On dit encore: Dieu est un Dieu de miséricorde. Voici la troisième illusion familière aux pécheurs et qui en perd un si grand nombre. D’après un savant auteur,[…] la miséricorde de Dieu précipite plus d’âmes en enfer que sa justice, parce que, comptant témérairement sur la miséricorde, tant de malheureux continuent à pécher et finissent par se perdre. Que Dieu soit un Dieu de miséricorde, personne ne le nie. Cependant, combien d’âmes n’envoie-t-il pas chaque jour en enfer? Car s’il est miséricordieux, il est juste aussi; et par conséquent, obligé de punir celui qui l’offense. Ah! Certes, il use de miséricorde. Mais envers qui? Envers ceux qui le craignent. « Il a étendu sa miséricorde sur ceux qui le craignent, dit David, et c’est de ceux qui le craignent que le Seigneur a compassion » (Psaume 102, 11). Mais contre ceux qui le méprisent et qui s’autorisent de sa miséricorde pour le mépriser davantage, il en appelle à sa justice. Et il doit en être ainsi. Car Dieu pardonne le péché, mais il ne peut pardonner la volonté de pécher. Celui qui pèche avec le dessein de se repentir ensuite, celui-là, dit saint Augustin (S. Augustin (auteur inconnu selon Glorieux, n. 40; cf. Dixième considération, note 2), Aux frères dans le désert, sermon 11, PL 40, 1255), ne se repent pas, mais il se moque. Or l’Apôtre nous apprend que Dieu ne se laisse pas tourner en dérision: « Ne vous y trompez pas: on ne se rit pas de Dieu » (Galates 6, 7). Et ne serait-ce pas le tourner en dérision que de l’offenser comme il nous plaît, autant qu’il nous plaît, et de prétendre ensuite au Paradis?
Dieu m’a toujours traité avec tant de miséricorde et il m’a épargné jusqu’ici; j’espère donc qu’il ne se départira pas à l’avenir de sa miséricorde envers moi. Quatrième illusion. Ainsi, parce que le Seigneur a eu compassion de vous, le voilà donc tenu d’user toujours de miséricorde à votre égard et de jamais vous punir. Eh bien, non. Plus ses miséricordes envers vous ont été grandes, plus aussi vous devez craindre qu’il ne vous refuse le pardon et qu’il vous punisse, si vous l’offensez de nouveau. « Ne dis pas: j’ai péché; et que m’est-il arrivé de triste? Car le Très Haut, quoique patient, rend selon les mérites » (Ecclésiastique 5, 4). Dieu supporte, mais il ne supporte pas toujours. La limite de sa miséricorde envers chaque pécheur est déterminée d’avance; une fois cette limite atteinte, il frappe de façon à punir pour tous les péchés ensemble. « Et plus il aura attendu qu’on fasse pénitence, dit saint Grégoire, plus l’enfer sera terrible » (S. Grégoire le Grand, Homélie 13, sur les Évangiles, n. 5, PL 76, 1126).
Vous donc, mon frère, qui reconnaissez avoir si souvent offensé Dieu, sans qu’il vous ait précipité en enfer, vous avez bien sujet de vous écrier: « C’est grâce aux miséricordes du Seigneur que nous n’avons pas été consumés » (Lamentation 3, 22). Oui, Seigneur, je vous remercie de ne m’avoir pas précipité en enfer comme je le méritais! Car pensez combien d’âmes sont maintenant damnées pour avoir commis moins de péchés que vous. Que cette pensée vous anime à la pénitence et à d’autres bonnes oeuvres, afin de réparer les offenses dont vous vous êtes rendu coupable envers Dieu. Ne faites pas de sa patience à votre égard un motif pour l’outrager davantage. Au contraire, servez-le et aimez-le d’autant plus que vous voyez avec quelle miséricorde il vous traite, de préférence aux autres.
Saint Alphonse Marie de Liguori, Préparation à la mort, p. 171 – 172, traduit de l’édition anglophone Lippincott & Co. Philadelphie, 1869.