L’entraînement en vue de la bataille des idées a, lui aussi, son parcours du combattant. Et l’un des principaux obstacles de ce parcours intellectuel, c’est la critique externe de l’Écriture Sainte. L’adversaire a semé le doute quant à l’authenticité de nos Livres Saints, quant à l’historicité des Évangiles, quant à l’interprétation traditionnelle des Écritures. Cet obstacle, il faut que nos combattants spirituels s’entraînent à le franchir lestement. Ils doivent être rompus à dynamiter la critique intempestive. Or, nul écrivain contemporain n’est plus apte à détruire ce type de doute que le bénédictin Dom de Monléon. Nous devons nous familiariser avec ses livres. Il faut que ses raisonnements solides deviennent chez nous des habitudes d’esprit. Cet entraînement fait partie de notre plus élémentaire culture religieuse. Dom Jean de Monléon est mort le 19 avril 1981, le jour de Pâques. Puisse-t-il avoir achevé au ciel ce jour de “la Solennité des solennités”. Quel beau présage de salut pour ce moine si attentif aux harmonies providentielles.
Ses familiers savent bien que, sous les apparences d’un homme effacé, il fut un grand combatif et même un lutteur acharné. Il avait le goût de tenir tête et le tempérament pour y arriver, et cela avec d’autant plus de détermination qu’il ne défendait pas sa propre doctrine, mais celle des Docteurs, des scolastiques et du Magistère. Il éprouvait, dit-on, une véritable délectation intellectuelle à s’incliner devant le consentement unanime des Pères qui était pour lui le grand critère de la certitude. La soumission au Magistère de l’Église lui était naturelle, mais aussi agréable. Telle est la vraie sagesse de l’esprit dans la Religion révélée. Aussi, souffrait-il beaucoup de la crise actuelle où l’on voit précisément le Magistère hésiter, concéder, reculer, défaillir. Il en souffrait, mais il ne s’en scandalisait pas, puisqu’une telle crise est prédite, par le Divin Maître lui-même, comme annonciatrice du triomphe final.
On fait également remarquer, chez ses amis, l’extraordinaire puissance de travail de ce bénédictin, sa prodigieuse mémoire, sa connaissance de toute la littérature ecclésiastique, surtout évidemment en matière d’interprétation des Écritures. Il était aussi à l’aise dans Raban Maur que dans Rupert de Deutz ou Hugues de Saint Victor. Sa vaste information lui permettait de mesurer la faiblesse de la plupart des commentateurs de l’école moderne, faiblesse masquée seulement par un appareil scientifique impressionnant, vu de loin, mais sans portée réelle. Relisons Monléon ; il appartient à notre parcours du combattant. Tous ses livres, même les premiers, sont formateurs :
« Les Instruments de la Perfection » et « Les Douze degrés de l’Humilité » sont des commentaires sur la règle de saint Benoît.
« Le Christ-Roi » est un petit ouvrage vite lu, mais fort dense, qui dit peu et contient beaucoup.
« Le Cantique des Cantiques » et « Les Noces de Cana » forment une série un peu à part, ce qui ne veut pas dire sans intérêt.
« Le Sens Mystique de l’Apocalypse » appartient à la même série, mais il est peut-être un peu plus difficile à suivre. Mais quelle agréable façon d’apprendre la Religion !
Le « Commentaire sur Jonas » expose, dans sa magistrale préface, la méthode exégétique classique qui est celle de Dom de Monléon. On voit sans peine qu’elle surpasse, à la fois en exactitude et en profondeur, la critique externe, dite scientifique, aujourd’hui à la mode. C’est un véritable réconfort pour l’intelligence des chrétiens. Un saint, qui est aussi un savant, nous venge, par sa science même, des savants fourbes et bavards qui allaient répétant : «La maison est à nous, c’est à vous d’en sortir». Monléon reste en vainqueur dans la maison, et nous avec.
Puis viennent les grands succès de Dom de Monléon : « Les Patriarches » — « Moïse » — « Josué et les juges » — « Daniel » — « Le Roi David ». Il n’y a pas de meilleurs antidotes que ces ouvrages-là pour résister à la contamination insidieuse du doute moderniste. Véritablement, c’est l’esprit de la Sainte Église qui y souffle “fortiter suaviterque” avec force et douceur.
Et le style ! On peut promettre un vrai régal. La langue est simple et élégante, raffinée sans être précieuse, classique sans lourdeur. Tout est exact, la forme comme le fond.
Jean Vaquié, Lecture et Tradition, n° 90, juillet-août 1981