On répète assez souvent que la France aurait pu, aux débuts de l’occupation d’Alger, imposer sa religion aux indigènes, que ceux-ci s’y attendaient. Quittons ce genre d’expressions : « Aux débuts ». A quelle date exacte, à quelles années ou mois précis, applique-t-on ce terme ? Et cet autre « les indigènes ». Quels ? Qu’on donne un nom de ville, de tribu, de douar. Ceux qui possèdent quelque connaissance de l’histoire de la conquête et qui, d’autre part, ont pénétré l’âme arabe seront bien embarrassés pour confirmer par des documents positifs et authentiques cette thèse. Car, j’imagine qu’on doit exiger plus que les premiers « récits édifiants » de l’enthousiaste abbé Suchet, écrits après un séjour à Constantine de…deux semaines.
Il n’en demeure, hélas, pas moins hors de doute que l’impiété affichée ou supposée de trop nombreux européens, aux commencements et encore aujourd’hui, ainsi que la politique musulmane de certains gouvernements toute d’ignorance ou de sectarisme, ont retardé, très retardé, l’heure de la fusion des âmes. On a confirmé, comme à dessein, dans ses préjugés antichrétiens, le peuple arabe, et on y a enfoncé, comme malgré elles, les tribus berbères. Oui, un très grand pas aurait été fait, si la population européenne d’Afrique et les pouvoirs publics avaient soutenu par tous les moyens dont ils disposent – la force, la pression mise à part- les missionnaires dans leur œuvre de persuasion et de charité. Que n’aurait-on déjà obtenu, par exemple, par la multiplication, sur tous les points du territoire algérien, tunisien et marocain, de villages arabo-chrétiens, comme ceux que créa, à ses frais, le cardinal Lavigerie ?
Mais au lieu de cela – sans revenir sur le scandale de certains européens sans foi ni loi et sur les désastreuses manœuvres de l’anticléricalisme- quels nombreux changements de régime depuis 1830 ! Combien de courants politiques opposés ! Quelle versatilité surtout, dans l’opinion française, quelle ignorance trop souvent des questions africaines, quel incurable sentimentalisme romantique ! Or, c’est l’opinion, cette « grand empérière », pour parler comme Montaigne, qui conduit ou égare les peuples modernes et leurs dirigeants, tant en matière coloniale qu’en matière religieuse. Quant à elle, c’est à travers l’idéologie du 20e siècle qu’elle aperçoit et juge ces enfants du 13e siècle que sont, une élite mise à part, tous nos arabes. Voilà comment tant de législateurs, de publicistes, tant de romanciers et d’artistes, sans oublier, hélas, de nombreux colons et fonctionnaires ont envisagé l’avenir de nos sujets musulmans et celui de notre empire nord-africain, bien plus avec la sensiblerie et l’imagination qu’avec le cœur et la raison.
Mgr. Alexandre Pons, La Nouvelle Eglise d’Afrique ou le catholicisme en Algérie, en Tunisie et au Maroc depuis 1830, Librairie Louis Namura, Tunis, 1930, pp. 328-329
[…] après avoir littéralement soutenu l’islam dans la colonie d’Algérie et après avoir ouvert les vannes de l’immigration incontrôlée, la République antichrétienne […]