Saint Lubin naquit, sous le règne de Clovis, à la fin du V° siècle, près de Poitiers, dans une famille d’agriculteurs. Il gardait les bœufs de ses parents quand il rencontra un moine de Nouaillé, Novigile, auquel il demanda d’écrire les lettres de l’alphabet sur sa ceinture pour qu’il pût les apprendre. Ayant ainsi appris à lire et à écrire, encouragé par son père, il entra à l’abbaye de Ligugé dont il devint réglementaire et cellérier, tout en continuant à étudier, singulièrement la nuit où il voilait la fenêtre de sa cellule pour ne pas déranger le sommeil de ses frères.
Après huit ans de vie monastique, il obtint, sur les conseils du diacre Nileffus, la permission d’aller dans le Perche pour visiter le saint ermite Avite près duquel il rencontra le saint diacre Calais qui lui conseilla de ne pas s’attacher à une église particulière, ni d’entrer dans un petit monastère. Lubin conçut le projet d’imiter saint Avite en se retirant dans quelque solitude, mais le saint ermite lui conseilla d’attendre encore quelques temps dans un cloître avant de s’y résoudre. Lubin, sur la route du monastère de Lérins, rencontra un moine de cette abbaye qui le dissuada de s’y présenter et l’emmena à l’abbaye de Javoux, puis à l’abbaye de l’Ile-Barbe, près de Lyon, où il demeura cinq ans.
Quand les fils de Clovis eurent vaincu les Burgondes, leurs soldats envahirent l’abbaye de l’Ile-Barbe où Lubin était resté seul, avec un vieux moine. Il fut torturé et laissé pour mort par les pillards qui, sans succès, voulaient obtenir qu’il leur révélât où se trouvait le trésor de l’abbaye. Rétabli, il quitta le Lyonnais et, avec Eurphrone et Rustique, rencontrés sur la route, il revint se mettre sous la direction de saint Avite et fut le cellérier de la communauté. Après la mort de saint Avite (530), ils se retirèrent dans le désert de Charbonnières, dans la forêt de Montmirail, aux confins de la Beauce et du Maine où ils passèrent cinq ans.
L’évêque Ethérius de Chartres, connaissant la réputation de sainteté de Lubin qui avait miraculeusement arrêté un ouragan et un incendie, l’ordonna diacre et l’établit abbé du monastère de Brou où, devenu prêtre, il continuait à faire des miracles. En 536, le saint évêque d’Angers, Aubin, l’emmena avec lui pour visiter saint Césaire d’Arles ; de nouveau, Lubin fut attiré par l’abbaye de Lérins mais saint Césaire lui représentant qu’il n’avait pas le droit d’abandonner une communauté dont l’évêque lui avait confié la charge, il retourna à Broux.
A la mort de l’évêque Ethérius (544), Lubin fut, contre sa volonté, élu évêque de Chartres, avec le consentement du roi Childebert[1]. Quelques évêques objectaient que Lubin, ayant souffert pendant douze ans d’un cancer au nez, était resté quelque peu défiguré, le Roi et les Chartrains restèrent inébranlables dans leur choix mais durent recourir à la ruse pour triompher de la modestie de l’élu. On lui demanda d’envoyer un de ses moines digne de l’épiscopat et de l’accompagner ; il accepta volontiers et, quand ils furent arrivés à Chartres, les électeurs apprirent à Lubin que leur choix s’était porté sur lui. L’élu se récria, mais un moine lui raconta qu’il avait vu en songe, la nuit précédente, le sol de sa cellule couvert de noix dont l’écorce avait été enlevée, ce qui signifiait que, devenu évêque, Lubin s’empresserait de dépouiller l’écorce de son austérité pour donner à ses fidèles le doux nectar de la foi.
Saint Lubin fut un évêque attentif qui, après avoir organisé le service divin dans sa cathédrale confiée, dit-on, à soixante-douze chanoines, visita maintes fois son diocèse.
Un de ses biographes[2], le R.P. François Giry, dit que saint Lubin « réforma par ses soins plusieurs abus qui s’étaient glissés parmi le peuple qu’il porta à l’exacte observance des commandements de Dieu et de l’Eglise. Dans toutes ces glorieuses entreprises il fut merveilleusement assisté par saint Avite son maître, lequel quoique déjà dans la gloire, lui apparut souvent pour l’avertir des désordres de son clergé et pour lui prescrire la méthode qu’il devait tenir pour le gouverner saintement.
La grâce des santés rendit fort recommandable saint Lubin. il n’y eut en effet pont de malades dans son diocèse qu’il ne guérît par le crédit qu’il avait auprès de Dieu. Par sa seule prière il remit en santé un hydropique désespéré des médecins ; un aveugle qui avait perdu la vue depuis huit ans, la recouvra aussitôt qu’il se fut mis en oraison pour lui. une fille possédée du malin esprit fut délivrée en touchant avec foi le bord de son habit. Deux jeunes garçons possédés aussi du démon en furent garantis en usant d’un aliment que le saint avait béni. Il guérit encore par la prière et en la présence du roi Childebert plusieurs fébricitants et d’autres malades ; par le seul signe de la Croix, il éteignit un grand incendie qui s’était allumé dans Paris. Par ce même signe redoutable, il détourna de sa demeure et de toute la campagne voisine un horrible tourbillon qui ravageait les champs d’alentour. Le bréviaire de Chartres dit qu’il ressuscita une fille de Châteaudun et la rendit en pleine santé à Baudelin son père. Calès[3] , prêtre de Chartres, personnage d’une éminente sainteté, étant tombé fort malade, saint Lubin voulut lui rendre visite et, l’ayant trouvé en danger de sa vie, il lui administra lui-même l’Extrême-Onction ; mais notre saint connut bientôt après, par révélation, que le moribond avait reçu le double effet de ce sacrement : la santé du corps et de l’âme ; alors il lui prédit par un esprit prophétique que non seulement il relèverait de sa maladie, mais qu’il serait même son successeur. L’évènement répondit parfaitement à la prédiction, car Calès fut en effet élu évêque en la place de Lubin et gouverna son diocèse avec tant de sagesse, de prudence et de zèle qu’il mérita le titre de saint après douze ans de prélature.[4] »
Les sept dernières années de la vie de saint Lubin furent affligées d’une longue maladie qui ne l’empêcha pas de continuer ses visites pastorales ni de participer au cinquième concile d’Orléans (28 octobre 549) et au second concile de Paris (552). Il mourut le 14 mars 557 et fut inhumé dans l’église Saint-Martin du Val, dans les faubourgs de Chartres[5].
Pendant les guerres de religion, les protestants profanèrent son tombeau, brûlèrent ses ossements et dispersèrent les cendres au vent. La châsse de la cathédrale de Chartres où l’on conservait sa tête, fut détruite par les révolutionnaires, mais la relique fut épargnée et déposée plus tard dans l’église Saint-Nicolas de Blois. L’église de Blois qui lui était dédiée a disparu depuis de nombreux siècles, mais la rue où elle s’élevait a gardé son nom.
Saint Lubin qui est naturellement un des nombreux patrons de Chartres, est aussi celui de Pithiviers, de Suèvres et de la ville normande de Rouvray ; quatre communes portent encore son nom : Saint-Lubin-de-Cravant (Eure-et-Loir), Saint-Lubin-de-La-Haye (Eure-et-Loir), Saint-Lubin-des-Joncherets (Eure-et-Loir)[6] et Saint-Lubin-en-Vergonnois (Loir-et-Cher).
Se rappelant qu’il avait été cellérier, les taverniers chartrains lui ont dédié un vitrail où on l’a représenté béni par saint Avite (bas-côté nord de la cathédrale).
Les traditions parisiennes racontent qu’une année, pour les fêtes de Pâques, il aurait remplacé l’évêque de Paris nouvellement décédé ; il aurait logé à l’abbaye Saint-Laurent et c’est à cette occasion qu’il aurait éteint l’incendie dont on a parlé plus haut. L’église parisienne Saint-Séverin conservait des reliques de saint Lubin ; l’église Saint-Paul avait une chapelle et une confrérie pour les tapissiers qui lui était dédiées dès 1488 ; l’église Saint-Leufroy avait une confrérie de Saint-Lubin pour les ferronniers.
Aux confins du Vexin et du Beauvaisis, dans la commune d’Arronville, il existe un petit sanctuaire consacré à saint Lubin où l’on venait en pélerinage plonger les petits enfants pour leur donner force et santé. C’est là que Georges Cadoudal se cacha pour préparer son ultime tentative d’assassinat contre Bonaparte, entre Paris et la Malmaison.
Biographie de Saint Lubin par l’historien Christian-Philippe Chanut
[1] Childebert I° (495-558) était un des fils de Clovis et de sainte Clotilde. A la mort de Clovis (511), il eut Paris, les pays jusqu’à la Somme, les côtes de la Manche jusqu’à la Bretagne, Nantes et Angers. Il portait le tire de roi de Paris.
[2] François Giry, né à Paris le 15 septembre 1635, était le fils de Louis Giry, avocat général près les chambres d’amortissement et les francs-fiefs, qui fut un des premiers membres de l’Académie française. A dix-sept ans, il quitta furtivement sa famille pour le noviciat des minimes à Chaillot. Son père le fit ramener à la maison, mais restant inébranlable, il put revêtir l’habit religieux (19 novembre 1652) et prononcer ses vœux (30 novembre 1653). Destiné à l’enseignement, il fit deux soutenances publiques : la première à Amiens ; la seconde à Avignon, en présence du chapitre de son ordre et sous la présidence du cardinal-légat, lui valut le poste de maître des novices qu’il ne quitta que pour être provincial de l’Ordre des Minimes. Le P. Barré, qui avait apprécié les mérites de son ancien élève, le désigna avant de mourir (31 mai 1686) pour le remplacer comme directeur des écoles charitables du Saint-Enfant-Jésus. Le R.P. Giry mourut saintement le 20 novembre 1688. Prédicateur renommé, il fut aussi un grand directeur spirituel et un hagiographe réputé.
[3] Ce prêtre Calès est saint Chalactericus dont saint Fortunat de Poitiers fit l’épitaphe. Son nom suit, sur la liste épiscopale de Chartres, celui de saint Lubin et précède celui de Pappolus. Il mourut au plus tard en 573. Il assista au concile de Tours de 567 et à celui de Paris, entre 556 et 563. Fortunat qui l’appelle « l’espoir du clergé, le protecteur des veuves, le pain des pauvres », célèbre, en même temps que ses vertus, la beauté de son visage et son talent de chantre ; il nous apprend aussi qu’il mourut âgé seulement de trente-huit ans. Son sarcophage qui fut retrouvé vide lors de la démolition de 1’église des Saints-Serge-et-Bacche près de la cathédrale (1703), est aujourd’hui conservé dans la crypte de la cathédrale. On y lit une inscription primitive, constatant que Calétric mourut un 4 septembre.
[4] R.P. François Giry (1635-1688) : « La vie des saints dont on fait l’office au cours de l’année » (Paris, 1683).
[5] Le monastère de Saint-Martin-du-Val, situé dans un faubourg de Chartres, près de l’Eure, en amont de la ville, paraît occuper l’emplacement du premier cimetière chrétien de l’Eglise chartraine, c’est là que se trouvaient les plus anciennes sépultures épiscopales dont l’histoire ait gardé le souvenir, et l’on voit encore dans son église, rebâtie vers le commencement du XI° siècle, des sarcophages mérovingiens. Ce monastère passe pour avoir eu le titre d’abbaye. Vers le milieu du X° siècle, il fut donné à des clercs séculiers, et en 1128 il fut remis à l’abbaye de Marmoutier qui en fit un prieuré. En 1663, il fut acquis par les capucins, protégés par le chancelier Séguier, qui y restèrent jusqu’à la Révolution où ils n’étaient plus que 5 profès. C’est aujourd’hui un hospice, l’hôpital Saint-Brice. L’église romane a subi une restauration radicale au XIX° siècle ; les autres bâtiments datent de l’établissement des capucins.
[6] Entre Nonancourt et Tillières, l’église de Saint-Lubin-des-Joncherets, construite au XVI° siècle, a une nef lambrissée et des bas-côtés voûtés d’ogives aux belles clefs pendantes, de beaux vitraux renaissance, un lourd clocher à l’appreil en damier de brique et de pierre et un portail géminé. Elle contient la statue accoudée de marbre blanc du président de Grandmont que fit Nicolas Coustou.