Toute l’Histoire trouve son centre dans le berceau de Bethléem. Tout ce qui n’y converge pas, irradie de là. L’Histoire est résumée toute entièrement dans l’histoire de l’Incarnation. Quelle étrange expérience que celle d’un Roi visitant Son peuple, et trouvant que ce dernier ne voulait pas de Lui ! Pourtant, en effet, tel fut ce qui arriva au Christ lors de Son passage sur Terre. « Il était dans le monde, et le monde par Lui a été fait, et le monde ne L‘a pas connu. Il vint chez Lui, et les siens ne l’ont pas reçu. »1 « Pas de place »2, Lui a-t-on dit, lorsqu’Il cherchait refuge. Oui, il y a deux mille ans de cela, il n’y avait pas de place pour Lui, et aujourd’hui encore, le monde dit encore « pas de place » et Jésus-Christ voit encore qu’Il n’est pas désiré.
On peut alors se demander pourquoi « le Verbe S’est fait chair » et pourquoi « Il habitat parmi nous », s’Il n’était pas désiré et s’Il ne put trouver de place parmi les siens ? Me demandez-vous pourquoi Lui, l’Infini, devint fini, pourquoi le Fils de Dieu devint le Fils de l’homme ; en un mot, pourquoi «le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous »3 ? C’est parce qu’il devait en être ainsi. Si nous ne voulions pas de Lui, Il nous voulait. Lui, le grand physicien, sait ce qu’il y en l’homme, et Il savait qu’en réalité, ce n’était ni les plaisirs, ni l’or, ni les palaces que l’homme désirait. Dieu était ce que l’homme désirait. Sa finalité étant Dieu, sa voie doit donc également être selon Dieu. « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie »4. Dieu vint pour visiter Son peuple, dit Zacharie, «pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix. »5
Oui ! Non seulement Jésus-Christ est le Roi de Gloire, mais il est également le Prince de la Paix. Au milieu de cette nuit paisible, l’Avènement était gardé par un comité d’anges, jusqu’aux bergers veillant sur leur troupeau. Puis, brisant le silence dans l’air nocturne de minuit, vint le message : « Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple une grande joie : il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. »6
Sur ce, tout le chœur des bandes angéliques éclaira l’obscurité de splendeur, entonnant l’hymne : « Gloire, dans les hauteurs, à Dieu! Et, sur terre, paix chez les hommes de bon vouloir ! »7 Dieu est venu visiter Son peuple, en commençant par visiter les plus humbles des humbles. Quelle vision cela devait être pour ces simples bergers au cœur modeste ! Et voici que ceux-ci s’exclamèrent : « Passons donc jusqu’à Bethléem, et voyons cet événement qui est arrivé, et que le Seigneur nous a fait connaître. »8 Et n’est-ce pas que nous reprenons leurs paroles dans le chorus de l’hymne chrétien, Venite Adoremus, « Allons, adorons ! »
Ainsi, à vous aussi mes amis, j’envoie cette invitation. En compagnie de ces nobles élus du Seigneur, allons chercher cette caverne creusée dans le roc. Délaissons tout orgueil intellectuel, ouvrons les yeux de la Foi et allons voir le grand signe révélé aux bambins et aux tout-petits ; un Divin Enfant emmailloté dans des langes et couché dans une mangeoire. Oui, dans une mangeoire empruntée, non aux hommes, mais aux animaux, au bœuf et à l’âne. O, merveille des merveilles ! O mystère des mystères ! Voici l’Ineffable, l’Omnipotent, l’Éternel, que les cieux ne peuvent contenir, contenu ici dans les proportions d’un bambin, étendu candidement parmi la paille de Son berceau-mangeoire ! C’est à juste titre que nous lisons dans la Sainte Écriture : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné; l’empire a été posé sur ses épaules, et on lui donne pour nom: Conseiller admirable, Dieu fort, Père éternel, Prince de la paix. »9
Prenons un instant afin de jeter un coup d’œil autour de nous et voyons quelle sorte de lieu l’Omnipotent choisit-Il pour Son premier lieu de repos sur terre. Son palais est une étable. Ses courtisans sont un bœuf et un âne ! Et quels sont les noms de Ses quatre amis les plus proches, qu’Il a choisi pour Ses intimes, tandis qu’Il séjourne sur terre ? Laissez-moi vous les présenter. Beaucoup d’entre vous ne les connaissent pas. Aucun d’entre eux n’est du vocable des plaisirs, des mondanités, mais au contraire, ils sont des noms communs parmi les humbles et les croyants. Ces quatre amis, si intimement associés avec le nom de Jésus sont l’Humilité, la Pauvreté, la Pureté et la Charité.
L’humilité : Ne S’est-Il pas rendu humble Lui-même en venant comme un petit enfant ? Ne S’est-Il pas, quelques temps plus tard, soumis à la loi de la circoncision ? Ne va-t-Il pas, pendant plus de trente ans, mener une vie discrète dans le plus discret village de Galilée en Palestine ? Et lorsqu’Il quitte son cher foyer pour cheminer dans les montagnes, n’allons-nous pas Le voir être tenté, comme nous pourrions l’être, par le diable ? Comme nous, n’aura-t-Il pas à échapper à la malice de l’ennemi et à la jalousie des faux amis ? Ah, et si vous voulez Le voir dans Son acte suprême d’humilité, voyez-Le S’accroupir devant l’archi-traître et laver le pied de celui [Judas Iscariote, ndt] qui s’empressera ensuite de commettre l’acte de trahison et qui finira par s’en suicider ! Et lorsque nous, qui professons être Ses disciples, nous observons cet épisode de Jésus S’agenouillant devant le traître, nous pourrions même nous sentir confus au point de ne pas savoir comment nous situer. « Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu’Il fût dans la condition de Dieu, Il n’a pas retenu avidement Son égalité avec Dieu ; mais Il S‘est anéanti Lui-même, en prenant la condition d’esclave, en Se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de Lui ; Il S’est abaissé Lui-même, Se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. »10 Il fit de l’humilité Son ami intime.
Mais la pauvreté n’est pas moins chère à Jésus que l’Humilité. Nous avons déjà vu la modestie de Son lieu de naissance ; mais même de là, Il sera vite expulsé et contraint de quitter Son propre pays d’élection pour celui de l’Égypte. Pauvreté ! Qui fut plus pauvre que Jésus-Christ ? Voyez-Le, plus tard, Se tenant jusqu’aux genoux dans les copeaux de bois, la sueur ruisselant de Son front. Il devait travailler afin d’aider à maintenir un toit au-dessus de Sa pauvre mère. Nazareth fut un luxe en comparaison à Son futur foyer, car lorsqu’Il entreprit Sa mission, la canopée des Cieux fut souvent le seul toit en-dessous duquel Il priait et dormait. « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des abris, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête »11 disait-Il Lui-même. Et quand ses compatriotes Lui trouvèrent un lit sur lequel agoniser et mourir, ce fut une croix de bois, avec une couronne d’épines comme oreiller, tandis que l’ardent soleil de midi brûlait dans ses blessures jusqu’à ce que la mort vint Le soulager. Ainsi, où que nous regardions, nous ne pouvons trouver une pauvreté telle quelle celle que Notre Seigneur eut à connaître. Pourquoi donc, même le pauvre peut réclamer sa tombe, mais pas Jésus-Christ, Qui fut dépouillé de tout ce qu’Il avait, ou plutôt aillais-je dire : de tout ce qu’Il était ; car ils le dépouillèrent de Ses vêtements, ils lui écorchèrent Sa peau et jusqu’à Sa chair ; et lorsqu’Il fût enterré, ce fût dans une tombe que Lui donna un ami. « Car vous savez la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, Qui pour vous S’est fait pauvre, de riche qu’Il était, afin de vous faire riches par Sa pauvreté. »12 La pauvreté fut Son amie jusqu’à la mort.
Encore une fois, voyez à quel point la pureté était chère à Jésus-Christ. Il est né d’une mère vierge, et Il choisit une vierge pour Son père adoptif, tandis que l’ami qu’Il prit dans Son intimité comme disciple bien-aimé était le vierge Jean. S’il se trouve des gens hors de la chrétienté pour nier la naissance virginale de Notre Divin Seigneur, peut-être croient-ils ainsi parce qu’avec eux, « les miracles ne se produisent pas ». Mécroire à la naissance immaculée revient à rejeter les Évangiles eux-mêmes, car il est écrit dans les quatre livres que Jésus est né d’une Mère vierge. Nous tenons cette certitude du rapport qu’en fit Saint Joseph, ainsi que la Très Sainte Vierge Marie. Ceux qui doutent de cela le font selon ce qu’ils appellent leurs principes ; car il s’agit en effet d’un miracle. Mais ce miracle n’est qu’un miracle parmi les innombrables autres qui constituent le miracle de l’Incarnation. […] La meilleure preuve de l’amour de Notre Seigneur pour la Pureté se trouve dans Son attitude de pitié et de compassion pour ceux qui, par le péché, ont perdu ce précieux et inestimable ami qu’est la Pureté. Par une manière très particulière, Jésus est l’ami des pécheurs, car Il est le Seul et Unique capable de les restaurer dans l’amitié de la Pureté après qu’ils l’aient perdue. « Il aima la Pureté »13 : la Pureté était l’amie de Son cœur.
Et maintenant, laissez-moi enfin vous introduire à un quatrième ami, inscrit au cœur même de Notre Sauveur : la Charité, ou, comme on peut aussi l’appeler, l’Amour. Qu’est ce qui dirigea le Dieu des Cieux sur terre ? C’est l’amour : «En effet, Dieu a tellement aimé le monde, qu’Il a donné Son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point mais ait la vie éternelle. »14 Pourquoi encourra-t-Il les humiliations, les privations et les souffrances ? Parce que le « Fils de Dieu m’a aimé et S’est livré Lui-Même pour moi. »15 Mais dites-moi, pourquoi S’est-Il livré au fouet, aux épines, aux clous et à la croix ? Parce que, « après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin »16. Oui, Jésus-Christ passa par la moindre mesure d’amour jusqu’à la consommation de celui-ci dans le sacrifice. C’est lorsqu’Il atteint cette dernière mesure dans Sa vie d’amour, c’est à dire en expirant sur la croix, que nous Le voyons les bras étendus, le cœur brisé, percé et répétant au monde : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »
A présent, laissez-moi vous poser une courte et simple question. Si Jésus-Christ devait venir nous visiter encore une fois, s’Il devait revenir parmi les Siens, devrions-nous encore écrire «et les siens ne l’ont pas reçu » ? Devrions-nous Lui dire encore, lorsqu’Il frappera à notre porte « Il n’y a pas de place ? ». J’ai peur que le Second avènement de Notre Seigneur ne trouve pas de meilleur accueil que le premier. Pourtant, Il est vraiment venu ! Le voici parmi nous : « au milieu de vous il y a quelqu’un que vous ne connaissez pas »17. Et voici que le monde crie encore : « Or ses concitoyens le haïssaient, et ils envoyèrent une députation derrière lui pour dire: Nous ne voulons pas de celui-là pour notre roi. »18 Les gens de ce monde ne L’aimaient, ni Lui, ni Ses amis : l’humilité, la pauvreté, la pureté et la charité. Mais détournons-nous plutôt de l’esprit de ce monde. Renonçons à toute ambition pour les choses temporelles et les choses des sens. Attachons-nous au Christ.
En ce Noël, essayons de renoncer à nous-mêmes, afin de faire place, dans l’hôtel de nos cœurs, pour Jésus-Christ. Écrasez la bête en vous, vos passions, agenouillez-vous et adorez. Invoquez les quatre royaux amis comme aides spirituels afin qu’ils ouvrent largement leurs portes et chantez à Dieu l’Hymne de l’Incarnation, Gloria in Excelsis ! Invitez-le dans vos foyers, retenez-Le pour toujours, offrez-Lui tout ce que vous avez et tout ce que vous êtes. Ne soyez pas avares en cadeaux. Présentez-Lui votre liberté, votre mémoire, votre volonté et tout votre cœur. Et de temps en temps, testez la réalité de votre amour pour Lui par votre dévotion à Ses quatre inséparables amis. Étudions leurs leçons, suivez-les, aimez-les, car, dans la mesure de notre amour pour Ses amis pendant notre séjour ici-bas, nous serons capables de jauger la place qu’il y a en nos cœurs pour Lui.
Père Bernard Vaughan, S.J., What of Today ?, Editions McBride, Nast & Co., New York, 1915. Traduction Fide Post. Nihil Obstat : J. N. Strassmaier, S.J., Censor Deputatus. Imprimatur : EDM: Canonicus Surmont, D.D., Vicarius Generalis.
1Jean 1;10-11
2Luc 2;7
3Jean 1;14
4Jean 14;6
5Jean 1;79
6Luc 2;10-11
7Luc 2;14
8Luc 2;15
9Esaïe 9;5
10Phillipiens 2;5-8
11Matthieu 8;20
122 Corinthiens 8;9
13Matthieu 5;8
14Jean 3;16
15Galates 2;20
16Jean 13;1
17Jean 1;26
18Luc 19;14