Mgr. Frédéric Bonnet : Le règne social de Jésus-Christ dans la famille et la société (1)

Au clergé et aux fidèles de Notre Diocèse, Salut et Bénédiction en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Nos très chers frères, il faut que le Christ règne1.Il est Roi par son incarnation, qui l’unissant hypostatiquement à la divinité, en a fait Le maître souverain de toute créature. Il est Roi par Son œuvre rédemptrice qui lui a conquis l’humanité rachetée par son sang. Il est Roi par la volonté expresse de son Père qui, le tirant de ses volontaires et profonds abaissements, l’a exalté de la croix sur un trône, lui a donné un nom au-dessus de tous les noms et a voulu que, devant lui, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers.2

Il faut qu’il règne ; c’est son droit et c’est notre impérieux besoin. Il est la source unique, exclusive de la vérité et de l’amour et par conséquent la vie de nos intelligences et de nos cœurs. Il est le bien suprême ; et notre volonté n’a d’autre fin, elle n’a d’autre raison d’être que de le poursuivre et de l’atteindre. Il faut qu’Il règne ; parce que, en dehors de lui, aucune société ne peut être légitimement constituée ni sagement gouvernée ; et que, soustraite à son action et à son influence, elle ne peut longtemps se maintenir dans la paix, l’ordre et la sécurité.

1. Pour que le Christ règne dans la société, il faut qu’il soit le Roi des foyers

Mais pour faire entrer le Christ dans la société et la soumettre à sa légitime et nécessaire royauté, il faut avant tout l’introduire et le faire régner dans la famille. La famille est la société en germe. De même que la plante n’est que le développement et l’épanouissement de son germe, qu’elle tire de ce germe rudimentaire tout ce qu’elle déploie au dehors de beauté, de vigueur et de fécondité, de même la société tire de la famille tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle doit être. Elle sort de la famille forte ou amollie, honnête ou dépravée, croyante ou impie ; elle en sort avec les qualités et les défauts, avec les vertus et les vices des foyers où elle a germé. Par la famille s’affirme et se mesure à la valeur d’un peuple. Il vaut ce que vaut la famille.

On a dit avec raison des bras qui soutiennent l’enfant, qu’ils portent les destinées du pays. L’individu a sa part d’influence sociale ; mais elle est passagère : l’individu passe et meurt. La famille ne passe pas et elle ne meurt pas : elle se renouvelle sans cesse et se perpétue, avec le souvenir de la race, son esprit ,sa tradition, cette sorte d’hérédité morale, faite d’idées saines ou de faux préjugés, de nobles sentiments ou de bas instincts ; d’inaltérables fidélités ou d’irréconciliables inimités, de foi vive, d’irréductible indifférence ou de fanatique irréligion. Cet esprit traditionnel est le grand inspirateur du foyer, il en est le bon ou le mauvais génie : il en est l’âme ; et transmis de génération en génération, il porte loin dans l’avenir son heureuse influence ou sa pernicieuse contagion.

Dès que l’impiété est parvenue à se glisser au pouvoir, d’instinct elle s’attaque à Dieu, elle le poursuit avec rage partout où elle le rencontre, mais elle sent que pour réaliser son rêve d’universel athéisme, il faut avant tout déchristianiser, et pour employer le mot cher à l’impiété moderne, laïciser la famille. Laïciser la famille ,c’est en éliminer tout ce qu’elle a de divin ; et ce qu’il y a en elle de plus divin, c’est l’institution qui unit indissolublement les époux et crée le foyer chrétien. Le mariage est divin par tous ses côtés ; divin par son origine, divin par sa constitution, divin par sa fin principale qui est la coopération à cette œuvre essentiellement divine, qu’est l’œuvre créatrice. Enlevez au mariage tout ce que Dieu y a mis, que reste-t-il ? Un pacte vulgaire et révocable ; une union fragile qu’a nouée le caprice du jour et que dénouera le caprice du lendemain ; une pure association d’intérêts et de plaisirs qui exclue tout ce que déconseillent l’intérêt et le plaisir. Peu ou pas d’enfants naissent de ces unions instables et infécondes ; et si quelque enfant apparaît à ce foyer sans Christ et sans Dieu, quelle formation pourra-t-il recevoir de parents qui sont en rupture permanente avec le principe de toute autorité et de toute loi morale ? Et si on réfléchit à l’étroite solidarité qui unit les familles entre elles et les familles à l’état ; si on songe que l’État n’est que le groupement coordonné de toutes les familles, on comprendra que contaminer le foyer c’est contaminer la masse et que l’athéisme domestique soit l’inévitable précurseur et l’agent le plus rapide de l’athéisme social.

C’est par ce procédé que l’impiété a entrepris de conquérir la France et de la faire à son image, incrédule et athée. Elle s’est habillement insinuée dans nos foyers et, dans ce prolongement du foyer qu’est l’école. D’inexcusables faiblesses et de coupables complicités lui en ont ouvert l’accès. Comblée de faveurs, hautement protégée, servie par de puissants concours et des haines implacables, elle a accru son influence, élargi son action et si rapidement accéléré ses progrès que, sûre de l’avenir, elle entrevoit l’heure où, maîtresse absolue du foyer, unique éducatrice de l’enfant, il lui sera donné de clore l’ère chrétienne et de consommer le divorce de la France avec Dieu.

Et déjà, enivrée par ses premiers succès et par eux exaltée au paroxysme de l’orgueil, elle ose redire au Christ, hier son rival redouté, et, elle n’en doute pas, le vaincu et le proscrit de demain : « Nous ne voulons plus de toi, nolumus hunc regnare super nos3. Trop longtemps tu as pénétré de ta doctrine intolérante et sévère nos lois, nos institutions et nos mœurs ; ton joug nous est odieux, va-t-en. »

Et, à cette brutale sommation, le Christ a répondu par son prophète : M’en aller !…Et où ?…Où irais-je pour te dérober ma présence et te soustraire à mon empire ? L’immensité est mon domaine. Quel est le lieu où je ne sois pas et où je n’ai pas le droit et la volonté de régner ? Je suis partout et partout je suis Roi. Monte au ciel : j’y suis et j’y règne, couronnant la vertu fidèle. Descends aux enfers : j’y suis encore, j’y suis Roi et éternel vengeur du crime. Parcours les continents, les îles, les mers ; va jusqu’aux extrémités du monde et dis-moi sous quelle latitude tu as rencontré un être humain que mon regard n’atteigne, que ma main ne soutienne et ne dirige, qui puisse avance dans la vie autrement qu’appuyé sur mon bras et comme porté sur mes ailes4?

Monseigneur Bonnet, évêque de Viviers, Le règne social de Notre Seigneur Jésus Christ et l’intronisation de Son divin cœur dans nos foyers, lettre pastorale du 2 février 1917, Évreux.

 

Tombeau de Mgr Bonnet dans la cathédrale Saint-Vincent de Viviers

 

Introduction de Monseigneur Bonnet : « Cédant aux instances qui m’ont été adressées, j’autorise la publication en brochure de ma Lettre Pastorale, à l’occasion du Carême de cette année, si on estime que sa plus large diffusion contribuera à l’Intronisation du Sacré-cœur de Jésus dans un plus grand nombre de foyers. », Viviers, le 18 avril 1917. + J.M.- FREDERIC, évêque de Viviers, « par la grâce de Dieu et l’autorité du Saint-Siège Apostolique ».D’inexcusables faiblesses et de coupables complicités lui en ont ouvert l’accès.

1Oportet illum regnare (1 Cor ; 15-25)

2Phillipiens 2 ; 8-10

3Luc 19 ; 15

4Psaume 138 – 9

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