Le Purgatoire est le lieu où les âmes des Justes, sorties de ce monde sans avoir suffisamment satisfait à la justice divine pour leurs fautes, achèvent de les expier avant d’être admises à jouir du bonheur éternel ; car il est de foi que rien de souillé ne saurait entrer dans le Ciel. Le dogme du Purgatoire est une des plus consolantes vérités de la Religion. Pour s’unir au second Adam [Jésus-Christ], notre esprit doit la croire comme toutes celles qu’il nous a révélées. Nous sommes naturellement portés à l’admettre. Il est si doux de penser que la mort ne brise point les liens qui nous unissent à nos frères, et que nous pouvons encore leur être utiles après qu’ils ont quitté la vie. Aussi les preuves que nous allons donner n’ont pas pour but de vaincre notre répugnance à croire cette vérité,mais d’affermir et de consoler notre foi en montrant qu’elle est bien fondée.
Commençons par exposer ce que nous devons croire sur le Purgatoire. L’Église catholique, assemblée au concile de Trente, nous enseigne à ce sujet quatre vérités. La première, qu’après la rémission de la coulpe du péché et de la peine éternelle, obtenue de Dieu dans le sacrement de Pénitence, il reste encore, ordinairement parlant, une peine temporelle à subir. La seconde, que, quand on n’y a pas satisfait en ce monde, on peut et on doit la subir après la mort dans le Purgatoire. La troisième, que les prières et les bonnes oeuvres des vivants peuvent être utiles aux morts, soulager et abréger leurs peines. La quatrième, que le sacrifice de la Messe est propitiatoire, qu’il a, par conséquent, la vertu d’effacer les péchés et de satisfaire à la justice divine pour les vivants et pour les morts.
C’est donc un article de foi qu’il y a un Purgatoire, et que nous pouvons, par nos prières, nos bonnes oeuvres et le saint sacrifice de la Messe, soulager les âmes qui achèvent de s’y purifier. Or, en professant cette touchante vérité, nous associons notre foi à la foi de tous les siècles, foi invariable parce qu’elle est fondée sur la parole même de Dieu, qui ne change point.
PREMIÈRE PREUVE DU PURGATOIRE. — L’Ancien Testament.
Plusieurs soldats, appartenant à l’armée de Judas Machabée, avaient, contre la défense de Dieu, enlevé dans les temples de Samnia des objets consacrés aux idoles, et les avaient cachés sous leurs habits au moment d’une bataille, où tous ces soldats perdirent la vie. Leur faute, qu’on regarda comme la cause de leur mort, fut découverte à l’instant où l’on allait les enterrer. Judas Machabée, croyant avoir lieu de penser, ou qu’ils n’avaient pas assez connu la loi pour comprendre la gravité de leur transgression, ou qu’ils s’en étaient repentis devant Dieu avant d’expirer, fit faire une quête et passer l’argent à Jérusalem, afin qu’on y offrît des sacrifices pour leurs péchés. Il considéra, dit l’Écriture, qu’une grande miséricorde est réservée à ceux qui meurent dans la piété. C’est donc une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés.
Ainsi, on croyait chez les Juifs qu’il était pieux et salutaire d’offrir des sacrifices pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leurs péchés. L’historien Josèphe nous indique assez que cette croyance se maintenait de son temps, lorsqu’il témoigne que les Juifs ne priaient point pour ceux qui s’étaient eux-mêmes privés de la vie. Or, ils ne priaient pas sans doute pour ceux qui étaient déjà dans le sein d’Abraham, où l’on n’avait nul besoin de prières, ni pour ceux qui seraient en Enfer, où les prières sont inutiles. Ils croyaient donc à un état mitoyen entre l’un et l’autre ; et cet état mitoyen nous l’appelons Purgatoire.
DEUXIÈME PREUVE. — Le Nouveau Testament.
Si l’usage d’offrir des sacrifices et de prier pour les morts, qui suppose la croyance du Purgatoire, n’était, comme le prétend Calvin, qu’une invention de Satan, comment se fait-il que Notre-Seigneur, le trouvant établi, n’en ait jamais désabusé les Juifs ? Comment n’a-t-il pas prémuni ses Disciples contre cette tradition illusoire, fausse et superstitieuse ? Bien plus, il savait que tous les Chrétiens la suivraient religieusement pendant des siècles ; qu’en renouvelant tous les jours le sacrifice de son corps et de son sang, ils en demanderaient ardemment l’application aux âmes souffrantes de leurs frères décédés ; il le savait et ne les prévient pas !
Que dis-je ? Il a lui-même recommandé cette pratique à ses Disciples et de sa parole infaillible confirmé leur foi au Purgatoire. Un jour il leur dit : « Si quelqu’un blasphème contre le Fils de l’homme, il pourra en obtenir le pardon ; mais s’il blasphème contre le Saint-Esprit, ce péché ne lui sera remis ni dans le siècle présent, ni dans le siècle futur. » Il y a donc des péchés qui sont remis dans le siècle futur, autrement l’expression du Sauveur ne signifierait rien. Or, comme le péché ne peut être remis dans le siècle futur, quant à la coulpe et à la peine éternelle, il peut donc y être remis quant à la peine temporelle. Mais cette rémission n’a pas lieu dans le Ciel, où rien de souillé ne saurait pénétrer, ni dans l’Enfer, où il n’y a plus de Rédemption.
Il y a donc entre le Ciel et l’Enfer un lieu mitoyen où cette rémission s’accomplit. Ce lieu, nous l’appelons Purgatoire.
TROISIÈME PREUVE. — La Tradition de l’Église catholique.
Non-seulement Notre-Seigneur a confirmé la foi des Apôtres au Purgatoire, approuvé et recommandé la pratique de prier pour les morts, il leur a ordonné de prêcher la même vérité, d’établir le même usage. Il le faut bien de toute nécessité, s’il est prouvé que les Apôtres aient instruit l’Église à prier pour les morts. Or, il en est ainsi. C’est un fait certain comme l’existence du soleil, que, depuis les Apôtres, l’Église n’a pas cessé d’offrir des prières et des sacrifices pour ses enfants décédés. Il serait long de rapporter ici tous les témoignages des Pères et des auteurs ecclésiastiques, qui établissent la perpétuité de ce touchant usage. Nous nous bornerons à quelques-uns. « Assemblez-vous, disent les Constitutions apostoliques, dans les cimetières, faites-y la lecture des livres sacrés, chantez-y des psaumes en l’honneur des martyrs et de tous les Saints et pour vos frères qui sont morts dans le Seigneur, et offrez ensuite l’Eucharistie. »
Tertullien, qui touchait de si près aux Apôtres, parle fréquemment de la prière pour les morts, et il dit que cet usage est fondé sur la tradition. Saint Cyprien, faisant allusion aux prières pour les morts, écrivit ces paroles remarquables : « Les Évêques, nos prédécesseurs, avaient déjà ordonné que nul de nos frères ne nommât, par testament, un ecclésiastique pour tuteur ou curateur, et que si quelqu’un le faisait, on ne priât point pour lui, et ou ne célébrât point le sacrifice pour le repos de son âme. »
La décision des Évêques antérieurs à saint Cyprien suppose la pratique établie de prier pour les morts, et par là nous indique l’apostolicité de son origine. La voici en toutes lettres dans saint Chrysostome : « Ce ne fut pas sans raison que les Apôtres ordonnèrent que, dans la célébration des mystères redoutables, il fût fait mémoire des défunts, car ils savaient combien il en revient aux morts d’utilité et de profit. Saint Augustin, qui a composé un traité sur nos devoirs envers les morts, où les prières pour eux reviennent sans cesse, s’exprime ainsi : « Les pompes funèbres, l’éclat qui les environne, la recherche somptueuse dans la structure des mausolées, sans être de la moindre ressource pour les défunts, peuvent bien offrir quelque sorte de consolation aux vivants. Mais ce dont il ne faut pas douter, c’est que les prières de l’Eglise, le saint sacrifice, les aumônes, ne leur portent du soulagement, et ne leur obtiennent d’être traités plus miséricordieusement qu’ils ne l’avaient mérité. L’Église universelle, instruite par la tradition de ses Pères, observe qu’à l’endroit du sacrifice où l’on fait mention des morts, on prie et on offre pour tous ceux qui sont décédés dans la communion du corps de Jésus-Christ. »
Dans son ouvrage contre les hérésies, le même Père range Aérius parmi les hérétiques, ainsi qu’avait fait avant lui saint Épiphane, pour avoir nié, contre la doctrine et la tradition de tous les temps, l’utilité de la prière pour les morts. L’un et l’autre nous témoignent ainsi qu’elle était regardée, dans l’Église, comme une des vérités révélées et connues par tradition apostolique.
Saint Isidore nous l’apprend en ces termes : « Parce que l’oblation du sacrifice et la prière pour le repos des fidèles qui sont morts, se font dans l’Eglise par toute la terre, nous croyons que ce sont les Apôtres qui nous ont laissé cette coutume par tradition. Or, l’Eglise l’observe en tout lieu. Il est certain que, si elle ne croyait pas que les fidèles pussent obtenir le pardon de leurs péchés, elle ne ferait pas des aumônes pour le soulagement de leurs âmes, et n’offrirait pas à Dieu le sacrifice pour eux. »
Enfin, saint Cyrille de Jérusalem, expliquant aux Fidèles l’usage de prier pour les morts, dit : « Nous prions pour nos pères et pour nos Évêques, et en général pour tous ceux d’entre nous qui sont sortis de cette vie, dans la ferme espérance qu’ils reçoivent un très grand soulagement des prières qu’on offre pour eux dans le saint et redoutable sacrifice. »
Il serait inutile de multiplier les témoignages, puisque les chefs de la prétendue réforme avouent l’existence du Purgatoire et la perpétuité de la prière pour les morts. « Il y a plus de treize cents ans, disait Calvin, qu’il est passé en usage de prier pour les morts. » « Pour moi qui crois fortement, disait Luther,j’oserais même dire plus, moi qui sais que le Purgatoire existe, je suis facile à me persuader que l’Écriture en fait mention. Tout ce que je sais du Purgatoire, c’est que les âmes y souffrent et peuvent être soulagées par nos oeuvres et par nos prières. »
QUATRIÈME PREUVE. — Tradition des sectes séparées de L’Église.
Les liturgies de la plupart des sectes que nous allons citer, bien qu’elles n’aient été écrites qu’au quatrième siècle, datent cependant du temps des Apôtres. Voici de quelle manière s’exprime la liturgie des Nestoriens du Malabar : « Souvenons-nous de nos pères, de nos frères, des fidèles qui sont sortis de ce monde dans la foi orthodoxe ; prions le Seigneur de les absoudre, de leur remettre leurs péchés, leurs prévarications, de les rendre dignes de partager la félicité éternelle avec les justes qui se sont conformés à la volonté divine. »
La liturgie des Nestoriens chaldéens : « Recevez cette oblation, ô mon Dieu !… pour tous ceux qui pleurent, qui sont malades, qui souffrent dans l’oppression, les calamités, les infirmités, et pour tous les trépassés que la mort a séparés de nous… Pardonnez les délits et les péchés de ceux qui sont morts ; nous vous le demandons par votre grâce et vos miséricordes éternelles. »
La liturgie des Arméniens offre de très belles prières pour les vivants et pour les morts en général. Le Diacre, s’adressant à tous les Fidèles, s’écrie : « Nous demandons qu’il soit fait mention, dans ce sacrifice, de tous les Fidèles en général, hommes et femmes, jeunes et vieux, qui sont morts avec la foi en Jésus-Christ. — Souvenez-vous, Seigneur, et ayez pitié d’eux » répond le choeur. — Le Prêtre seul : « Donnez-leur le repos, la lumière et une place parmi vos Saints dans votre règne céleste, et faites qu’ils soient dignes de votre miséricorde. »
La liturgie des Grecs contient cette recommandation pour les morts : « Nous vous offrons aussi, pour le repos et la délivrance de l’âme de votre serviteur, afin qu’elle soit dans le lieu lumineux où il n’y a ni douleur ni gémissement, et que vous la fassiez reposer, ô Seigneur notre Dieu ! au lieu où brille la lumière de votre face. »
La liturgie d’Alexandrie, ou des Coptes jacobites, fait commémoration des morts en ces termes : «Souvenez-vous, Seigneur, de tous ceux qui se sont endormis et ont fini leurs jours dans le sacerdoce, comme aussi de tout l’ordre des laïques. Daignez, Seigneur, accorder le repos à leurs âmes, dans le sein d’Abraham, Isaac et Jacob ; introduisez-les dans le Paradis de délices, dans ce séjour d’où sont bannis la douleur, la tristesse et les soupirs du coeur, et où brille la lumière de vos Saints. » Les mêmes voeux, les mêmes prières se trouvent dans les liturgies des autres sectes séparées de l’Eglise, telles que les sectes des Abyssins, des Syriens, etc.
C’est donc un fait évident, et toutes les liturgies de la terre en font foi, que, depuis les temps apostoliques, non-seulement les Chrétiens de l’Église catholique, mais aussi ceux des communions séparées, ont récité, et qu’ils récitent encore des prières pour les morts dans la célébration des saints mystères. Or, ce concours unanime de tous les Chrétiens, cette uniformité de toutes les liturgies, supposent nécessairement une origine commune, également reconnue des amis et des ennemis, des Catholiques et des Dissidents ; une autorité plus sacrée, aux yeux des hérétiques, que celle de l’Église à laquelle ils refusaient de se soumettre ; une autorité enfin qu’il est impossible de concevoir et de trouver ailleurs que dans l’enseignement des Apôtres. C’est donc à leur enseignement et à celui de leur divin Maître, qu’il faut rapporter l’usage universel de prier pour les morts, la croyance de l’utilité de ces prières, et celle du Purgatoire qui en est inséparable.
CINQUIÈME PREUVE. — La tradition des Païens.
Le dogme du Purgatoire est une de ces vérités essentielles qui appartiennent à la révélation primitive, et que la tradition de nos premiers parents a fait passer chez tous les peuples de la terre. Platon distingue parmi les morts les justes qui jouissent d’un bonheur éternel, les méchants qui subissent des supplices également éternels, et les malheureux dont les péchés sont guérissables, et qui ne sont punis que pour devenir meilleurs : ce qui est conforme à la croyance des Juifs et des Chrétiens catholiques. On trouve la même doctrine dans Virgile.
Suivant saint Justin et Tertullien, les anciens Païens offraient des sacrifices pour les morts, et employaient certains rites expiatoires pour les rétablir dans leur première innocence. Comme on ignorait le sort de chacun de ceux qui quittaient la vie, on priait généralement pour tous. Dans les billets qu’on envoyait pour annoncer le décès de quelqu’un, on ne manquait pas d’y faire son éloge, afin d’engager à prier pour lui. Il y avait une liturgie et des formules de prières pour les morts. On invoquait les Saints en leur faveur, comme le prouvent diverses inscriptions gravées sur des tombeaux. En voici quelques-unes : « Ames célestes, venez à son aide ; que les dieux te soient propices ! » « Mânes très-saints, je vous recommande mon époux ; daignez lui être indulgents. » Tous les peuples païens de l’Orient et de l’Occident ont eu des usages semblables.
Ainsi, les Païens, les Juifs et les Chrétiens s’accordent à reconnaître le dogme du Purgatoire : toutes les nations de la terre et tous les siècles répètent à leur manière : « C’est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. » Or, nous le demandons au protestant et à l’impie : Qui êtes-vous pour rejeter une croyance aussi générale et aussi constante ? Qu’avez-vous à opposer à la foi du monde entier ?
SIXIÈME PREUVE. — La raison.
Si, à tant d’autorités, il n’était pas superflu d’ajouter une nouvelle preuve, nous la tirerions de l’idée que l’Ecriture nous donne de la justice de Dieu, en nous disant que Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. Nous demandons s’il est juste qu’un pécheur, qui a vécu dans le désordre pendant toute sa vie, qui se convertit cependant à la mort, et qui est rétabli dans l’état de grâce par une pénitence sincère, soit aussi abondamment récompensé et jouisse aussi promptement du bonheur éternel, qu’un juste, qui a persévéré toute sa vie dans la pratique de la vertu et qui meurt dans les sentiments d’un parfait amour pour Dieu. Jamais ce plan de justice divine n’entra dans un esprit sensé.
Ajoutons que, si l’erreur ne fut jamais utile, le dogme du Purgatoire est certainement une grande vérité. En effet, le Sauveur, en confirmant, et l’Eglise, en conservant avec tant de soin ce dogme précieux et le touchant usage de prier pour les morts, a contribué plus qu’on ne pense à entretenir parmi les vivants la charité, garantie de toutes les vertus et base de la paix publique. Il est bien digne de remarque que la charité, qui est l’âme du Christianisme, diminue parmi les vivants à mesure qu’elle s’éteint à l’égard des morts.
L’usage de prier pour eux nous rappelle un tendre souvenir de nos parents et de nos bienfaiteurs, nous inspire du respect pour leurs dernières volontés. Il contribue à l’union des familles, il en rappelle les membres dispersés sur le tombeau de leurs pères, leur remet en mémoire des faits et des leçons qui intéressent leur bonheur. Souvent il les réconcilie, on est bien près de s’aimer quand on pleure ensemble ; enfin, il amortit en nous la fièvre des passions, en nous rappelant le néant de tout ce qui n’est pas Dieu. Résister au penchant le plus sacré de la nature, méconnaître l’esprit du Christianisme, fouler aux pieds la tradition la plus universelle et la plus respectable : voilà ce qu’ont fait les hérétiques et les impies, en combattant, en détruisant ce pieux usage.
Mgr Gaume – Catéchisme de persévérance (1889)