Le mariage peut être parfois difficile, même quand l’époux et l’épouse sont très pieux : alors, combien peut-être il l’être davantage lorsque le couple est ce qu’on appellerait des « pauvres gens » ? Certes, ici, nous parlons du cas de deux personnes qui sont portées à tout instant par le dogme, la morale et les sacrement. Mais supposons maintenant que l’un des deux dans le couple soit basiquement un païen, ou même un baptisé qui s’est tellement éloigné de son baptême qu’on ne peut rien reconnaître de chrétien chez lui : quelle immense et grave source de souffrances ! Tel était la souffrance d’Elizabeth Leseur, qui certes, était heureuse dans sa vie maritale dans la mesure où son mari lui était tout à fait loyal et fidèle, mais qui était malheureuse dans son foyer, car là où il devait y avoir union fondamentale, il y avait désunion, séparation : l’épouse étant chrétienne au point de vivre une puissante intimité avec Dieu, et le mari, se satisfaisant entièrement de la vie superficielle de la « société ».
Même quand les âmes vivent dans la plus forte harmonie, il y aura toujours, même dans les meilleurs foyers, une cause cachée de souffrance mutuelle, qu’un auteur a appellé « l’éternelle tragédie de la famille, du au fait que l’homme et la femme représentent deux mondes distincts dont les limites sont invariables ». Pour la femme, l’amour est tout. Pour l’homme, l’amour n’est qu’une partie de la vie. Toute la vie de la femme tourne autour de l’intériorité du foyer, à moins que les circonstances ne la contraigne à travailler pour gagner de l’argent. L’homme, pendant la journée, vit davantage au dehors du foyer qu’à l’intérieur : il a ses affaires, son bureau, son magasin, sa boutique, son atelier. Exception faite des premiers temps de la vie maritale, il est souvent plus absorbé par quelque ambition que par l’amour. Dans tous les cas, il n’est pas seulement travaillé par son coeur, mais aussi, plus souvent par sa raison.
Parfois, l’épouse souffre de ne pas suffisamment avoir son mari pour elle. Et le mari souffre, car il s’en veut de ne pas se dévouer suffisamment à sa femme. Au-delà de toutes les autres causes de tragédies, se trouve ce drame. Il faut en effet une grande vertu aux deux époux, pour qu’ils acceptent la souffrance qu’ils causent sans le vouloir à l’autre. »
—Christ in the Home (Nihil Obstat and Imprimatur, 1951).
Commentaire d’OC :
Pauline Élisabeth Arrighi est née le 16 octobre 1886 à Paris, fille aînée d’Antoine Arrighi, membre du Conseil général de la Corse et de Gatienne Picard. Marié à Felix Leseur le 31 juillet 1889, esprit rationaliste, athée et anticlérical, président d’un journal radical, ami et proche de nombreuses personnalités de la IIIe République laïc. ils formèrent, malgré leur divergence spirituelle, un couple uni et très amoureux l’un de l’autre, connu pour leur intelligence et leur grande culture, recevant de nombreux hommes politiques et artistes dans leur appartement. Tombant gravement malade peu de temps après son mariage, Elisabeth décide alors de consacrer les souffrances liées à sa maladie à la conversion des âmes qu’elle croise dans le milieu anti-clérical qu’elle côtoie, et au premier d’entre elle, celle de son mari.
Elle meurt à Paris le 3 mai 1914. Découvrant alors ses écrits intimes, son mari Felix, après avoir décidé de publier ses écrits, s’engage sur la voie de la conversion, puis rentre dans l’ordre dominicain pour y devenir le père Leseur. Dès la première publication de son journal par les soins de son mari Félix, le succès fut immédiat, vint-six mille exemplaires en 1918, pour atteindre cent-cinquante mille au cours de la décennie suivante et dépasser aujourd’hui plusieurs centaines de mille, de plus d’une trentaine de traduction.
- 1936 : ouverture de la cause en béatification et canonisation.
- 27 juin 1955 : approbation des écrits d’Elisabeth Leseur par la commission des théologiens de la Congrégation pour les causes des saints.
Lettre sur la souffrance, Elizabeth Leseur, publiée à Paris, 1921 :
Je crois que la souffrance a été accordée par Dieu à l’homme dans une grande pensée d’amour et de miséricorde. Je crois que Jésus-Christ a transformé, sanctifié, presque divinisé la souffrance. Je crois que la souffrance est pour l’âme la grande ouvrière de rédemption et de sanctification. Je crois que la souffrance est féconde, autant et parfois plus que nos paroles et nos œuvres, et que les heures de la Passion du Christ ont été plus puissantes pour nous et plus grandes devant le Père que les années même de sa prédication et son activité terrestre. Je crois qu’il circule parmi les âmes, celles d’ici-bas, celles qui expient, celles qui ont atteint la vraie vie, une vaste et incessant courant fait de toutes ces âmes, et que nos plus infimes douleurs, nos plus légers efforts peuvent atteindre par l’action divine des âmes chères ou lointaines et leur apporter la lumière, la paix et la sainteté. Je crois que dans l’Éternité nous retrouverons les bien-aimés qui ont connu et aimé la Croix, et que leurs souffrances et les nôtres se perdront dans l’infini de l’Amour divin et dans les joies de la définitive réunion. Je crois que Dieu est amour et que la souffrance est, dans sa main, le moyen que prend son amour pour nous transformer et nous sauver.