Introduction du traducteur : Nous partageons plusieurs extraits de l’œuvre exégétique de cet auguste évêque anglais, tout en rappelant aux lecteurs que certaines conclusions tirées par l’auteur de sont pas forcément à croire au pied de la lettre. Mgr. Walmesley fût surtout réputé comme un grand prélat et comme grand spécialiste des mathématiques. Il n’était pas à proprement parler un expert en sciences bibliques, bien que son livre eut un grand succès après sa mort. L’intérêt majeur de cet ouvrage est l’impeccable acuité des faits historiques qu’il rapporte, une qualité qui fut louée par tous. En revanche, il faut lui excuser certaines conclusions ou prédictions qu’il pensait pouvoir tirer, en certains endroits du livre (il pensait que l’Empire musulman serait considerable à notre époque, ou que le protestantisme disparaît au 19e siècle). Pour le reste, les analyses historiques et même la présentation générale des sept âges de l’Eglise sont tout à fait orthodoxes, et présentent même, bien souvent, des observations étonnantes.
Histoire du 4e âge de l’Eglise – Ouverture du 4e sceau.
Et quand il eut ouvert le quatrième sceau, j’entendis la voix du quatrième animal qui disait : « Viens! » Et je vis paraître un cheval de couleur pâle. Celui qui le montait se nommait la Mort, et l’Enfer le suivait. On leur donna pouvoir sur la quatrième partie de la terre, pour faire tuer par l’épée, par la famine, par la mortalité et par les bêtes féroces de la terre. – Apocalypse 6 ;7-8
Ce sceau nous fait découvrir l’avènement de l’empire mahométan, lequel ouvre le 4e âge de l’Eglise, vers l’année 622. Ici apparait à Saint Jean un cheval pâle, et celui qui le monte est appelé la mort. La couleur pale du cheval s’accorde de façon évidente avec le personnage du cavalier, qui est décrit comme représentant la mort. Ce cavalier est Mohamed et ses successeurs. Il est appelé mort, parce qu’il ravage l’humanité, comme cela est dit ici, par l’épée, par la famine, par la mort et avec les bêtes de la terre. Nous savons bien, par l’Histoire, que la destruction et la désolation que rependirent dans le monde Mahomet et ses partisans, les sarracénes, et après eux les turcs. Leurs deux premiers instruments de destruction, ici nommés, sont l’épée et la famine ou la dévastation. L’épée caractérisait le second âge du second sceau, et la famine caractérisait le troisième âge du troisième sceau. Leur troisième instrument destructeur est représentée comme étant la mort, un terme général, qui, dans ce contexte, signifie la poudre du canon, et cela caractérise le quatrième âge, car cette invention remonte à cette période et fut employée par les mahométans d’une façon terrible. Enfin, le dernier instrument de destruction mentionné ici sont les bêtes de la terre, c’est-à-dire, les troupes de chevaux ou cavaleries, généralement nombreuses dans les pays d’Orient, seront encore plus utilisée par les turcs par la suite, comme nous le verrons en examinant le sixième âge. Il est dit que l’enfer le suit, c’est-à-dire que les esprits diaboliques accompagnent et assistent Mahomet et ses disciples au cours des âges successifs. Car, le pouvoir lui fut donné sur quatre parties de la terre ou, comme le texte grec dit, le pouvoir leur fut donné, à la mort et à l’enfer, ou aux princes mahométans et aux esprits diaboliques, sur la quatrième partie du la terre. Qui ignore le nombre de nations que les mahométans ont conquis en Europe, en Asie et en Afrique ? Qui ignore que dans ces contrées, ils ont presque cause l’extinction de la chrétienté, et y ont installé par la force, à la place, une religion lubrique et abominable ? Combien d’augustes églises d’Asie, fondées par les apôtres eux-mêmes, furent ruinées par les mahométans, laissant de maigres poignées de chrétiens, éparpillés à travers les vastes contrées d’Asie Mineure, de Syrie, de Perse, etc. ? Que reste-t-il aujourd’hui de l’Afrique chrétienne, qui jadis avait si grandement fleuri et d’où jaillirent les grandes lumières de l’Eglise, tels que les Saint Athanase, les Saint Cyprien, les Saint Augustin, etc. Ces région, ayant été soumises et conduites par les mahométans, ont reçu leurs superstitions et leurs impostures. Tel fut également le sort d’une partie de l’Europe, tombée sous la domination des turcs. Comment de si vastes attentats contre la religion peuvent être réalisés, sinon par l’aide et la coopération du démon ? Néanmoins, il nous faut remarque que cette prophétie, bien que déjà réalisée dans une certaine mesure en Mahomet et en l’empire mahométan, sera encore plus pleinement accomplie, comme nous le verrons plus tard, dans l’Antéchrist, qui sera le plus grand et le plus cruel successeur de Mahomet.

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse, Beatus de Saint Sever, 11e siècle.
Et de là vient la raison pour laquelle Saint Jean est invité à observer ce spectacle par le quatrième être vivant qui représente, comme nous l’avons observé, le prophète Daniel. La raison en est que ce prophète avait prédit la venue de l’Antéchrist et son grand pouvoir, comme nous le verrons dans la suite. Nous découvrons alors l’avènement et le développement d’un pouvoir qui, avec le temps, deviendra le puissant empire de l’Antéchrist. La destruction de cet empire est destinée à être l’œuvre du Christ Lui-Même. C’est ainsi que l’Agneau montrera cette force qu’il devra recevoir, ainsi qu’il est écrit en Apoc. v. 12. Remarquons encore ici que, dans chacun des quatre sceaux précédents, un cheval apparut, car sa force est l’emblème naturel du pouvoir ou de l’empire. Remarquons aussi que, dans le premier sceau, le cheval désignait l’empire du Christ ; dans le second, celui de l’hérésie ; dans le troisième, l’empire de Rome s’effondrant ; et le quatrième, la montée de l’empire mahométan, lequel, étant donné qu’aucun cheval n’apparaît plus dans aucun des sceaux suivants, sera, nous pouvons le conclure, le dernier grand pouvoir temporel qui existera sur la terre en tant qu’ennemi de l’Eglise chrétienne.
Bref rapport sur Mahomet et l’empire mahométan
Mahomet est né à La Mecque en Arabie, en 571, de parents pauvres, de race ismaélite. Son père était un païen et sa mère une juive. Étant très jeune à la mort de ses parents, il fut éduqué par un oncle qui le fit entrer dans les affaires commerciales. Il a ensuite épousé une riche veuve, dont il dirigeait les affaires. Arrivé à environ quarante ans d’âge, il commença à se dire prophète et se prépara à inventer une nouvelle religion. Il affirmait que la véritable religion avait été corrompue par les juifs et les chrétiens et que, par conséquent, Dieu l’avait envoyé, en tant que son prophète, pour la ramener à sa pureté. Il enseigna qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, mais aucune distinction entre les personnes dans la divinité. Il rejeta l’incarnation et tous les autres mystères de la religion chrétienne. Il adopta la circoncision et prescrivit l’abstinence de vin, de sang et de porc. D’autre part, il a permis à chaque homme d’avoir quatre femmes et concubines sans restriction; mais il se réserva la liberté de se marier aussi souvent qu’il le voudrait, et il aurait eu dans sa vie au moins quinze femmes, dont dix ensemble. Il exhortait les gens à prendre les armes pour la religion, promettant un paradis plein de plaisirs sensuels à ceux qui devraient mourir en combattant pour cette cause. Pour faire la guerre aux incroyants, il déclara être digne d’un grand mérite devant Dieu. Il enseigna la prédestination, affirmant que le destin de chaque homme était absolument décrété par avance ; et que le terme de la vie de chaque homme était fixé par Dieu, ne pouvant être ni abrégé par quelque accident, ni prolongé par quelque moyen que ce soit. Comme il ne savait ni lire ni écrire, il chargea une personne pour rédiger ceci et d’autres principes impies qu’il prétendait avoir reçus de l’ange Gabriel, ainsi que le livre qu’il a appelé « Alcoran ». Lorsqu’il était pris de crises d’épilepsie, auxquelles il était sujet, il était ensuite visité, selon lui, par l’ange Gabriel ; l’apparence [de cet ange, ndt] dépassant tout ce qu’il pouvait supporter, il tombait alors dans des transes et des convulsions. Telle était son imposture. Sa doctrine rencontrait beaucoup d’opposition de la part de certains de ses compatriotes de La Mecque. Ils le tirent pour un fou, un imposteur et dirent qu’il était possédé par le diable. Mais ses partisans augmentant de jour en jour, les magistrats de la ville commençaient à s’alarmer et, soupçonnant qu’il nourrissait le dessein de prendre le pouvoir, ils décidèrent de le faire tuer. Mahomet, ayant eu vent de leur projet, s’enfuit à Médine. Cette retraite, qui a eu lieu en l’an 622, correspondant à la période que les mahométans appellent Hegira. Il fut rejoint à Médine par de nouveaux prosélytes, principalement des brigands et des esclaves fugitifs, qui affluèrent aisément vers lui en raison de la latitude qu’il leur accordait pour donner libre cours à leurs désirs sensuels. Ayant formé un petit bataillon, il se mit à leur tête, en tant que leur chef et législateur. Il leur dit qu’il n’était pas envoyé pour accomplir des miracles, mais pour propager la religion par le pouvoir de l’épée. Il a d’abord attaqué les caravanes, qui traversaient le pays pour faire du commerce, et rencontrant du succès, il enrichit ses adeptes et élargit ses ambitions. Sa petite armée ayant tôt grandi, il marcha sur la ville de La Mecque, la prit et mit à mort ses principaux adversaires. Il a ensuite soumis les tribus les unes après les autres, portant l’épée de la destruction à travers le pays, obligeant le peuple à se soumettre à lui et à accepter sa religion ou à lui payer un tribut annuel. Sa progression était telle qu’il était maître de presque toute l’Arabie lorsqu’il mourut en 631. Ses adeptes furent appelés « sarracénes » ou « musulmans ». A l’examen de ses actes et de ses doctrines, on peut conclure que l’ambition, la luxure et la cruauté furent les caractéristiques de ce fameux imposteur.

Le Mi’raj de Mahomet, un voyage mystique nocturne qu’il prétendait avoir fait sur le dos de l’animal Buraq, Jami al-tawarikh, 13e siècle.
Abou Bakr, l’un des premiers disciples de Mahomet, lui succéda comme commandant et prit le nom de calife, c’est-à-dire de lieutenant [ou vicaire, ndt], et poursuivit les conquêtes de son maître sur d’autres nations arabes. Amron, l’un de ses généraux, pénétra dans le territoire de Gaza et assiégea cette ville. Le gouverneur lui demanda la raison d’un tel acte d’hostilité. Amron répondit : « Nous venons sur l’ordre de notre prince pour vous proposer l’acceptation de notre religion. Si vous choisissez de l’embrasser, nous serons frères. Sinon, payez-nous un tribut et vous serez nos alliés. Mais si vous n’acceptez ni l’un ni l’autre, l’épée décidera et nous vous ferons la guerre pour exécuter l’ordre de Dieu. » Abou Bakr étant mort en 634, il fut succédé par Omar. Ce calife acheva la conquête du reste de l’Arabie. Puis il envahit la Syrie, où il battit l’armée impériale commandée par Théodoras, frère d’Héraclius, empereur de Constantinople. Héraclius, craignant le succès des armées arabes, quitta la Syrie et se rendit à Jérusalem, d’où il retira la sainte Croix avec d’autres objets de valeur, pour les mettre en lieu sûr à Constantinople. Son frère risqua une deuxième bataille, qu’il perdit, et les Sarrazins devinrent maîtres de Damas, puis ensuite, du pays de Phénicie. Le calife divisa alors son armée; il en envoya une partie contre l’Egypte, qu’ils soumirent et démembrèrent de l’empire romain d’Orient, dont elle constituait une province considérable depuis le temps d’Auguste. Pendant ce temps, Omar lui-même prit la route de Jérusalem qu’il résolut d’assiéger; et, malheureusement, l’empereur Héraclius n’avait pas dans ces régions des forces suffisantes pour s’opposer à lui. À cette époque, Saint Sopronius, évêque et patriarche de Jérusalem, écrivait dans une lettre à Sergius, patriarche de Constantinople : « Priez pour les empereurs, (Héraclius et son fils), afin que Dieu les rende victorieux sur tous les barbares: mais surtout, qu’il plaise à Dieu d’humilier l’orgueil des Sarrasins, qui à cause de nos péchés, nous ont subitement envahis et ont ravagé tout le pays avec une terrible cruauté et une arrogance impie. » Après un siège de deux ans, Jérusalem se rendit à Omar en 636, à condition que les habitants restent en pacifique possession de leurs biens, de leur liberté et du libre exercice de la religion chrétienne. Toutefois, peu de temps après, ce calife ordonna la construction d’une mosquée sur l’endroit même où se trouvait le temple de Salomon. De Jérusalem, Omar se dirigea vers Antioche, capitale de la Syrie, qui, faute de forces et de provisions, fut obligée de se rendre. Cette conquête le rendit bientôt maître de toute la Syrie. Et ainsi l’empire romain fut dépossédé d’une autre province qu’il possédait depuis 700 ans. En 639, les Sarrasins traversèrent l’Euphrate et envahirent la Mésopotamie. De là, ils s’avancèrent en Perse, vainquirent le roi Isdegerdes, le chassèrent de ses domaines et s’emparèrent de l’empire perse. Les progrès de ce calife ont été tels, qu’il a également soumis la plus grande partie de l’Arménie, avec quelques autres pays voisins. Mais au milieu de tous ces succès, il fut assassiné en 643. Othman, de la race de Mahomet, fut choisi pour succéder à Omar. Il poursuivit les conquêtes, prit Chypre, Rhodes et d’autres îles de la mer Méditerranée. Ses généraux en Afrique ont défait Grégoire, le commandant impérial dans ces régions, et ont étendu leur conquête tout au long des côtes de la mer Méditerranée jusqu’au détroit de Gibraltar. Othman fut assassiné par ses propres sujets après 65 ans de règne, en 655. À la mort de ce chef, l’empire des Sarrasins comprenait toute l’Arabie, la Perse, le Corasan, le Diarbeck (Mésopotamie), l’Irak, la Syrie, la Phénicie, la Palestine, l’Egypte, en plus de vastes pays en Afrique. Telle fut l’étonnante croissance du pouvoir mahométan en l’espace de trente-trois ans. Ce rapide progrès, venu d’un peuple venu d’une origine si méchante et si obscure, étonna le monde, car peu d’exemples analogues pouvaient être trouvés dans les annales du monde ; On ne peut même pas les comparer aux succès singuliers des premiers audacieux et invincibles Romains. De cette manière, le pouvoir de l’épée s’exerçait en vue de la destruction de l’humanité, par la propagation d’une doctrine impie et par l’extermination du christianisme. Après un succès si extraordinaire, les Arabes ou Sarrasins, au lieu de s’arrêter là pour profiter de leurs acquisitions, voulurent entreprendre de nouvelles conquêtes. En 662, ils envahirent plusieurs autres territoires de l’empire romain de Constantinople. Et s’ils ne le réduisirent pas sous leur pouvoir, ils le dépossédèrent toutefois d’un grand nombre de captifs et laissaient les provinces en ruine. En 712 et 713, ils passèrent d’Afrique en Espagne, dont ils conquirent une part considérable, donnant un triste échantillon de leur cruauté; car ils firent brûler les jeunes gens et les enfants et rependirent la terreur dans tout le pays. Ici, ils établirent des colonies, et furent appelés « Maures », car ils venaient de Mauritanie en Afrique. Nous passerons sur leurs incursions en France et en Italie, et sur les atrocités qu’ils y commirent. Par tant de conquêtes, ce nouvel empire prit finalement une telle ampleur qu’il est devint trop imposant pour demeurer entre les mains d’un seul dirigeant. Ceci n’échappa pas à l’observation des gouverneurs, qui avaient été nommés par le calife dans les différentes provinces, dotés de grands corps de troupes sous leur commandement. Conscients de leurs propres forces et nourrissant l’ambition d’être eux-mêmes les maîtres, ils ont rejetèrent leur assujettissement au calife d’Arabie et fondèrent leur propre autorité. Ces rébellions ont donné lieu à des guerres civiles qui ont divisé l’empire en un certain nombre de principautés indépendantes. Mais malgré l’affaiblissement du pouvoir mahométan, les divers princes conservèrent la même ambition d’élargir leurs domaines. Dans cette perspective, vers le début du 11e siècle, certains d’entre eux lancèrent leurs armées dans le vaste pays d’Indostan (les Indes) et en ont réduit une grande partie. Ensuite, d’autres de ces princes ou sultans, comme on les appelait alors, firent de plus en plus d’irruptions dans les provinces asiatiques de l’empire de Constantinople, où ils obtinrent de nouvelles acquisitions. Ils furent aidés dans ces conquêtes par différentes tribus de Tartares, ou Turcs, venues des pays du nord au-dessus de la mer Caspienne et qui quittèrent leurs contrées pour embrasser le mahométisme. Aladin, sultan d’Iconium dans l’Asie Mineure, avait reçu des services si considérables de la part d’une tribu de ces Tartares sous le commandement d’Othman, qu’il fit de ce dernier son lieutenant général. À la mort d’Aladin, Othman obtint la souveraineté de son pays et posa ainsi le fondement de la monarchie turque à Iconium, vers l’an 1300. De lui est issue la famille turque impériale appelée Othman ou Ottoman. Il conquit une grande partie de la Cappadoce et de la Béthanie, dans laquelle il établit sa résidence dans la ville de Prusa, qui demeura le siège impérial, jusqu’à ce que les Turcs le transfèrent à Andrinople en 1404, puis à Constantinople en 1453. Othman décède en 1326.

Saint Sophrone, patriarche de Jérusalem (550-638)
Les sultans turcs qui suivirent héritèrent de l’esprit guerrier d’Othman, leur fondateur, et entrèrent en querelle avec les princes sarrasins, puis leur prirent au fil du temps de nombreux pays, qu’ils possèdent aujourd’hui. De même, ils continuèrent leurs conquêtes contre l’empire romain d’Orient, et tentèrent même plusieurs fois de prendre Constantinople, le siège de l’empereur, mais furent repoussés ou achetés par des concessions. Au finale, Mahomet II se résolut à conquérir cette cité. Il l’assiégea en 1453 avec une armée terrestre de 300 000 hommes et plus d’une centaine de galères, accompagnés de 130 autres navires plus petits. La garnison de Constantinople ne comptait pas plus de cinq mille Grecs et deux mille étrangers. L’empereur Constantin Paléologue en confiant le commandement à Justinien, un officier génois expérimenté. L’empereur n’avait rien négligé dans la mise en place de son système de défense. La muraille étant doublée et très robuste, Mahomet prépara une artillerie de quatorze batteries, les équipa de pièces de canon d’une taille prodigieuse, qui tirèrent des boules en pierre de deux cents livres. Ces pièces avaient été forgées par un fondeur hongrois, un chrétien, qui, ayant offert ses services à Constantin et n’ayant reçu que peu de soutien, se tourna vers le sultan. Ces horribles engins de destruction tiraient nuit et jour et avaient une telle force qu’ils firent rapidement de grandes brèches dans le mur. Toutefois, face à de si extraordinaires adversités, les assiégés firent preuve d’une défense vigoureuse, réparèrent autant que possible les brèches et conduisirent des attaques fructueuses. Ils tuèrent beaucoup de Turcs et brûlèrent quelques-uns de leurs instruments. On dit que Mahomet, constatant que sa flotte était empêchée de s’approcher de la ville par une grande chaîne traversant l’entrée du port et défendue par des navires postés à cet effet, aurait recouru à un incroyable expédient suggéré par un chrétien renégat. Ce stratagème consistait à transporter soixante-dix de ses navires, au moyen d’engins, sur la terre ferme. D’un autre côté, pour encourager ses hommes, il leur promit qu’ils pourraient partager entre eux tout le pillage de Constantinople et que le premier à escalader le mur aurait droit au gouvernement de la ville. Il leur dit qu’un flot de lumière était apparu sur la ville trois nuits durant, et qu’il s’agissait d’un présage certain que Dieu avait retiré sa protection de la ville. Ces promesses et ces discours galvanisèrent ses troupes et il se résolut alors à un assaut général. L’empereur, qui était au courant du dessein du sultan, résolut de son côté à conduire l’opposition la plus vigoureuse et il harangua ses officiers et ses hommes d’une façon si vibrante, qu’ils semblèrent tous prêts à appuyer son intention. Le 29 mai, très tôt dans la matinée, toutes dispositions étant prises pour l’attaque, l’assaut général commença, par mer et par terre. Les forces terrestres turques avancèrent, sous le feu de leurs canons, avec une résolution surprenante, et furent reçues avec une égale résistance par les Grecs, qui accomplirent des prodiges d’héroïsme. Les fossés furent bientôt remplis des cadavres des Turcs; l’empereur et Justinien firent preuve d’une telle habileté et d’une telle bravoure que les assaillants furent obligés de se retirer. Mais les Janissaires venant à leur secours, se rallièrent, renouvelèrent la charge et, au travers du feu violent des assiégés et au travers d’une tempête de flèches et de pierres, ils gagnèrent le sommet de la muraille, où un Janissaire planta immédiatement le drapeau turc. Ce succès inattendu inspira une nouvelle vigueur aux Turcs et découragea l’esprit des Grecs. Or, les mahométans avaient également l’avantage sur les eaux. Mais ce qui acheva la ruine des assiégés, c’est la défection de leur général. Justinien, qui, ayant été blessé, se retira sans nommer qui que ce soit pour lui succéder au commandement ; de plus, il ne pouvait être encouragé à revenir affronter les pressantes remontrances de l’empereur. La retraite de Justinien a tellement découragé les Grecs qu’ils commencèrent à céder et s’enfuirent dans un grand désordre et dans la précipitation. Les Turcs affluent immédiatement dans la brèche, comme un torrent, poursuivirent les fuyards, les massacrant et les pressant de si près que huit cents d’entre eux périrent piétinés. Parmi ceux-ci, l’empereur, qui s’était placé près de la brèche et déployait des efforts prodigieux pour tarir le flot des barbares, fut emporté par la multitude et mourut avec eux. Ainsi finit le règne de Constantin Paléologue en 1453. Ainsi expira l’empire des Grecs, c’est-à-dire l’empire romain d’Orient, qui avait duré 1123 ans depuis sa fondation par Constantin le Grand, en l’an 330.
Après la mort de l’empereur, les Turcs ne rencontrèrent plus aucune résistance; et ceux qui avaient attaqué la ville par le port ayant également réussi leur entrée, les Grecs devaient faire face à leurs ennemis par devant et derrière et furent ainsi massacrés sans pitié. Puis, les ruffians dirigèrent leur fureur contre les habitants, dont ils massacrèrent un nombre tel qu’il fut dit qu’il périt dans cette mise à sac de Constantinople, quarante mille Grecs. Soixante mille autres furent ensuite vendus comme esclaves. En cette funeste occasion, les églises furent profanées, les évêques furent jetés en prison dans leurs habits pontificaux et les nonnes, vêtues de leurs vêtements religieux, emportées comme esclaves. Les vêtements sacerdotaux étaient utilisés comme cordes pour attraper les chevaux. La viande était servie à table dans les ustensiles sacrés et les calices servaient de verres à boire. En somme, les barbares se livrèrent à toutes les passions humaines et se déchainèrent avec une telle licence pendant trois jours, ils commirent toutes sortes d’excès et de crimes, parmi les plus affreux et les plus exécrables que l’histoire nous ait jamais racontés en de telles occasions. Ainsi, Mahomet et ses successeurs ont ajouté à leur conquête de nombreux autres pays, à la fois en Asie et en Europe, pays dont les Turcs sont toujours en possession. Il est inutile de poursuivre cette histoire plus avant. Nous pouvons en conclure que, de manière générale, le pouvoir et la religion mahométane ont prévalu dans une mesure prodigieuse, englobant la plus grande partie de l’Asie, de nombreux pays en Afrique et petite partie de l’Europe; de sorte que ces évènements démontrent que Mahomet et ses successeurs ont reçu pouvoir sur la quatrième partie de la terre, c’est-à-dire déjà sur la quatrième partie de l’ancien monde.
Mgr. Charles Walmesley, The General History of the Christian Church deduced from the Apocalypse of Saint John, John Doyle, New-York, 1834, chapitre 6, pp.116-125 [lien] Traduit de la seconde édition américaine par Fide Catholica.
Commentaire bibliographique :
Éminent lettré, Mgr. Walmesley fût évêque de Rama et vicaire apostolique du district occidental d’Angleterre. Né le 13 janvier 1722, Il était le cinquième fils de John Walmesley de Westwood House, Wigan, Lancashire. Il fit ses études au Collège bénédictin anglais de Saint Grégoire à Douai et a exercé sa profession de moine bénédictin au monastère anglais de Saint-Edmund, à Paris, en 1739. Plus tard, il obtint son diplôme de docteur à la Sorbonne. Ses réalisations scientifiques l’ont rapidement fait remarquer en tant qu’astronome et mathématicien. Il fût consulté par le gouvernement britannique sur la réforme du calendrier et l’introduction du « nouveau style ». Il était membre de la Royal Society of London et des sociétés apparentées de Paris, Berlin et Bologne. De 1749 à 1753, il est prieur de Saint-Edmund, à Paris et, en 1754, il est envoyé à Rome en tant que procureur général de la congrégation bénédictine anglaise. Deux ans plus tard, la Propaganda Fide le choisit comme évêque associé, avec droit de succession, de Mgr. York, vicaire apostolique du district de l’Ouest ; et fut consacré évêque de Rama le 21 décembre 1756. En 1789, lorsque l’action du « Comité catholique » menaça de compromettre sérieusement les catholiques anglais, Walmesley convoqua un synode avec ses collègues et un décret fut émis pour que les évêques d’Angleterre appellent « à unanimement condamner la nouvelle forme de serment destiné aux catholiques et la déclarer illégale« . Le 15 août 1790, Walmesley consacra le Dr John Carroll, le premier évêque des États-Unis d’Amérique, au château de Lulworth, dans le Dorsetshire. Les travaux publiés de Walmesley consistent principalement en des traités sur l’astronomie et sur les mathématiques, mais son « Histoire générale de l’Église chrétienne déduite de l’Apocalypse de Saint Jean » a été publiée à neuf ou dix reprises en Grande-Bretagne et cinq autres éditions ont été produites en Amérique. Les traductions de l’œuvre sont également parues en latin, français, allemand et italien, et ont été réimprimées à plusieurs reprises. Il décède à Bath, en Angleterre, le 25 novembre 1797.