6 ;1-2
[2] Juges 6 ;3-24
[3] Juges 6 ;23-32
[4] Juges 6 ; 33-40
[5] Juges 7 ;1-8
[6] Juges 7 ;9-15
[7] Juges 7 ;16-25
[8] Juges 8 ;1-3
[9] Juges 8 ;4-9
[10] Juges 8 ;10-21