Je crois remplir mon devoir, mes frères, en vous exposant chaque jour les leçons de l’Évangile, pour vous faire avancer dans la science et dans l’esprit de foi. Quoi de plus utile dans l’Église de Dieu, quoi de plus en harmonie avec les fonctions épiscopales, que de rappeler aux fidèles les enseignements divins et de les conduire par là au royaume des Cieux? Tel est le devoir que je m’efforce de remplir, quoique absent. Par mes, lettres, je me transporte au milieu de vous ; je vous parle, je vous instruis comme à l’ordinaire; je vous exhorte surtout à enraciner profondément la foi dans votre âme, afin de résister aux assauts de l’ennemi. Si je puis obtenir ce résultat, je ne me plaindrai plus de mon absence. Ce n’est pas assez pour nous de vous citer les paroles de l’Écriture, nous joignons à ces enseignements nos vœux et nos prières, afin que le Seigneur (169) vous ouvre le trésor de ses grâces et qu’il vous donne la force d’accomplir ses préceptes. C’est un grand mal de connaître la volonté du Seigneur et de ne pas la mettre en pratique.
- Exhortation à la pudeur
L’exhortation la plus pressante que je puisse vous adresser, — car, avant toutes choses, je désire votre perfection, —c’est que vous soyez fidèles à pratiquer dans toute sa rigueur la vertu de chasteté. Je sais que vous le faites. Vous n’ignorez pas, en effet, que vous êtes le temple du Seigneur, les membres du Christ, la demeure de l’Esprit-Saint. Dieu vous appelle à l’espérance des biens éternels; il répand la foi dans votre âme; il vous prédestine au salut. Fils de Dieu, frères du Christ, l’Esprit-Saint se plaît à sanctifier vos âmes. Élevez-vous donc au-dessus de la chair, puisque le baptême vous adonné une nouvelle vie; attachez-vous à la chasteté, puisque le Christ lui-même l’a consacrée, et qu’en mourant pour vous, il l’a rendue en quelque sorte incorruptible.
L’apôtre appelle l’Église l’épouse du Christ; or, je vous le demande, quelle doit être la pudeur des membres de l’Église, puisqu’elle conserve sa virginité, même dans son union avec le céleste époux? Si les limites de ce traité ne s’y opposaient, je ferais de cette vertu un long panégyrique; mais à quoi bon, puisque, vous la pratiquez? En vous attachant à elle, vous rehaussez son éclat; en suivant ses maximes, vous faites son éloge; vous contribuez à sa gloire, elle contribue à la vôtre, et vous vous enrichissez mutuellement. Elle vous montre la règle des bonnes mœurs, vous lui offrez en échange vos œuvres saintes; vous manifestez par votre conduite toute l’étendue de sa puissance, elle manifeste, à son tour, la sainteté de vos désirs. Ainsi la loi divine forme un tout complet : les œuvres complètent les préceptes, les préceptes inspirent les œuvres; on dirait les membres d’un même corps.
- Éloge de cette vertu
La pudeur est l’honneur des corps, l’ornement des mœurs, la sainteté des sexes, le lien de la continence, la source de la (171) chasteté, la paix des ménages, le principe de la concorde. La pudeur ne cherche à plaire qu’à elle-même. Toujours modeste, elle est la mère de l’innocence. Elle se juge assez belle si elle peut déplaire au vice. Elle ne cherche pas les ornements; c’est en elle qu’elle les trouve. Elle nous rend agréables à Dieu et nous unit intimement au Christ. Elle apaise les combats de la chair et nous donne la paix véritable. Bienheureuse elle-même, elle communique sa félicité à ceux en qui elle réside : ses ennemis la contemplent avec respect, et ils l’admirent d’autant plus qu’ils ne peuvent la vaincre.
- L’impureté
Telle est la vertu que les hommes et les femmes doivent rechercher avec ardeur. Par suite, ils doivent détester l’impureté, sa mortelle ennemie : l’impureté, qui plonge dans la dégradation et dans la fange ceux qui suivent son impulsion funeste; l’impureté, qui s’attaque à la fois et au corps et à l’âme. Elle fait de l’homme un esclave, en détruisant en lui les bonnes mœurs. D’abord séduisante et, par cela même, plus nuisible, elle porte un coup mortel à la vertu et à la fortune. Que dis-je? Elle va jusqu’à répandre le sang. Elle enflamme toutes les passions; elle pervertit les consciences honnêtes. Mère de l’impénitence, fléau de l’avenir, opprobre des familles, elle brise les liens du sang, substitue aux enfants légitimes ses propres enfants et détourne en leur faveur des héritages qui deviennent ainsi le prix de la corruption. Souvent même, dans ses ardeurs insensées, elle renverse l’ordre de la nature et cherche, non le plaisir véritable, mais des débauches monstrueuses. Revenons à la pudeur. Le premier degré de cette vertu se trouve chez les vierges, le second chez les personnes qui vivent dans la continence, le troisième chez les personnes mariées. Quels que soient ses degrés elle est toujours glorieuse. Oui, c’est une gloire d’être fidèle dans le mariage, malgré tant de luttes. Vivre dans la continence est chose plus honorable encore, puisqu’on se prive des plaisirs (173) permis. Mais vivre dans la chasteté dès le sein de sa mère, pratiquer cette vertu jusqu’à la vieillesse, c’est le comble de la gloire. On dira peut-être qu’il y a plus de félicité à ignorer les exigences de la chair et plus de mérite à réprimer ses écarts, c’est possible. Mais sachons, avant tout, que cette vertu est un don de Dieu, quoiqu’elle se manifeste dans des membres humains.
- Obligation de pratiquer la chasteté
Le précepte de la pudeur est bien ancien, puisqu’il remonte à la, création de l’homme. Dieu donne un mari à la femme; il donne une femme à l’homme : Ils seront deux en une seule chair, dit le texte sacré (Genèse 2). Ainsi se trouve établie cette unité qui exclut toute séparation. De là ces paroles de l’apôtre : L‘homme est la tête de la femme. Peut-on mieux indiquer le précepte de la pudeur? Une tête ne peut convenir qu’à ses propres membres, comme les membres ne peuvent convenir qu’à leur tête ; ils sont unis ensemble par un lien mystérieux qui conserve l’œuvre divine dans son harmonieuse intégrité. Aussi l’apôtre ajoute : Celui qui aime son épouse s’aime lui-même. Personne ne hait son corps; au contraire, vous le nourrissez, vous le réchauffez; ainsi agit le Christ envers l’Église (Éph., V). Le précepte de la charité marche donc de pair avec celui de la pudeur, puisque les époux doivent aimer leurs épouses comme le Christ aime l’Église, et que les épouses doivent aimer leurs époux comme l’Église aime le Christ. Le Christ rendit hommage à la pudeur en disant que l’homme ne peut renvoyer son épouse que lorsqu’elle se rend coupable d’adultère. Il était écrit dans l’ancienne loi : Vous mettrez à mort les femmes adultères (Lev., XX). De là cette parole de l’apôtre : La volonté de Dieu est que vous évitiez la fornication (I Thess., IV). Il (175) ajoute qu’on ne doit pas unir les membres du Christ à ceux d’une courtisane (I Joan., VI). Il livre à Satan, sacrifiant ainsi la chair pour sauver l’âme, ceux qui foulent aux pieds la chasteté et se livrent à des vices, impurs (I Corint., V). D’après lui, les adultères sont exclus du royaume céleste (Eph., V). Tous les autres péchés, — c’est toujours l’apôtre qui parle, — se commettent en dehors du corps, l’individu adultère seul pèche contre son corps (4). Je passe sous silence les autres préceptes parce que vous les connaissez et que vous les mettez en pratique. J’ose espérer que vous ne vous plaindrez pas de son silence. Il est évident qu’il n’y a pas d’excuse pour l’homme adultère, puisqu’il pouvait, en prenant une épouse, satisfaire ses légitimes désirs.
- Excellence de la virginité
Les femmes mariées sont soumises à des lois auxquelles elles ne peuvent se soustraire Quant à la virginité, elle se place au-dessus de toutes les lois. Libre des soins du mariage, elle élève son front au-dessus des intérêts et des préoccupations d’ici-ci bas, et participe à l’auréole des anges. Je me trompe, elle leur est supérieure, car elle a remporté sur la nature une victoire que les anges ne connaissent pas. La virginité est l’avant-goût de la vie éternelle Elle n’a pas de sexe : c’est une enfance qui dure toujours. Maîtresse des passions, elle n’a pas d’enfants, elle dédaigne d’en avoir ; mais si elle est privée de la joie de les posséder, elle n’éprouve pas la douleur de les perdre. Heureuse d’éviter les angoisses de l’enfantement, plus heureuse d’éviter celle des funérailles. La virginité, c’est la liberté sans limites : pas de mari pour maître, pas de soins qui se disputent l’existence. Affranchie des liens du mariage, des convenances du monde, des soins des enfants, elle peut affronter sans crainte la persécution. (177)
- Exemples
Passons maintenant aux exemples : ils seront une prédication plus éloquente encore; car on cesse de douter de la vertu quand on la voit à l’œuvre. Vous rappelez-vous l’histoire de Joseph (Gen., XXXIII)? Cet enfant, né d’un père illustre, plus illustre lui-même par l’innocence de ses mœurs, est vendu à des marchands ismaélites. Un riche Égyptien le reçoit dans sa maison. Son obéissances sa douceur, son dévouement lui eurent bientôt acquis la faveur de son maître. L’épouse de Putiphar s’attacha également à lui, mais pour d’autres motifs. Un jour, elle cherche à corrompre son innocence. Elle emploie tour à tour les prières et les menaces; Joseph s’enfuit et laisse son vêtement entre les mains de cette femme criminelle. Furieuse de se voir dédaignée, elle a recours à la calomnie et Joseph est jeté dans les fers. Mais il n’était pas seul; Dieu veillait sur son innocence et il se préparait à le couronner. Retiré de sa prison, Joseph est placé, non plus comme esclave dans une maison où il avait couru tant de dangers, mais dans le palais du roi dont il devient premier ministre.
Les femmes peuvent méditer à leur tour l’exemple de Suzanne. Elle était fille d’Hélcias, épouse de Joachim; elle était bien belle, mais sa pureté la rendait plus belle encore. Elle n’employait, pour embellir ou plutôt pour dégrader son visage, aucun ornement étranger; dans sa simplicité elle ne connaissait d’autres charmes que la nature et la pudeur. Deux vieillards, oubliant et la crainte de Dieu et leurs cheveux blancs, s’éprirent pour elle d’un amour criminel et osèrent le lui manifester. Suzanne résiste. Alors, ils ont recours à la calomnie et l’accusent d’adultère. Que fera la sainte épouse de Joachim? Elle a recours à Dieu; elle lui confie sa pureté. Sa prière fut exaucée, et pendant que les deux vieillards subissaient le dernier-supplice, l’innocence de Suzanne était hautement reconnue. Ainsi, (179) deux fois victorieuse, elle échappe à la corruption et à la mort (Dan., XIII).
Je pourrais citer d’autres exemples ; ces deux suffisent. Suzanne et Joseph ne se laissent pas aveugler par leur noblesse qui trop souvent est un prétexte à la licence. Ils se dérobent aux attraits de la volupté; ils étouffent dans leurs cœurs les feux de la concupiscence; ils ne songent ni à la solitude, ni aux ténèbres, ni à l’impunité qui doivent envelopper leur crime. Ils résistent à la puissance qui renverse souvent les résolutions les plus fermes; ils sont insensibles aux récompenses, aux promesses, aux accusations, aux menaces, aux châtiments, à la mort même; pour eux, le seul malheur irréparable c’est de tomber des hauts sommets de la chasteté. Aussi Dieu se plut à les récompenser: l’un eut sa place près du trône des Pharaons, et l’autre, rentrée en grâce avec son époux, vit ses ennemis punis du dernier supplice. Tels sont les exemples que nous devons méditer jour et nuit.
- Nécessité de combattre
Le plus grand bonheur pour l’âme fidèle, c’est le sentiment secret de la pudeur conservée. La plus grande volupté c’est de vaincre la volupté. Est-il une victoire plus glorieuse que celle qu’on remporte sur ses passions ? Vaincre un ennemi, c’est montrer sa force, mais sur autrui, vaincre ses passions, c’est se montrer plus fort que soi-même. En renversant un ennemi, vous agissez au dehors, en réprimant vos passions, vous triomphez de votre cœur. Rien de plus difficile à vaincre que la volupté. Les autres maux ont en eux quelque chose qui repousse: la volupté flatte; quand elle prête ses armes à l’ennemi, la victoire est bien douteuse. Triomphez de vos passions et vous triompherez de toutes vos craintes, car ce sont les passions qui les produisent. Triomphez des passions et vous triompherez du péché. Triomphez des (181) passions et vous foulerez aux pieds l’ennemi du genre humain. Triomphez des passions et vous vous assurerez une paix éternelle et, ce qui est difficile même aux grandes âmes, la vraie liberté.
- Moyens de conserver la pudeur
Vous le voyez, mes frères, la pudeur doit être le sujet continuel de nos méditations. Cette pratique nous deviendra naturelle et facile. Comme toutes les grandes vertus, qui s’éloignent si on ne les retient, elle est au dedans de nous. N’allons pas la chercher au loin, il nous suffit de la développer. La pudeur, en effet, n’est rien autre chose que cette honnêteté de l’âme qui veille à la garde du corps afin que les sens, contenus dans les limites de l’honneur, conservent à la race humaine toute sa pureté. Si vous me demandez les moyens de conserver cette vertu, je vous indiquerai d’abord la réserve, la méditation des préceptes divins, l’esprit de foi, le respect de la religion. Je vous recommanderai ensuite d’éloigner de vos regards certains objets, surtout les sculptures immodestes; proscrivez aussi tous ces vains artifices qui n’ont d’autre effet que d’irriter les passions et de susciter en nous de nouveaux combats. Elle a perdu toute pudeur la femme qui cherche à produire sur ses semblables des impressions funestes, même en conservant la chasteté du corps. Loin de nous celles qui ne rehaussent leurs charmes que pour les livrer en pâture à des désirs impurs. Prendre trop de soin de sa beauté est une preuve certaine d’un esprit corrompu. Conservez A votre corps toute sa liberté et ne cherchez pas à faire violence à l’œuvre de Dieu. La femme qui ne peut se contenter des dons de la nature sera toujours malheureuse. Pourquoi changer la couleur de vos cheveux? Pourquoi ce fard qui s’étend à l’extrémité de vos yeux? Pourquoi tous ces artifices pour donner à votre visage un autre caractère? Pourquoi enfin consulter un miroir si vous désirez être vous-même? (183)
- Parure des femmes
La femme doit être chaste jusque dans sa parure; elle doit bannir de ses vêtements tout ce qui sent le mensonge ou plutôt l’adultère. N’est-ce pas corrompre les étoffes que d’y mêler des fils d’or ? A quoi sert un métal si rude au milieu des tissus délicats? N’est-ce pas pour servir d’ornement à des épaules immodestes et pour manifester au dehors la luxure qui dévore les âmes? Pourquoi ces pierres qui chargent votre cou et l’entourent comme un voile? Sans tenir compte du travail de l’artiste, la fortune d’un citoyen suffirait à peine à les acheter. Ce n’est pas là un ornement pour une femme ces objets ne servent qu’à faire ressortir ses défauts. Et ces anneaux énormes dont vous chargez vos doigts vous servent-ils à quelque chose, ou les portez-vous pour faire étalage de votre fortune? Chose étrange! Les femmes, si délicates pour tout, sont plus fortes que les hommes quand il faut se charger des insignes du vice. Pour revenir à mon sujet, cultivez la pudeur, mes frères bien-aimés, et renfermez vos désirs dans de justes limites. Le corps est pour nous un ennemi dangereux et la chair est toujours prête à tomber. La nature, qui cherche à réparer les ruines du genre humain, réveille l’affection dans vos âmes; mais la volupté se réveille à son tour et vous entraîne au crime.
Nous devons donc lutter de toutes nos forces contre les sollicitations de la chair, dont le démon se fait de terribles auxiliaires. Dociles au précepte de l’apôtre, imitons les œuvres du Christ et sachons nous soustraire à la tyrannie des sens. Que la volonté les domine. Châtions les penchants mauvais, si nous voulons les réduire. La honte du péché a en elle quelque chose de bas et de difforme; la pénitence elle-même, avec ses larmes, est la reconnaissance de crimes déjà commis. Conservez précieusement votre innocence. Ne fixez pas des regards curieux sur des visages étrangers. Que vos conversations soient courtes, (185) votre rire modéré; agir autrement serait la marque d’un caractère facile et relâché. Évitez même les contacts honnêtes. Pour triompher d’une chair vicieuse, il faut tout lui refuser. Quel honneur de vaincre le vice! Quelle honte d’être sous sa domination! Ajouterons-nous que l’adultère est beaucoup moins un plaisir qu’une honte? Quel charme peut-il y avoir dans un crime qui-tue à la fois et l’âme et la pudeur?
Que l’esprit émousse l’aiguillon de la chair, qu’il en réprime les mouvements. A lui de soumettre les membres à son empire; il en a reçu le droit. Conducteur habile, qu’il prenne en main les rênes de l’Évangile pour contenir dans de justes limites les passions emportées, de peur que le corps, semblable à un char dévoyé, ne l’entraîne avec lui dans l’abîme.
Mais, avant toutes choses, demandons à Dieu les grâces nécessaires. Celui qui a fait l’homme peut seul le secourir d’une manière efficace. — Je m’arrête, car je n’ai pas l’intention d’écrire un volume, mais une simple allocution. Lisez l’Écriture et complétez vous-même ce sujet. Adieu.