Monseigneur Leonid Ivanovich Feodorov est né à Saint Petersburg dans une famille membre de l’église orthodoxe russe. Ses parents tenaient un modeste restaurant. Sa mère Lyuba tint à lui fournir une éducation religieuse dans la foi russe. Pourtant, alors qu’il est un élève brillant, diplômé du Lycée impérial en 1901 et entre l’année suivant à l’académique ecclésiastique orthodoxe russe avec le projet de devenir prêtre, ses études des pères de l’Eglise et des premiers conciles œcuméniques le font conclure à la vérité du catholicisme romain. Il quitte l’académie orthodoxe de Moscou la même année et se rend à Rome où il se convertit officiellement le 31 Juin en l’Eglise de Gésù après avoir reçu la bénédiction du Métropolite catholique d’Ukraine Andrey Sheptytsky.
Il étudie ensuite au séminaire Jésuite d’Anagni. Tout ceci se passe dans le secret par crainte de la police secrète du Tsar et Leonid doit vivre à Rome sous un pseudonyme astucieux : « Leonidas Pierre ». Ses études complétées et bien qu’il put offrir la sainte messe dans le rite romain, Leonid Feodorov obtint du pape Saint Pie X les plus vifs encouragements pour qu’il officie selon le rite byzantin et soit placé sous l’autorité du métropolite de Lviv, Monseigneur Sheptytsky.
C’est finalement à Constantinople que Leonid est ordonné prêtre le 25 mars 1911 par l’évêque Mikhaïl Mirov. Il devient en 1913 frère studide (m.S.u.) dans la congrégation fondée quelques années plus tôt par le métropolite Sheptytsky, basée sur la règle de Saint Théodore le Studite.
Première déportation par le régime tsariste
Peu avant le déclenchement de la 1ere guerre mondiale, le père Feodorov se rendit dans sa ville natale, à Sainte Petersburg, où il est presqu’aussitôt arrêté et déporté à Tobolsk, en Sibérie, par l’Okhrana. Le service de renseignement le considère désormais comme une menace potentielle pour la sureté de l’état. Le père Feodorov est paradoxalement relâché par le gouvernement provisoire suite à la révolution de février 1917. Il se rend alors au synode qui se tient cette année-là à Saint Petersburg sous la présidence du Métropolite Sheptytsky qui nomme le hiéromoine Féodorov exarque pour toute l’Eglise catholique de rite byzantin en Russie.
La persécution sous le régime bolchévique
Mission périlleuse, car la persécution anti-religieuse des révolutionnaires bolchéviques commence. Le nouveau régime commença par interdire au clergé –catholique comme schismatique- de prêcher la religion aux jeunes gens de moins de 18 ans, on saisit le mobilier sacré et des comités laïcs nommés « dvatsatskiis » étaient imposés dans les paroisses afin de contrôler et surveiller l’œuvre pastorale des prêtres. Au printemps 1923, l’exarque Leonid, l’archevêque Jan Cieplak, Monseigneur Konstanty Budkiewicz, ainsi que 14 prêtres et un laïc furent convoqués par un tribunal bolchévique à Moscou afin de répondre d’accusations d’activités contre-révolutionnaire. Un journaliste du New-York Herald, Francis McCullagh, était présent à ce procès et décrivit ainsi l’ambiance du quatrième jour d’audience :
[Le procureur communiste] Krylenko, qui commença à parler à 6 heures 10, apparut d’abord relativement modéré, mais se lança rapidement dans une attaque générale contre la religion, et contre l’Eglise catholique en particulier. ‘L’Eglise catholique, déclara-t-il, a toujours exploité la classe ouvrière ». En exigeant la condamnation à mort de l’archevêque Cieplak, il dit : « Toute la duplicité jésuite avec laquelle vous avez tenté de vous défendre ne vous sauvera pas de la peine de mort. Aucun pape du Vatican ne vous sauvera maintenant… ». Poursuivant sa longue diatribe, le procureur rouge exultait plus encore sa furie antireligieuse. ‘Il n’y a pas d’autre loi ici que la loi soviétique, hurla-t-il encore, et selon cette loi, vous devez mourir. – Cp. Francis McCullagh, The Bolshevik persecution of Christianity, E.P. Dutton and co. 1924, p.221
Au cours de ce procès, jugé par avance, l’exarque Feodorov frappa les esprits par son éloquence et sa prestance, comme le rapporte l’étude de Christopher Zugger :
Vêtu de sa soutane noire typiquement russe, avec sa longue barbe christique, Feodorov était l’homme des Narod, issu du petit peuple ordinaire de Russie au nom duquel cette révolution avait été conduite. Sa seule présence démontait le cliché russe du catholicisme comme « religion polonaise ». Sa plaidoirie, véritable témoignage de la spiritualité russe et de l’histoire de l’Eglise dans ce pays, évoquait le meilleur de la chrétienté russe. Il fit aussi comprendre qu’il n’y avait pas d’organisation catholique secrète, mais que la loi de l’Eglise devait être obéie, que l’éducation religieuse, la célébration de la Messe et l’administration des Sacrement du mariage et du baptême devaient être conférés. Feodorov fit enfin remarquer que l’Eglise, accusée par le procureur communiste d’affamer les pauvres, nourrissait plus de 120000 enfants par jours, à l’instant même. – Christopher Zugger, The forgotten : catholics of the soviet empire from Lenin through Stalin, Syracuse University Press, 2001, p. 182
Dans le livre d’Antoine Wenger « Catholiques en Russie, d’après les archives du KGB 1920-1960 (DDB 1998), sont également rapportée ces paroles superbes de l’athlète de la foi :
Toute ma vie est basée sur deux principes: l’amour de la patrie que je vénère, et l’amour de l’Eglise, à laquelle je me suis uni. Il m’est indifférent que l’on me condamne à dix ans d’emprisonnement ou à être fusillé, car je suis un catholique fanatique. Depuis le temps où je me suis uni à l’Eglise catholique, mon unique tâche a été de rapprocher ma patrie de cette Eglise que je crois la vraie Eglise.
Le verdict du procès condamna à mort l’archevêque Cieplak et Monseigneur Budkiewicz, tandis que l’exarque et les autres accusés furent condamnés à dix ans d’internement au goulag de Solovki. Là, l’exarque et la petite communauté de fidèles s’organisèrent et obtinrent de leurs gardiens de pouvoir célébrer la messe tous les dimanches dans une chapelle restaurée. En 1929, le père Leonid fut finalement envoyé dans la ville de Pinega dans l’oblast d’Arkhangelsk où il fut affecté à la fabrication de charbon de bois.
En aout 1929, l’éxarque fut transféré dans la petite ville de Pinega dans l’oblast d’Arkhangel’sk, dans l’intérieur du pays, où il enseignait aux enfants et aux adultes, partageant ses vivres de la Croix-Rouge avec les nécessiteux qu’il croisait. Le prêtre orthodoxe de Pinega écrivit que : « Le père Leonid est un danger, non seulement pour les Bolchéviques, mais pour toute l’église orthodoxe. Si il reste plus longtemps parmi nous, je doute être en mesure de pouvoir retenir mes fidèles, car il m’a moi-même secoué dans mes plus profondes convictions. De tels succès ne pouvaient etre tolérés, et le patriarche Tikhon intervint, provoquant (peut-être sans en avoir eu l’intention) l’attention des autorités soviétiques sur l’exarque. – Christopher Zugger, The forgotten : catholics of the soviet empire from Lenin through Stalin, Syracuse University Press, 2001, P.168
Finalement transféré une nouvelle fois en 1932, il est envoyé à Vyatska dans l’Oural (renommée Kirov par les communistes et surnommée la cité des exilés) où il est domicilié dans la maison d’un ouvrier ferroviaire, un certain Andrei Kalinin. Épuisé par la rigueur de ces dix années d’emprisonnement, atteint d’asthme, de rhumatismes et de douleurs au ventre, il expira le 7 mars 1935 à l’âge de 55 ans. On lit le témoignage de la famille Kalinin dans le livre de M. Zugger :
Alors que son corps reposait dans la maison, une colombe blanche entra par une porte ouverte, et vola en cercles au dessus de sa dépouille, puis s’en alla : les Kalinin furent si frappés de cela qu’ils en firent mention dans leur rapport à la Croix-Rouge.
Pour information :
MICHEL NIQUEUX
JULIA DANZAS
De la cour impériale au bagne rouge
Éd. des Syrtes, février 2020
22 € – 400 pages Format 140 X 225 mm Collection Littérature étrangère ISBN : 9782940628513
Une femme russe du XXe siècle au destin hors du commun, oubliée par l’histoire
L’AUTEUR
Professeur émérite de l’Université de Caen-Normandie, Michel Niqueux a notamment publié l’Anthologie de la pen- sée russe de Karamzine à Poutine (L’Occident vu de Russie), et (avec Leonid Heller) une Histoire de l’utopie en Russie (PUF, 1995)
LE LIVRE
Petite-nièce du témoin du duel de Pouchkine née à Athènes en 1879, demoiselle d’honneur de la dernière im- pératrice de Russie, sous-officier d’un escadron de Cosaques pendant la guerre, bibliothécaire et moniale catholique ; collaboratrice de Gorki, arrêtée en 1923 pour ses activités religieuses, condamnée à dix ans de camp (Irkoutsk, Solovki), libérée en 1932 grâce à Gorki et sa femme, rachetée au gouvernement soviétique par son frère pour pouvoir émigrer en France, où elle publie Bagne rouge ; tertiaire dominicaine et cheville ouvrière de la revue Russie et Chrétienté (Istina), Julia Danzas part en 1939 pour Rome, où elle meurt en 1942 : en vérité, elle connut, selon son expression, une « existence extraordinairement mouvementée ».
Plusieurs importants écrits inédits sont publiés dans cet ouvrage pionnier : deux journaux intimes, des autobiographies, une étude sur Raspoutine et l’impératrice.
Comparable sur bien des points à ceux d’Etty Hillesum, de Margarete Buber-Neumann ou d’Édith Stein, son itinéraire éclaire d’une lumière sombre, non seulement l’histoire de la Russie entre tsarisme et communisme, mais aussi et surtout l’histoire religieuse de la Russie en révolution.
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Destin extraordinaire d’une femme russe en Russie et en Europe.
Demoiselle d’honneur de la dernière impératrice de Russie, sous-officier, moniale catholique, détenue du Goulag, historienne de la pensée religieuse.
• Bagne rouge est le premier témoignage d’une femme sur le Goulag, publié en 1935.
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Une biographie passionnante rédigée à partir de nombreuses archives provenant de Russie, d’Italie et de France.
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