Rock in the Cathedral : 13 décembre 1974, la profanation psychédélique de Notre-Dame de Reims

De nos jours, l’Occident déchristianisé s’est habitué à ce que les églises occupées par l’église conciliaire servent régulièrement à toutes sortes d’usages profanes : déambulatoires à touristes en short, salle de concerts, de spectacles, sans compter bien sûr, la « messe » de Paul VI. Tout ceci est promu ou permis par la hiérarchie moderniste, avec plus ou moins de prudence, selon les endroits et les sensibilités. Loin d’être une pratique récente, l’infestation des lieux saints par les spectacles de son et lumières et par les concerts remonte aux premières années de la révolution liturgique. Pour en donner quelque illustration, nous parlerons ici d’un évènement aujourd’hui oublié, mais qui fit grand bruit dans la communauté catholique de Reims.


De la révolution liturgique à la révolution des moeurs

Nous sommes à Reims, dans la France du nouveau président Valéry Giscard d’Esteing, à la toute fin de l’année 1974. Nous sommes environ dix ans après la clôture du concile de Vatican 2, l’heure est au progressisme général, à la libération de l’économie et des mœurs. La loi Veil, légalisant l’avortement, est sur le point d’être votée, de même que la loi réformant la législation du mariage et du divorce. Le droit de vote vient de passer de 21 à 18 ans. Cette année-là, « Musique Action Reims », une association de jeunes amateurs de rock et de musiques contemporaines, propose à l’archevêché moderniste de Reims l’autorisation de produire un concert électro-acoustique dans la cathédrale. Leur demande est acceptée sans problèmes. En 1974, Mgr. Jacques Ménager est l’archevêque moderniste de Reims depuis un an. Moderniste zélé, il participa au concile Vatican 2 et fut membre du comité de rédaction de la « constitution pastorale » Gaudium et spes. L’objet plus exact de cette constitution fut de définir le rôle et l’action de l’Eglise « dans le monde de ce temps ». Mgr. Ménager allait donc donner l’exemple en la matière. A cette occasion, le père Bernard Goureau, délégué épiscopal du diocèse moderniste, déclare :

Dans un monde moderne, la cathédrale doit réclamer sa fonction première de lieu de rencontres humaines au moyen de diverses disciplines, telles que l’art musical. De là, de nouvelles possibilités d’échanges entre les hommes peuvent naître.

C’est donc sous le prétexte de l’ouverture et de la rencontre que la secte moderniste ouvre les portes de Notre-Dame de Reims au monde profane. Les artistes invités sont le groupe allemand Tangerine Dream et la chanteuse, également allemande, Christa Päffgen, plus connue sous le pseudonyme de Nico. Aujourd’hui largement oubliée, Nico fut une vedette de la culture pop des années 1960 et 1970. D’abord mannequin, elle tourne dans la Dolce Vita de Fellini, tient le rôle principal dans le fort scandaleux film Striptease de Jacques Poitrenaud et devient brièvement l’une des nombreuses amantes d’Alain Delon, avec lequel elle aurait eu un fils, non reconnu par l’intéressé. Il faut dire qu’elle aussi, collectionna toute sa vie les complicités adultérines. Toujours au cours des années 1960, elle devient l’icône d’Andy Warhol et se rapproche de la scène rock émergente. C’est dans ces années-là qu’elle devient la première chanteuse du groupe The Velvet Underground. Très vite, dans les années 1970, elle se lance dans une carrière solo de chanteuse et musicienne, tout en continuant à fréquenter le monde du cinéma et à être une héroïnomane notoire, addiction qui la défigure à vitesse grand V. En 1974, l’année du concert à la cathédrale de Reims, Nico a sorti l’album The End (inspiré du tube éponyme du groupe The Doors), où elle y chante et y joue de l’harmonium. Nous sommes alors en pleine vague new Age, avant-gardiste, fusion, psychédélisme et rock progressif. Un style tout trouvé, donc, pour coller avec l’ambiance spirituelle et liturgique de la révolution conciliaire.

Le groupe Tangerine Dream s’inscrit lui aussi dans cette lignée, avec bien sûr, cette touche « krautrock », que les jeunes de l’époque appelaient aussi « rock allemand » ou « musique planante », mais aussi avec un aspect tout à fait novateur, c’est-à-dire l’introduction de synthétiseurs qui donnent lieu à d’impressionnantes pièces à l’ambiance à la fois lourde et spatiale. Initialement plus acoustique, le groupe Tangerine Dream s’oriente au début des années 1970 vers un style radicalement synthétique et fait figure de pionnier de la musique électronique moderne. En 1974, le groupe sort son premier album chez Virgin, intitulé « Phaedra ». Une ambiance propre à la « nouvelle pentecôte » montinienne. Comme on le verra, les militants de la Contre-Réforme Catholique ne manqueront pas de qualifier le concert de « messe païenne ».


Rock goes to the Cathedral

L’observateur curieux des mouvements musicaux contemporains ne peut pas s’empêcher de signaler que cet album de Tangerine Dream ne manque pas d’un certain intérêt, du point de vue historique, dans la mesure où il préfigure la musique synthétique typique des années 1980. L’écoute est relativement supportable, dans la mesure où cet album est entièrement instrumental, quoique l’écoute soit assez rapidement gâchée par des passages stridents et franchement angoissants. Moins supportable est la « musique » de Nico, d’une part parce qu’elle prétend y chanter (avec une poésie des plus douteuses, tout à fait dans l’esprit du temps), d’autre part parce que ses compositions sont trop souvent complètement dissonantes, brutales, aussi lourdes que le corps d’un toxicomane en plein « trip ». Mais de toutes façons, la question n’est pas là : ces abominations n’ont rien à faire dans une église, dans une cathédrale, et pas n’importe laquelle : l’une des plus augustes de France et de toute la chrétienté d’Occident. Il est inutile de prétendre vouloir excuser les autorités modernistes de l’époque : ils n’en ont évidemment aucune et sont directement responsables de la gigantesque profanation qui va s’en suivre. En effet, il est impossible de dire qu’ils ignoraient qui étaient les groupes qui devaient se produire, ou qu’ils ne s’attendaient pas, comme on l’a parfois prétendu, à ce qu’une foule de 5000 à 6000 hippies se presse ce soir-là dans la cathédrale. D’ailleurs, le concert fut médiatisé à l’international. Il fut retransmis plus tard, non seulement sur France Inter, mais aussi sur la BBC. Pendant les semaines précédentes, toute la jeunesse « rock » française, belge, hollandaise ou allemande, avait eu vent de l’évènement, qui était copieusement relayé dans les milieux « branchés ». Bien sûr que les autorités modernistes savaient ce qu’elles faisaient, comme nous allons le voir plus loin.

Le concert commence donc ce vendredi 13 décembre à 20h45 et durera une bonne partie de la soirée. A l’ouverture des portes, on ne s’inquiète que pour les vitraux de Marc Chagall, installés cette année même. A la suite d’une introduction sous forme improvisée de Tangerine Dream, Nico poursuit le bal de Satan, juchée devant son harmonium indien et plongée dans un énorme halo lumineux vertical. Un témoin d’époque raconte :

Nico venait de sortir son disque « The end », avec John Cale et Eno, et aussi Phil Manzanera, du groupe Roxy Music. Là, elle était toute seule sur scène, avec son harmonium. Dans la cathédrale, le son était tout simplement incroyable. L’ambiance était, disons, recueillie. J’ai le souvenir de m’être promené dans les travées, et d’avoir été impressionné par les scènes que je voyais. Il y avait assez peu d’encens dans les fumées qui s’élevaient dans la pénombre. On pouvait parler de communion, d’une certaine manière. La chanson des Doors, the end, prenait ici un sens particulier.

This is the end, beautiful friend, This is the end, my only friend. The end, it hurts to set you free, But you’ll never follow me. The end of laughter and soft lies, The end of nights we tried to die, This is the end.

Ainsi, dans l’auguste cathédrale pluriséculaire de Saint Rémi et des rois de France, une starlette héroïnomane allemande entonnait ce soir-là l’hymne nihiliste et suicidaire de Jim Morrison, l’hymne de toute une génération d’apostats. Or, si la version originale des Doors a quelque chose de cette trompeuse et meurtrière douceur de l’époque « peace and love », celle de Nico est vertigineusement cosmique (pour ne pas dire proprement apocalyptique), au grand bonheur d’une jeunesse éprise de « musique planante » et de « nouvelles expériences ».

Julien Bouyer, auteur d’une intéressante recension de l’évènement, rapporte le témoignage d’un certain Didier Bournel de Graaf, l’un des organisateurs du concert, qui est aussi le témoignage d’une génération, celle qui est aujourd’hui encore au pouvoir :

Lorsque je me rappelle les années 1970, je suis frappé par la nostalgie : mes amis, la joie de vivre, l’insouciance, l’amour, l’amitié, la solidarité, le sens collectif, la contemplation, la philosophie, les rebellions, les allégeances. Nous formions une société à part, cherchant à nous placer en marge du système, loin du conformisme et de l’establishment.

Notons que le multimilliardaire Richard Branson, qui avait fondé Virgin Records un an plus tôt, était également présent, de même que l’organisateur principale, Gérard Drouot, qui deviendra par la suite l’un des mastodontes du show-business français. Ces gens-là avaient compris qu’il y avait de l’argent à se faire, à l’ombre de Satan.


La cathédrale de Reims souillée par les hippies et les modernistes

Le témoin que nous avions cité plus haut n’avait certainement pas tous ses souvenirs bien en place, ou alors il usa d’un curieux pléonasme lorsqu’il évoque « une ambiance, disons, recueillie ». Certainement, comme on va le voir, l’ambiance était méditative, contemplative et « mystique », mais loin, très loin de la contemplation et de la mystique catholique. Ce soir-là, les fumées les plus diverses et les comportements les plus scandaleux remplacent l’encens et les dévotions chrétiennes. C’est une grand-messe dont le souverain est Lucifer en personne. Le tout, placidement sanctionné par la nouvelle hiérarchie moderniste, qui n’aura pas perdu son temps pour faire montre de ses méthodes pastorales. Pour mieux vous convaincre de l’esprit très réellement satanique de beaucoup d’artistes de cette mouvance et de cette époque, nous recommandons fortement à nos lecteurs de se reporter à la passionnante série d’articles « Singing for Satan », rédigée par le fameux blog catholique traditionaliste américain « Introibo », en commençant par cet article qui examine les paroles explicitement lucifériennes, blasphématoires, nihilistes, décadentes du groupe The Doors.

Le passage du groupe Tangerine Dream est très attendu, en raison de sa récente notoriété. Contrairement à Nico, ce groupe s’abstient au moins de prétendre chanter. Mais si sa musique électronique aussi sublimante qu’inquiétante, aurait sa place dans quelque film de Stanley Kubrick, elle n’en a aucune dans une église. Pendant deux heures, ils transcendent un public déjà placé en apesanteur par la circulation libre des drogues les plus puissantes du moment.

Une partie de l’assistance, lors du concert du 13 février 1974 dans la cathédrale de Reims.

Evidemment, c’est dans un état plus que lamentable que la cathédrale est retrouvée, à l’issue de ces « festivités ». Le sol est jonché de déchets et de seringues, la foule barbare a uriné et déféqué dans tous les recoins, jusque dans les bénitiers et, sans surprise, le temple a été transformé en infect lieu de prostitution et de débauche. Tels furent les fruits de « l’ouverture » et de la « pastorale » de Mgr. Ménager et de l’abbé Goureau.


Diverses réactions face au scandale

Imaginez seulement les effets du scandale produit : ce concert abominable s’étant déroulé un vendredi, la « messe » du dimanche n’a évidemment pas pu avoir lieu. La semaine suivante, le scandale prend immédiatement des dimensions considérables, non seulement parmi les catholiques de la région, mais jusque dans les médias. Sur Europe 1 ou sur RTL, on se demande comment les autorités de l’archidiocèse ont pu autoriser pareille chose. Dans les médias du monde entier, depuis Le Monde au New York Times, l’évènement entra presque immédiatement dans la légende de la culture pop moderne. Ce fut en effet Woodstock dans l’église. Pour l’adjoint au maire de l’époque,  Jacques Barrot, « il est inadmissible et scandaleux d’avoir transformé la cathédrale en fumerie asiatique ». A cette époque, il semble que seule la Contre-Réforme Catholique de l’abbé de Nantes se soit mobilisée pour dénoncer le scandale. Mais le mal était déjà fait et les autorités modernistes régnaient en maitre. De son côté, selon Julien Bouyer, le père Bernard Goureau, le fameux « chargé d’affaires culturelles », déclara nonchalamment :

Il est vrai que ces jeunes ont fumé de la marijuana afin de mieux entrer en communion avec la musique de Tangerine Dream et le spectacle. Il est vrai, aussi, que d’autres, pour satisfaire une obligation naturelle, ont uriné sur les colonnes de la cathédrale. Enfin, il est vrai que pour combattre le froid, on a vu des couples se livrer à des étreintes. Mais il est aussi vrai que quelques 6,000 jeunes gens, demeurés assis pendant trois heures au sol, dans le noir, ont profité de la musique et auraient pu causer bien plus de dommages.

Misérablement, face au scandale bien légitime, les autorités modernistes ne pourront que faire mine de déplorer ces débordements. Toutefois, ces autorités ne consentiront à procéder à une purification du lieu que grâce à la pression et à l’activisme de la CRC auprès de la secte moderniste au Vatican. Au Vatican occupé, on ne se pressa pas pour agir, encore moins pour condamner qui que ce soit. Acte vain et hypocrite, donc. Les modernistes tenaient le lieu. Comme le note Julien Rouyer :

Quelques années plus tard, pour une somme insignifiante, le diocèse louera pendant 30 années consécutives des espaces à Radio Primitive, une radio indépendante locale, fondée par des anarchistes athées. Voilà qui est un témoignage éclairant de l’esprit d’ouverture au sein des plus hautes sphères du clergé rémois à cette époque.

Et en particulier, l’esprit d’ouverture du sinistre père Bernard Goureau, figure emblématique du journalisme radiophonique moderniste français. En tout cas, ce concert « mythique » aura véritablement marqué toute une génération de français et d’occidentaux en général, si l’on en juge des très nombreux témoignages qu’on retrouve encore ici et là sur internet. Un documentaire a même été réalisé il y a quelques années et diffusé sur France 3. Et il va sans dire que ce concert a hautement contribué à insulter la religion catholique et à faciliter l’apostasie de cette génération. Au-delà même de la profanation de la cathédrale de Reims, la profanation de tant d’âmes, permise et voulue par les autorités modernistes sous prétexte « d’ouverture », est un crime inimaginable.


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2 commentaire

  1. […] l’un des épisodes les plus marquants des tout débuts de la révolution moderniste en France en vous racontant l’histoire du festival « Rock in the Cathedral » qui se tint dans la cathéd…, sur l’initiative du clergé apostat de cette […]

  2. […] Selon toute vraisemblance, il est bien plus logique d’affirmer que les autorités modernistes sont activement complices de ces scandales, qui d’ailleurs, ne datent pas d’hier. Dans un article publié en 2019, nous avions évoqué la fameuse affaire du concert « Rock in the Cathedral » qui avait choqué les catholiques de France en 1974, après que l’archeveque de Reims ait autorisé un concert de rock psychédélique dans la cathédr…. […]

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