Alors que le conflit azéri-arménien fait rage dans la région frontalière du Nagarno-Karabakh, le ministre israélien de la défense, Benny Gantz, a affirmé, au cours d’une récente conférence organisée par le Conseil Arabe pour l’Intégration Régionale, que les initiatives géopolitiques de la Turquie mettaient en danger la stabilité du Moyen-Orient. Il a fait valoir que la « pression de la communauté internationale » sera alors utile pour « s’assurer que la Turquie cesse de s’impliquer dans le terrorisme direct ». Bien que l’entité sioniste et la Turquie d’Erdogan continuent d’entretenir des relations commerciales, l’opposition des deux états sur le plan géopolitique est allée croissante ces dernières années, que ce soit sur la question palestinienne ou en ce qui concerne le conflit Syrien.
Il s’agit là d’oppositions logiques entre deux puissances régionales de premier plan. Opposition d’autant plus singulière, que tandis que l’état Juif continue de se développer grâce à son influence à Washington et en Europe, la Turquie, quant à elle, continue de faire partie de l’OTAN. Ce sont donc deux partenaires majeurs de l’ancien axe atlantiste, qui s’opposent désormais frontalement en marge de conflits armés dans la sous-région.
En ce qui nous concerne et à bien des égards, en tant que catholiques français, l’idéologie politique et spirituelle des élites gouvernantes de ces deux états nous obligent à les considérer tous deux comme facteurs d’influences néfastes, non seulement dans la sous-région, mais également en Occident.
Il va de soi qu’un certain nombre d’actions géopolitiques et politiques turques de ces dernières années nous apparaissent comme directement contraires aux intérêts objectifs de la chrétienté du proche et Moyen-Orient, comme cela s’est vérifié hier en Syrie, et comme cela se vérifie aujourd’hui dans le cadre du conflit Azéri-Arménien, dans lequel les turcs ont logiquement pris le parti de soutenir logistiquement et militairement l’offensive Azérie.
Or, il apparaît que l’état Juif, encore souvent présenté comme le « rempart de l’Occident Judéo-Chrétien » par quelques propagandistes dans nos contrées, soutient lui aussi l’Azerbaïdjan islamique contre l’Arménie chrétienne[1]. En effet, cet été déjà, le ministre arménien des affaires étrangères, Zohrab Mnatsakanyan, avait publiquement appelé l’état d’Israël à cesser de vendre des armes et de l’équipement militaire de pointe aux azéris. Comme le note cet article du Mirror Spectactor :
Les incidents graves de ces derniers jours, impliquant notamment les destructions causées par les drones israéliens utilisés par l’armée Azérie, ont une nouvelle fois déclenché la colère des autorités diplomatiques arméniennes. Sans compter le fait que l’armée Azérie profite grandement du soutien tactique israélien : la semaine dernière, deux avions militaires Azéris atterrissaient ainsi sur la base israélienne d’Uvda, dans le Negev, quelques jours à peine l’escalade du conflit dans l’enclave du Nagorno-Karabakh.
Ainsi, Jeudi dernier, le gouvernement arménien a officiellement rappelé l’ambassadeur israélien à Yeravan, pour exiger une fois encore que l’état Juif interdise à son complexe militaro-industriel de vendre des armes à l’armée Azérie.
L’état Juif, ou plus exactement les sociétés militaires israéliennes, sont les partenaires privilégiés de l’armée Azérie depuis au moins les années 1990. Comme le souligne une étude du Stockholm International Peace Research Institute, citée par Haaretz, l’état sioniste a vendu à l’Azerbaidjan l’équivalent de 825 millions en armes, rien qu’entre 2006 et 2019, ce qui fait des Azéris les troisièmes plus gros clients de l’industrie militaire israélienne.
Il faut souligner que ce partenariat privilégié entre l’état Juif et l’Azerbaïdjan n’est pas à sens unique. En tant que producteur historique d’hydrocarbures, l’Azerbaïdjan constitue l’un des principaux fournisseurs de pétrole de l’état d’Israël. Il faut également ajouter la position géostratégique cruciale de l’Azerbaïdjan dans le cadre de l’opposition historique entre l’état d’Israël et l’Iran.
Parmi les équipement militaires high-tech vendues par les israéliens à l’armée Azérie, on peut trouver les productions du constructeur Elbit Systems, en particulier le redoutable modèle SkyStriker, un « suicide drone » décrit par la société comme « un dispositif d’attaque par surprise silencieux et invisible ».
Comme le souligne un remarquable article de Jared Keller pour la revue spécialisée Task and Purpose, en 2017, les clients Azéris demandèrent aux constructeurs israéliens de leur faire une petite démonstration IRL de la capacité de leurs équipements, sur un bus de soldats arméniens dans la région du Nagorno-Karabakh :
Si DAESH a été pionnier dans l’utilisation de drones-suicide sur les champs de bataille en Irak et en Syrie, les états, eux aussi, développent de plus en plus ce type d’actions. Un constructeur israélien a apparemment tenté de bombarder des soldats arméniens avec « l’un de ses véhicules aériens sans-passager de type kamikaze » en Octobre 2017. Selon la source ayant fuité du ministère des affaires étrangères israélien, le drone-suicide « Orbiter 1K » du constructeur Aeronautics Defense Systems a été envoyé dans la région conflictuelle du Nagorno-Karabakh « à la demande des clients azerbaïdjanais au cours d’une démonstration commerciale ».
Jared Keller, An Israeli Firm Reportedly Sent A Suicide Drone To Bomb Armenian Troops For Azerbaidjan, in Task and Purpose, 31 août 2018
Selon les rapports des experts, les employés de la société israélienne auraient refusé de commettre un tel acte, et les cadres auraient alors eux-mêmes dispatché le drone, lequel aurait fait au moins deux victimes militaires arméniennes.
Que les choses soient claires : nous ne faisons manifestement pas partie de ces bisounours et de ces idéologues qui ignorent la réalité des conflits armées et des intérêts géopolitiques des états. Les géostratégies des turcs, des azéris et des israéliens correspondent à leurs intérêts géopolitiques propres.
Or, si le catholique intégraliste français s’oppose logiquement à bien des aspects de la géopolitique turque en Syrie (et en Occident), il s’oppose aussi logiquement à bien des égards, à la géopolitique israélienne. Il serait bon que certains, dans le landerneau patriote-populiste français, soient capables de faire preuve de constance et de réalisme, au lieu de se prosterner sans intelligence, ni logique, devant le superbe « modèle israélien », qui en réalité, est aussi étranger, voire contraire aux intérêts français que peut l’être le modèle turc.
De même, certains membres de la communauté arménienne en France, qui pensaient légitime de verser dans la complaisance au sionisme, au nom de la mémoire commune de deux génocides entièrement différents, feraient bien de revenir à un peu plus de réalisme. L’Arménie n’offre tout simplement pas autant de bénéfices aux intérêts israéliens, en comparaison avec l’Azerbaïdjan. Les patriotes-populistes français, devraient eux aussi développer ce genre de réflexion, s’ils en sont seulement capables.
En ce qui concerne le mouvement intégraliste français, les complexités du conflit en cours devrait être pour nous l’occasion de nous projeter au-delà de la simple politique française, et de réfléchir à une géopolitique catholique dans le contexte du 21e siècle.
[1] Il va de soi que nous utilisons ici le terme « chrétien » de façon générique. Chacun sait, hélas, que l’Arménie demeure en grande partie schismatique, 93% de ses ressortissants étant officiellement membres de l’église apostolique Arménienne, laquelle maintient à ce jour l’hérésie monophysite/miaphysite. Néanmoins, une minorité d’Arméniens est toujours demeurée catholique. Leur nombre est estimé à quelques centaines de milliers de membres.