Frère Raymond Marie Rouleau, de l’Ordre des Frères Prêcheurs, Cardinal-Prêtre de la Sainte Église Romaine du titre de Saint-Pierre in Montorio, par la miséricorde de Dieu et la grâce du Siège Apostolique Archevêque de Québec. Au clergé séculier et régulier, aux communautés religieuses et aux fidèles de Notre diocèse, Salut et Bénédiction en Notre-Seigneur.
Nos très chers Frères,
Dès l’origine de l’Église, l’apôtre saint Paul rappelait aux chrétiens de son temps le grand devoir de la modestie : « Je veux, dit-il, que les femmes avec une tenue décente se parent honnêtement et sagement, non pas de vêtements coûteux, mais de bonnes œuvres, comme il sied à des femmes qui professent la crainte de Dieu. » « Mulieres in habita ornato cum verecundia et sobrietate ornantes se, etc. » (1 Tim. 2, 9). Cette direction de la première heure établissait pour toujours une distinction manifeste entre les disciples du Christ et les sectateurs des fausses divinités.
Aux fidèles elle enseignait à fuir les recherches et les extravagances du luxe pour observer dans l’habillement la mesure indiquée par une raison droite et prescrite par l’idéal de perfection apporté par le Christianisme. Si les excès dans la toilette et l’attache désordonnée à ces vanités sont une cause de péché et un principe de corruption sociale, la modestie qui s’accompagne d’humilité, de modération et de simplicité, est une source de vertus en même temps qu’un modèle achevé de bon goût et d’élégante distinction.
Au cours des siècles, l’écho des paroles inspirées de l’Apôtre a retenti sur les lèvres des Pontifes protestant contre le luxe déshonnête des femmes et les dangers qu’il entraîne. N’ont-ils pas répété, avec l’Esprit-Saint, que la femme forte, si elle se couvre de pourpre et de lin, est avant tout ornée d’une parure morale supérieure à ses vêtements d’apparat, puisqu’elle est revêtue de force et de mystique beauté. « Fortitudo et decor indumentum ejus [La force et la grâce sont sa parure] » (Prov. 31, 25).
À leur tour les plus grands docteurs ont enseigné qu’une parure sobre et modérée n’est point interdite aux femmes, mais que les habits doivent être les gardiens de la pudeur. Ce qui est donc proscrit, ce sont les ornements superflus, sans retenue, qui sont portés par un coupable désir de plaire. (S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, question169). « Ce qui était pour la nécessité, le monde l’a fait servir à la luxure », déclare hardiment saint Jean Chrysostome. Que de fois un saint Cyprien, un saint Ambroise, un saint Augustin n’ont-ils pas dénoncé les vêtements immodestes qui livrent les âmes aux étreintes du démon ! « L’idole de la vaine gloire et la passion du plaisir, voilà ce qui ruine la modestie et entraîne à l’impureté », s’écrie Bossuet.
À ces causes perpétuelles de corruption s’ajoute de nos jours, à la suite de la grande guerre, la frénésie des jouissances qui a enfiévré le monde. Il en est résulté un honteux déséquilibre des âmes, lequel a été encore aggravé par l’audace des modes féminines. Ne dirait-on pas qu’une conjuration des forces du mal s’est appliquée à introduire insolemment dans la société chrétienne les mœurs profanes et les habitudes voluptueuses ? Hélas ! Elles ont recruté trop de malheureuses victimes ! Il semble même que l’on ait parfois tenté de concilier ce qui est inconciliable : l’esprit du Christ et l’esprit de Satan. Quel lamentable spectacle pour des âmes vivant leur foi que le mélange sacrilège de pratiques pieuses et d’actes scandaleux qui s’étalait à leur regard ! Des chrétiennes, convives du Christ, le matin, à la Table sainte, s’affichaient, le soir, en esclaves du démon au théâtre et dans les réunions mondaines. Oublieuses de leurs engagements sacrés, elles obéissaient servilement aux maximes des ennemis de la Croix du Christ.
Si grand a été le mal que les Papes ont dû à plusieurs reprises dénoncer ces habitudes païennes et réprouver avec vigueur le scandale des vêtements adoptés par un grand nombre de femmes baptisées. Benoît XV écrivait « qu’il ne suffit pas à la femme d’être honnête et vertueuse, mais qu’elle doit encore le paraître dans sa toilette. » Comme son prédécesseur, le Souverain Pontife glorieusement régnant [Pie XI] a redit avec insistance aux mères et aux jeunes filles catholiques les préceptes de la morale de l’Évangile.
Enfin, une Instruction de la Sacrée Congrégation du Concile a été adressée dernièrement à tous les évêques de l’univers au sujet des modes indécentes. Nous vous en communiquons de nouveau aujourd’hui la teneur, Nos Très chers Frères. Chargée de maintenir la discipline dans le peuple fidèle, cette Congrégation romaine rappelle d’abord les règles fondamentales de la modestie et les efforts énergiques de Sa Sainteté Pie XI pour combattre la licence des habits féminins. Puis, au nom du Saint-Siège, elle exhorte les pasteurs, les prédicateurs, les parents et les éducateurs à lutter d’un commun effort contre l’indécence des toilettes, jusqu’à ce qu’une conception plus chrétienne ait réformé les mœurs et fait disparaître les égarements que nous déplorons de nos jours. L’Instruction indique enfin les sanctions à prendre dans les cas qui les exigeront. Le document pontifical prescrit donc aux curés et aux missionnaires de saisir toutes les occasions favorables d’avertir les femmes de la grave obligation qu’elles ont de ne porter que des vêtements modestes, et de renoncer à ces déshabillés aussi nuisibles à la santé du corps que funestes à la vertu des âmes (N° I).
En effet, n’ont-elles pas le devoir impérieux de fuir ces modes meurtrières, causes de tant de maladies souvent incurables, et de favoriser par une irréprochable tenue l’honnêteté des mœurs publiques ? Que les prédicateurs exposent avec puissance et clarté à leurs auditoires que les femmes sous prétexte d’élégance ne peuvent ni ruiner leurs forces, ni devenir une occasion de péché pour leur prochain ; qu’il y a telles mises extérieures qui sont vraiment provocantes, encore que celles qui les portent ne s’en rendent pas un compte bien exact. Mais averties avec autorité par la hiérarchie des pasteurs, depuis le Pape jusqu’au plus humble prêtre, elles ne pourront invoquer comme excuse de leur conduite l’ignorance des péchés qu’elles font commettre. Qu’elles sachent donc que le monde entier est sous la domination du Mauvais, et que par suite des engagements de leur baptême, elles ne peuvent favoriser son règne sans renier de solennelles promesses faites à la face du ciel et de la terre. Par conséquent, personne, quel que soit son sexe ou sa condition, ne peut, en semant le scandale, restreindre le règne de Jésus-Christ et étendre celui du démon.
Or, une longue expérience enseigne à l’Église que parmi les moyens d’attirer les hommes au péché et de causer leur ruine spirituelle, il faut placer les vêtements indécents. Que si l’on demande en quoi consiste un habit modeste et décent pour une chrétienne, on comprendra que c’est celui qui couvre la poitrine et les bras d’étoffes non transparentes, qui descend au moins à mi-jambe, et dont la coupe d’une ampleur convenable protège la pudeur en dissimulant les lignes du corps. Selon l’expression de Bossuet : « Il doit cacher fidèlement ce qu’il ne doit pas laisser paraître. » Ainsi, un vêtement qui par sa nature, ou dans la pensée de qui le porte, provoque les passions mauvaises, est un vêtement immodeste et doit être mis de côté par toute personne qui fait profession d’être disciple de Jésus-Christ.
De plus, l’Instruction pontificale demande que les prédicateurs rappellent ces points de doctrine en toutes les circonstances opportunes, spécialement à l’occasion des fêtes de la Très Sainte Vierge Marie ou des réunions des sociétés pieuses, comme celles des Dames de Sainte Anne, des Enfants de Marie ou des Tertiaires. Une prescription spéciale regarde la fête de l’Immaculée-Conception. En cette solennité les prêtres insisteront d’une façon toute particulière pour inculquer au peuple l’amour de la modestie chrétienne. Afin d’obtenir cette grâce de la bonté de Dieu par la médiation de la Vierge bénie, dans toutes les églises et chapelles du diocèse, après la messe principale on récitera les litanies de la Sainte Vierge, dites litanies de Lorette, et à la bénédiction du Très Saint Sacrement on chantera l’antienne Tota pulchra es, Maria, et macula originalis non est in Te.
Une autre recommandation est adressée aux pasteurs. Ils n’omettront pas d’éclairer les pères et mères de famille sur le devoir qui leur incombe d’interdire à leurs filles de porter des vêtements qui ne sont pas convenables (N° I). Le clergé ne peut être seul à combattre l’indécence des costumes modernes. Les parents ont aussi la très sérieuse obligation de donner à leurs enfants une solide éducation morale et religieuse. À eux de faire en sorte que dès leur bas âge, les filles en particulier reçoivent l’empreinte profonde de l’enseignement chrétien. N’est-il pas déplorable que des fillettes, par le port de robes trop courtes, soient comme habituées inconsciemment aux livrées de l’immodestie, et toutes préparées à devenir les esclaves des modes perverses !
Par vos paroles et vos exemples, parents chrétiens, engagez vos enfants au respect de la pudeur et à l’amour de la chasteté. Vos belles familles, efforcez-vous de les gouverner à l’imitation de la sainte Famille de Nazareth. En tous vos actes présentez à vos fils un modèle vivant et efficace des vertus qui sont l’ornement d’un baptisé (N° II). Les parents éloigneront leurs filles des exercices et des concours publics de gymnastique. Le développement du corps et de la santé ne va pas jusqu’à autoriser ces dangereuses exhibitions (N° III). Quant aux supérieures de nos institutions enseignantes, aux directrices d’écoles et à toutes les personnes qui président à l’éducation des filles, elles devront amener les enfants qui leur sont confiées à aimer et à pratiquer les règles de la modestie chrétienne dans le vêtement (N° IV).
Les religieuses ne pourront admettre ni tolérer dans leurs maisons, leurs classes, leurs oratoires et leurs salles de récréation, des élèves qui ne porteraient pas un costume décent. Que ces pieuses maîtresses s’efforcent de développer chez ces enfants le culte et le goût de la sainte pudeur (N° VI). La Sacrée Congrégation du Concile demande aussi de créer ou de perfectionner de pieuses associations de femmes dont le but moralisateur sera spécialement de lutter par la parole, l’exemple et l’action opportune, contre les répugnants abus introduits dans l’habillement des femmes, et de promouvoir avec la décence du costume la pureté des mœurs (N° VII).
Déjà parmi nous, N. T. C. F. [Nos très chers frères], la Ligue Catholique Féminine s’est occupée très efficacement de combattre le fléau des modes honteuses et de favoriser la modestie dans la mise extérieure. Ces cercles existent et accomplissent un travail méritoire autant qu’actif dans un bon nombre de paroisses. Il est à désirer qu’ils se multiplient dans tous les milieux où ils pourront exercer une salutaire influence : c’est dire que partout cette croisade de salubrité publique doit être organisée. Le Conseil de Vigilance du diocèse, établi selon les prescriptions de l’Encyclique Pascendi, devra désormais se réunir au moins une fois chaque année. Pas n’est besoin qu’une dénonciation lui ait été explicitement adressée, mais de lui-même, par exemple à l’époque de la première retraite ecclésiastique, il délibérera spécialement sur les moyens les plus aptes à promouvoir chez les femmes la modestie dans les vêtements (N° XI).
Enfin, dans le but d’assurer à ces mesures salutaires un résultat plus certain, chaque évêque adressera tous les trois ans à la susdite Congrégation du Concile un rapport sur la façon dont les femmes sont vêtues dans son diocèse, et sur les dispositions prises pour assurer l’accomplissement de la présente Instruction. Ce rapport sera joint à celui qui est prescrit par le Motu proprio Orbem Catholicum, du 21 juin 1923, sur l’instruction religieuse des fidèles (N° XII). Voici maintenant les sanctions précises portées par la Sacrée Congrégation contre les personnes qui n’obéiraient pas aux directions plus haut énumérées.
Dans les écoles, couvents et maisons d’éducation pour jeunes filles, les directrices, maîtresses ainsi que les religieuses ne recevront que des enfants honnêtement vêtues. Les élèves qui ne se conformeraient pas à ces règles seront renvoyées. Même les mères de ces enfants ne seront admises dans ces établissements que si elles portent une toilette décente (N° V). Dans les pieuses associations de femmes on n’admettra que des personnes habillées selon les exigences de la modestie chrétienne. Si quelques membres manquaient à leurs devoirs, après avertissement infructueux, on les renverrait de l’association (N° VIII). Les personnes qui ne porteraient pas un costume conforme aux règles de l’honnêteté, seront privées de la Sainte Communion, du droit d’être marraines dans les sacrements de Baptême et de Confirmation. Si le cas le comporte on leur interdira même l’entrée de l’église (N° IX).
Ces graves avertissements nous disent assez haut, N. T. C. F., l’estime de la sainte Église de Dieu pour la délicate vertu de modestie, et ses maternelles alarmes à la vue des dangers qui la menacent. Nous n’en doutons pas, votre filiale piété envers le Père commun de nos âmes, non moins que le sentiment surnaturel de votre devoir, éveillé sur ce point de discipline morale, vous engageront tous à vous conformer avec une édifiante fidélité aux préceptes qui nous rappellent des obligations parfois oubliées ou négligées, mais toujours existantes. Pasteurs et prédicateurs, pères et mères de famille, jeunes personnes et éducatrices, tous, d’un commun effort travailleront à faire disparaître un genre détestable de vêtement. Selon le conseil de saint Paul, nous qui avons été baptisés dans le Christ, nous devons revêtir le Christ et mépriser les désirs de la chair : « Induimini Dominum Jesum Christum et carnis curam ne feceritis in desidenis » (Rom. 13, 14).
Qu’est-ce donc que revêtir le Christ, si ce n’est imiter le Christ dans ses pensées, ses paroles et ses actions ? De même que le vêtement n’offre aux regards que sa forme et sa couleur, et enveloppe le corps qui disparaît sous ses plis, ainsi le vrai croyant, revêtu du Christ, ne présente plus à ses frères que des actes qui reflètent la beauté morale de son Maître et de son Rédempteur. Trêve donc de prétextes plus ou moins spécieux pour légitimer des usages que réprouve la conscience d’un catholique éclairé. Que l’on ait la fierté de s’arracher à la tyrannie des modes malsaines ; que l’on ait le courage d’exiger des couturiers et des fournisseurs des modèles qui respectent à la fois la vertu et le bon goût. À ce régime les âmes croîtront en grâce et en mérite. Notre peuple, fidèle à la loi de Dieu, grandira dans une atmosphère de lumière et de pureté capable de favoriser l’épanouissement des qualités que lui a prodiguées la munificence de l’Éternel.
Si l’on invoque pour persévérer dans le désordre dénoncé avec tant d’énergie, un certain souci de vogue ou de beauté ou encore des préoccupations financières, nous ne pouvons oublier qu’aucun progrès artistique ou matériel ne peut être une compensation suffisante pour le mal opéré par la décadence des mœurs. Sous un vernis plus ou moins brillant se cache alors le ver rongeur qui prépare la ruine prochaine des races amollies. Aux nations les plus vaillantes cette civilisation mensongère enlève rapidement les austères vertus qui sont le généreux ferment de leur force et de leur grandeur. De ce malheur Dieu préserve un peuple auquel II a témoigné tant de miséricorde, et qui Lui doit de demeurer à jamais dans son amour par l’observance de ses commandements ! Tel est le souhait qui s’échappe de Notre cœur pour Nos très chers Diocésains à rapproche des solennités de Noël et du Nouvel An, et que Nous confions aux bénédictions du doux Enfant, Sauveur du monde.
Sera le présent mandement lu le premier dimanche après sa réception, dans toutes les églises du diocèse et en chapitre dans les communautés religieuses.
Donné à Québec, sous Notre seing et le sceau du diocèse, en la fête de l’Immaculée-Conception, le huitième jour de décembre mil neuf cent trente.
Frère Raymond-Marie Rouleau, archevêque de Québec, « Sur les modes indécentes », mandement du 8 décembre 1930, paru dans Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, Supplément n°36, p. 41, 9e vol. de la nouvelle série, 13e vol. de la collection, Québec, 1925.