Le langage des Droits de l’Homme, enraciné comme il est aujourd’hui dans la subjectivité séparée, n’a nul besoin d’avancer des raisons qui au contraire affaibliraient sa cause.
Un nouveau droit est justifié dès l’instant qu’il est réclamé, car seul le sujet du droit est juge de son droit et que l’Etat est chargé de garantir son droit. C’est pourquoi l’opinion ne prend plus le temps de discuter de la validité du nouveau droit, mais tend à l’accorder précipitamment, elle a pris l’habitude de reconnaitre des droits qui dédaignent de donner leur raison.
L’empiètement de l’état des droits, sur le gouvernement représentatif, la substitution des droits subjectifs, supposés évidents aux raisons communes, toujours contestables, ont appauvri la conversation civique. A quoi bon proposer une mesure commune, portant sur le commun, puisqu’elle rencontrera l’opposition probablement victorieuse d’un droit subjectif ?
Chacun guettant l’occasion de se sentir offensé, l’indignation attend toute parole qui évoquerait une règle commune ou un droit du commun.
Le rétrécissement de la liberté d’opinion et d’expression que nous connaissons, n’est pas le fait d’une inflexion tyrannique de notre régime politique que quelques-uns voudraient nous imposer, ce rétrécissement résulte plutôt d’une dépolitisation générale de la vie civique à laquelle nous concourrons tous.
Chacun de nous, qui était ou voudrait encore être citoyen, agent et actif dans le commun, est tiré malgré lui vers la passivité, vers une préférence pour les affects qui le séparent. Comme si nous voulions obscurément revenir à l’état de nature, enfin libres et égaux et surtout séparés. L’article premier de la Déclaration des Droits de l’homme, autorise et encourage ce mouvement.
Pierre Manent, Conférence à l’université du Mans, « Liberté Illibérale », 27 Novembre 2022